"On n'a jamais voulu l'écouter" : malgré ses nombreux appels à l'aide, Gülçin Kaplan a été tuée par son ex-mari en sortant de chez elle
Gülçin Kaplan, 34 ans, a été tuée par son ex-mari à Annemasse en Haute-Savoie, le 27 janvier dernier. Ses multiples alertes n'ont pas pu la sauver, comme en témoigne l'une de ses proches.
Le gouvernement lance mardi 3 septembre son "Grenelle des violences conjugales", alors que 101 femmes sont déjà mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l'année. Parmi elles, Gülçin Kaplan, tuée par son ex-mari en janvier 2019.
Gülçin a 24 ans quand elle rencontre sur internet celui qui deviendra son meurtrier. Lui en a dix de plus, trois enfants d'une première union et un passé trouble en Turquie. Mais entre eux tout va très vite : ils se marient, font quatre enfants et s'installent dans un appartement tout près de la gare d'Annemasse (Haute-Savoie), une petite ville que Gülçin affectionne, à quelques kilomètres du lac Léman.
Très vite les violences commencent, psychologiques d'abord : son mari surveille tous ses faits et gestes, lui confisque son téléphone, ne supporte pas qu'elle aille travailler. Ses seules heures de liberté sont les cafés chez sa voisine Malika, devenue sa confidente. Elle lui raconte les coups, la vie recluse, la peur aussi, mais toujours sur son visage ce sourire et cette force, raconte Malika.
Elle vivait dans la peur constante. Malgré tout ce qui lui est arrivé, elle était tout sourire, elle avait tout le temps la bouche ouverte jusqu'aux oreilles.
Malikaà franceinfo
C'est ce qui ressort à chaque fois que l'on parle de Gülçin Kaplan, ce qui surprend aussi quand on la voit en photo. Ce grand sourire, son regard triste aussi, mais déterminé. Après presque dix ans de vie commune, Gülçin trouve la force en février 2018 de quitter son mari. Elle veut retrouver sa liberté, elle l'écrit à ses amis : "je veux profiter de la vie !"
Alors elle déménage dans un village voisin avec ses enfants, et c'est là que le cauchemar commence pour de bon. Lui ne supporte pas la rupture, il la poursuit, la harcèle, crève les pneus de sa voiture, l'agresse à coups de bombe lacrymogène, la frappe même, un jour d’automne devant l’école de ses enfants. Le directeur appelle la police, l'affaire reste sans suite. Quelques mois plus tard, en décembre, le divorce est prononcé, Gülçin obtient la garde des enfants, les violences montent encore d'un cran, mais personne n'entend la détresse de cette femme, raconte son amie Malika.
On n'a jamais voulu écouter Gülçin. Il n'y a personne qui a tapé du poing et qui a dit "je veux qu'elle m'ouvre son coeur et qu'elle me raconte tout ce qu'elle a à raconter", personne.
Malikaà franceinfo
Elle se rend pourtant au commissariat à plusieurs reprises. Elle y dépose des plaintes et des mains courantes qui se suivent et se ressemblent. Le problème, c'est que son ex-mari aussi porte plainte contre elle. La police ne sait plus trop quoi penser de ce couple qui se déchire jusque dans le hall du commissariat. Les policiers voient bien la violence entre eux, mais Gülçin Kaplan n'est pas, comme d'autres victimes, couverte d'hématomes ou de blessures. Il n'y a rien selon la police qui ne justifie, à ce moment là en tout cas, d'aller plus loin.
Une lettre au procureur dix jours avant sa mort
Alors Gülçin décide de viser plus haut. Dix jours avant sa mort, elle envoie une lettre au procureur de la République de Thonon-les-Bains pour lui demander un rendez-vous. En haut du courrier, elle écrit "URGENT" et en deux pages, elle raconte son calvaire et sa colère :
"Face à ce laxisme incroyable, alors que je suis censée vivre dans un pays comme la France, je prends la décision de ne plus emmener mes quatre enfants à l'école et je ferai l'école à la maison en attendant que les sorties ne soient plus une source d'angoisse, de panique et de peur. Ce n'est pas une vie à offrir à mes quatre enfants, ils n'ont pas mérité ça", écrit Gülçin dans sa lettre.
Me séparer était surtout pour protéger mes enfants et espérer leur offrir autre chose. Mais les violences ne s'arrêtent pas et il n'y a aucun apaisement. Nous continuons à vivre dans la terreur.
Gülçin Kaplandans sa lettre au procureur
La terreur, c'est ce qu'elle raconte aussi à l'association Espace femmes où Gülçin se rend, à quelques kilomètres de chez elle. Là-bas on l'écoute, on la comprend, mais on ne peut pas faire grand chose. On lui conseille quand même de se faire accompagner quand elle emmène ses enfants à son ex-mari un week-end sur deux. À chaque fois dans ces moments-là, Gülçin a la boule au ventre, elle le dit à tout le monde : "un jour, ça va mal tourner".
Le dimanche 27 janvier 2019, alors qu'elle sort de l'immeuble, son ex-mari surgit de nulle part, sort un couteau et poignarde l’ami qui l’accompagnait puis s'acharne sur Gülçin en plein jour devant ses quatre enfants qui assistent à la scène. Gülçin Kaplan meurt avant même d'arriver à l'hôpital. Elle avait 34 ans.
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