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11-Novembre : comment le nom de Pétain a fini par empoisonner "l'itinérance mémorielle" d'Emmanuel Macron

Les déclarations d'Emmanuel Macron, qui a jugé "légitime" de rendre hommage au "grand soldat" qu'a été Philippe Pétain pendant la Premier Guerre mondiale, sont le dernier épisode d'un imbroglio a débuté au mois d'octobre.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Emmanuel Macron, à l'ossuaire de Douaumont, près de Verdun, le 6 novembre 2018. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Un long imbroglio qui a tourné à la polémique. A Charleville-Mézières (Ardennes), mercredi 7 novembre, Emmanuel Macron a trébuché sur les chemins de la Grande Guerre, au cours de son "itinérance mémorielle". Interrogé sur l'hommage, prévu samedi aux Invalides, aux chefs militaires de la Première Guerre mondiale, il a jugé "légitime que nous rendions hommage aux maréchaux qui ont conduit l'armée à la victoire", à savoir Joffre, Foch, Gallieni, Fayolle, Franchet d'Espèrey, Lyautey, Maunoury mais aussi Pétain.

Ce dernier a été "un grand soldat", a ajouté Emmanuel Macron, même s'il a plus tard "conduit à des choix funestes", à la tête du gouvernement collaborationniste de Vichy, de 1940 à 1944. L'Elysée avait pourtant jusqu'à présent réussi à éviter l'écueil laissé par l'encombrant Philippe Pétain, jugé comme traître et frappé d'indignité nationale (et donc privé de son titre de maréchal).

D'abord les "réserves" de l'Elysée

Selon un dossier de presse (PDF) de la Mission du centenaire daté de septembre, un "hommage aux huit maréchaux de la Grande Guerre", organisé par l'état-major des armées et le gouverneur militaire de Paris, devait se dérouler, dimanche 11 novembre, à 9 heures, aux Invalides. Le communiqué évoquait d'ailleurs la "présence du président de la République". Une idée de "l'état-major des armées et son chef", explique le journaliste spécialiste des armées Jean-Dominique Merchet, sur son blog. Mais "plusieurs historiens ont tiré la sonnette d'alarme". Car ce centenaire commémore d'abord "l'armée du peuple, celle des poilus, pas les militaires d'active hauts gradés", et "l'Elysée semble partager ces réserves".

Contactée par Mediapart en octobre, l'Elysée a d'ailleurs assuré "ne pas comprendre comment une telle cérémonie 's'est retrouvée là'". Pour l'entourage du président, "ça n'était pas dans [son] programme". Car la présidence a choisi de rendre hommage aux "combattants" qui "étaient pour l'essentiel des civils que l'on avait armés"Et la Grande Guerre serait "dans l'idée des Français" une "grande hécatombe" plus qu'une grande victoire militaire. Pas question, dès lors, d'en faire une commémoration "trop militaire", selon l'entourage d'Emmanuel Macron cité par Jean-Dominique Merchet. Une position qui a fâché quelques historiens, selon Le Figaro. L'un d'eux, Michel Goya, ancien colonel d'infanterie, y a vu "une insulte aux soldats de 1918".

Puis des déclarations contradictoires

L'intervention, quelques jours après la publication de ces articles, de la ministre des Armées Florence Parly n'a pas clarifié la situation. Sur BFMTV, la ministre a garanti que "l'état-major [n'avait] jamais imaginé rendre hommage au maréchal Pétain", mais uniquement "aux maréchaux qui sont aux Invalides". Ce n'est pourtant pas ce qu'avait indiqué l'Elysée à Mediapart.

L'idée initiale de l'état-major des armées était bien de rendre hommage aux huit maréchaux.

La présidence de la République

à Mediapart

Et ce n'est pas non plus ce qu'a expliqué, mardi 6 novembre, le porte-parole des armées Patrik Steiger. Ce dernier a en effet assuré qu'un hommage aux chefs militaires de la Grande Guerre – dont les huit maréchaux, de Joseph Joffre à Philippe Pétain – se déroulerait bien samedi 10 novembre (et non plus dimanche 11) aux Invalides.

C'est une cérémonie en hommage aux chefs militaires, du caporal au général.

Patrik Steiger

à l'AFP

"Le chef d'état-major des armées tenait à ce qu'on rende également hommage aux chefs. Il ne faut pas laisser croire qu'il y avait juste le poilu, le combattant et personne au milieu d'eux", a-t-il poursuivi. Selon le général François Lecointre, cet hommage a même été "validé par l'Élysée". Il se tiendra à la veille d'une grande cérémonie à l'arc de triomphe en présence de dizaines de chefs d'Etat et de gouvernement. Mais contrairement à ce qu'annonçait la Mission du centenaire, le président Emmanuel Macron, chef des armées, n'y assistera pas lui-même. Il sera représenté par son chef d'état-major particulier, l'amiral Bernard Rogel.

Emmanuel Macron défend "un grand soldat"

Ces multiples déclarations contradictoires semblent avoir conduit un journaliste à questionner Emmanuel Macron, lors de son déplacement à Charleville-Mézières, mercredi. "Faut-il rendre hommage au maréchal Pétain ?" peut-on entendre, avant l'intervention de Sibeth Ndiaye, responsable des relations presse d'Emmanuel Macron, suivie d'une grande confusion. Le chef de l'Etat entame ensuite son explication : "Le maréchal Pétain a été pendant la Première Guerre mondiale un grand soldat, c'est une réalité de notre pays, c'est aussi ce qui fait que la vie politique, comme l'humaine nature, sont parfois plus complexes que ce qu'on pourrait croire. On peut avoir été un grand soldat et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième [Guerre mondiale]."

Macron Pétain
Macron Pétain Macron Pétain

Le tollé est immédiat. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s'est dit "choqué". SOS Racisme et l'Union des étudiants juifs de France ont dénoncé une stratégie de "réhabilitation". L'opposition, de gauche à droite, s'est dite scandalisée. "Pétain est un traître et un antisémite. Ses crimes et sa trahison sont imprescriptibles. Macron, cette fois-ci, c'est trop !" a dénoncé Jean-Luc Mélenchon. Florian Philippot, fondateur du parti Les Patriotes, a estimé que "réhabiliter Pétain" était "une impossibilité morale et historique. Une faute majeure de Macron". Boris Vallaud, porte-parole du PS, a quant à lui estimé que Pétain ne pouvait "pas avoir été accusé de haute trahison, condamné à l'indignité nationale et à mort en 1945 et 'en même temps' bénéficier d'un hommage national en 2018".

Et finalement une "réunion de crise"

L'exécutif a passé la fin de la journée a tenter d'éteindre l'incendie. Emmanuel Macron lui-même est revenu sur la polémique. "Je ne pardonne en rien, mais je ne gomme rien de notre histoire, a-t-il insisté. Il y a eu des hauts faits de guerre, puis il y a eu des forfaitures." Dans un message publié mercredi soir sur Facebook, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux l'a assuré : "Aucun hommage ne sera rendu à Pétain samedi. Il n’en a jamais été question." "Nous avions annoncé que nous honorerions les maréchaux de la Grande Guerre. Certains en ont déduit que Pétain en faisait partie. Ce n'est pas le cas", a-t-il répété. Et le porte-parole du gouvernement de reconnaître toutefois une erreur : "S'il y a eu confusion, c'est que nous n'avions pas été suffisamment clairs sur ce point."

Dans les propos qu'a tenus le président, il n'était nullement question d'hommage républicain, mais de vérité historique. Pétain a servi en 1914. Il contribue à la victoire de 1918. Mais rien ne viendra occulter ou faire oublier le Pétain qui a trahi, collaboré et, infamie ultime, celui qui a signé et mis en œuvre le décret sur le statut des Juifs.

Benjamin Griveaux

sur Facebook

Cette déclaration n'a pas suffi. Une "réunion de crise" du conseil scientifique de la Mission du centenaire devait se tenir, jeudi matin, afin d'adopter "une position commune", selon nos informations. Parmi ses membres, essentiellement des historiens, certains sont "incrédules"Jeudi midi, Emmanuel Macron, à nouveau interpellé à ce sujet, lors d'une visite d'une usine Renault à Feignies (Nord), s'est à nouveau défendu. "Il n'a jamais été question d'honorer individuellement" Philippe Pétain, a-t-il répété, assurant qu'il n'y avait "pas de polémique".

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