Inceste : "On demande de l’aide et on se retrouve sur le banc des accusés", témoignent des mères d'enfants abusés par leur père
Le premier avis de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) déplore une prise en charge par la justice qui "fragilise les mères".
La première fois, c'est un geste déplacé de son père à l'heure du bain. Rose a 4 ans, mais le psychologue parle d'un malentendu. Il n'y a que sa mère pour la croire. "De toute façon à chaque fois, il n'y a rien. C'était toujours pas assez, il n’y a jamais une preuve irréfragable. Ça, on me l’a répété en long, en large et en carré", témoigne Claire. La mère de Rose a multiplié les signalements face à des attouchements qui se répètent. Sa fille a même été entendue par la police, en vain. "Là pareil, on nous dit qu’on est face à des professionnels formés, mais pas du tout", dénonce-t-elle.
"On se retrouve face à une espèce de grand Golgoth qui lui dit 'alors ton père comme ça, il t’a mis les doigts dans le cucul ?' Et qui enchaîne en disant 'maman elle veut t’offrir un Mcdo si tu dis des choses contre papa ?'
Clairefranceinfo
Ce qu’a vécu Claire est l’expérience de nombreuses mères. C’est ce que révèle dans un rapport, dévoilé une semaine après une première réunion publique organisée à Nantes mercredi 20 octobre, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. La Ciivise met en lumière dans un premier volet les "mères en lutte", ces femmes qui dénoncent des cas d'inceste chez leurs enfants, mais qui se retrouvent pourtant fragilisées par la justice, voire accusées de manipuler leur enfant.
Dans le cas de Claire, l'affaire est classée sans suite. Quand elle commence à refuser de respecter la garde alternée, elle passe en correctionnelle. Sa fille a alors 6 ans. "J’ai été condamnée par le procureur pour non présentation d’enfant (la condamnation peut aller jusqu'à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende). Le procureur m’a dit que je confondais protection et obstination, qu’il n’y avait absolument aucune preuve et que c’était mes fantasmes les plus horribles d'inceste que je projetais sur ma fille", raconte-t-elle.
Les années passent, la garde partagée se poursuit. En 2021, Rose a 13 ans. Les souvenirs lui reviennent en début d’année et elle se livre enfin vraiment au collège. "Elle a dit à la psychologue que son père lui donnait un verre d’eau amère le soir qui l’endormait. Et que le lendemain elle se réveillait, qu’elle n’avait plus son bas de pyjama et qu’elle avait la culotte mouillée. Elle avait des idées noires, elle disait 'moi je fugue ou je me tue ou je le tue lui, mais je ne veux plus y retourner'."
Des mères soupçonnées de vengeance et fragilisées
Irène* a la quarantaine et un petit garçon. Elle aussi a dû s’acquitter d’une amende dans des circonstances similaires. Cette maman, séparée de son ex-conjoint violent, dispose de la garde alternée de leur fils âgé de 10 ans. Le jour où il révèle être violé depuis toujours par son père, Irène court porter plainte. Sauf que la brigade des mineurs, qui l'interroge six mois plus tard, la soupçonne, elle, de vengeance : "Ils m’ont demandé pourquoi je m’étais séparée. En posant toutes ces questions, ils voulaient justifier d’un conflit parental. Ils disaient ‘la mère ce qu’elle veut c’est détruire la vie de cet homme’. C’est terrible parce qu’on va demander de l’aide et on se retrouve tout de suite sur le banc des accusés. Moi en tant que mère qui aurait monté la tête à mon enfant, et mon fils qui est considéré comme un menteur."
Irène rembobine, raconte au juge des éléments sur son ex-conjoint qui prennent une signification nouvelle après le témoignage de son fils. "Il (le père) allait sur des sites sadomasochistes et il avait pris comme pseudo le prénom de notre enfant. Et ça, je l’avais donné au juge." Mais on lui reproche de s'acharner.
"La juge me disait 'ça suffit maintenant la vengeance, madame'. Donc en fait il n’y a pas de protection. Et la menace de se voir retirer l'enfant fait péter les plombs !"
Irènefranceinfo
Comme dans le cas de Claire, la justice lui demande de laisser le père voir son fils. Hors de question pour Irène qui doit alors s'acquitter d'une amende. Une situation que la Commission sur l'inceste voudrait justement voir disparaître. Elle recommande la suspension des poursuites pénales à l'égard de la mère, en cas de non-présentation de l'enfant pour ces raisons et le retrait systématique de l'autorité parentale, en cas de condamnation du père.
* Le prénom a été modifié
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