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Ce qu'il faut savoir sur la grève historique des femmes en Suisse

Les Suissesses sont appelées vendredi à faire grève et à défiler en mauve pour exiger l'égalité salariale et sociale dans ce pays, peu habitué à ce genre de débrayage.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestantes suisses se mobilisent pour l'égalité effective entre les femmes et les hommes, le 14 juin 2019 à Berne. (FABRICE COFFRINI / AFP)

"Plus de temps, plus d'argent et du respect." Les femmes suisses sont appelées, vendredi 14 juin, à faire grève pour défendre leurs droits. Egalité des salaires, reconnaissance du travail domestique et familial, dénonciation des violences sexistes et sexuelles et inclusion des minorités, les revendications sont multiples dans ce pays qui n'a accordé le droit de vote aux femmes qu'en 1971.

Diverses mobilisations sont prévues : parades de poussettes, concerts de sifflets, pauses déjeuner prolongées, pique-nique géants... Le point d'orgue étant un défilé en fin de journée dans plusieurs villes, dont Berne, devant le Palais fédéral. Celles qui ne peuvent pas faire grève toute la journée sont invitées à cesser de travailler à 15h24, heure à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement en Suisse si l'on prend en compte l'inégalité salariale moyenne de 20%. Bien que son ampleur soit incertaine, tant les manifestations sont rares dans le pays, ce mouvement est historique. Explications.

La dernière grève des femmes remonte à vingt-huit ans

Le choix de la date de mobilisation n'est pas anodin. En effet, la première et dernière manifestation féministe de l'histoire suisse a eu lieu il y a vingt-huit ans jour pour jour, le 14 juin 1991. Ce jour-là, 500 000 femmes, sur 4 millions d'habitants, ont quitté leur travail et sont descendues dans la rue pour revendiquer plus de droits, rappelle Le Temps. Cette première manifestation se déroulait elle-même dix ans tout juste après l'introduction du principe d'égalité entre les genres dans la Constitution, en 1981.

La Constitution dispose ainsi, via son article 8, que "l'homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l'égalité, en particulier dans le domaine de la famille, de l'instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale."

Sauf qu'en 1991, la situation des femmes suisses s'était toujours peu améliorée. Les inégalités persistaient, notamment concernant les salaires et la sécurité sociale. "Nous étions alors focalisées sur des questions plutôt formelles et juridiques, touchant au monde du travail, à la hiérarchie dans les entreprises, au travail domestique gratuit", raconte au Temps Annik Mahaim, 67 ans, une manifestante.

Les inégalités femmes-hommes restent criantes en Suisse 

A la suite de cette mobilisation, certains droits ont été matérialisés. En 1992, le viol conjugal est reconnu et peut être poursuivi sur plainte. En 1996, le droit du divorce consacre la règle du consentement mutuel et la possibilité, sur demande, d'une autorité parentale conjointe, relève la revue Nouvelles questions féministes. En 2002, l'avortement est légalisé et, en 2005, le droit à un congé maternité est inscrit dans la loi. Malgré ces changements, les inégalités entre les femmes et les hommes restent criantes à bien des égards.

Par exemple, une femme sur sept est licenciée après une maternité, selon une enquête du bureau d'études de politique du travail et de politique sociale BASS, cité par la RTS. En septembre 2016, Céline Zoeteweij en a fait les frais : "J'ai repris mon poste, j'étais très contente de recommencer à travailler. Dans le cours de la journée, j'ai demandé au DRH si on pouvait se voir pour réactiver les dossiers. Vers 16 heures, il m'a convoquée et il m'a licenciée, m'a libérée de mes 'obligations à venir travailler'", raconte-t-elle dans une interview à Loopsider. Il n'y a d'ailleurs aucun minimum légal de congé paternité inscrit dans la loi : il dépend de la volonté de l'employeur.

Concernant les inégalités salariales, les femmes gagnent en moyenne environ 20% de moins que les hommes. Et à conditions égales, notamment en termes de formation et d'ancienneté, l'écart salarial est encore de près de 8%, selon le gouvernement. Les tâches domestiques incombent essentiellement aux femmes. Le travail gratuit (ménage, soins aux enfants ou aux personnes âgées) représentait 40 milliards de francs suisses en 2016, dont 24 milliards provenant des femmes, reprend Le Temps. A la retraite, les Suissesses se partagent trois fois moins de rentes que les Suisses en 2017. De nombreuses femmes sont en effet obligées d'arrêter de travailler à l'arrivée d'un enfant, faute de structures d'accueil suffisantes.

En politique et dans les entreprises, la parité est loin d'être acquise. Environ 28,9% des représentantes politiques sont des femmes en 2019 et elles sont à peine 36% à diriger une entreprise.

Enfin, et comme partout ailleurs dans le monde, les femmes sont victimes de violences sexistes et sexuelles. Selon Amnesty International, cité par Le Temps, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou ancien conjoint toutes les deux semaines. Et la définition juridique suisse du viol diffère de celle de la France : elle ne concerne que la pénétration du pénis dans un vagin.

Une nouvelle génération de féministes se mobilise

L'organisation d'une telle grève est loin d'être évidente dans le pays. Si certaines entreprises ou administrations ont accepté de payer un jour d'absence à leurs salariées, d'autres ont refusé que les femmes s'abstentent. Seule solution pour elles : poser un jour de congé qui leur sera décompté ou qu’elles devront compenser.

Cette mobilisation s'inscrit dans l'émergence d'une nouvelle génération de féministes suisses. Portées par la vague #MeToo, ces femmes veulent poursuivre le combat initié par leurs aînées. "Féministe n'est plus une insulte, ça devient même cool chez les jeunes filles. Lorsque la petite sœur de mon copain m'envoie des liens sur Instagram sur l'interdiction de l'avortement en Alabama, je me dis qu'une prise de conscience a lieu", explique Maëlle Gross, 30 ans, au Temps.

Les Femen disaient que les féministes étaient des intellectuelles qui n'allaient plus dans la rue. Ce n'est plus le cas.

Maëlle Gross, manifestante féministe suisse

au "Temps"

Selon un sondage Tamedia publié le 4 juin, près des deux tiers de la population suisse, soit 63,5%, soutiennent la grève du 14 juin. Parmi ce pourcentage, les femmes la soutiennent à 70%, tandis que les hommes se disent à 57% "pour" ou "plutôt pour". 

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