L'abbé Pierre accusé de violences sexuelles : "Cet homme a sévi 50 ans, comment est-ce possible ?", s’interroge la présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France

La présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France s'indigne du silence autour des actes de l'Abbé Pierre.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Véronique Margron, , présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), commanditaire avec l'épiscopat du rapport Sauvé, le 19 novembre 2021. (GAIZKA IROZ / AFP)

"Cet homme a sévi pendant 50 ans, comment est-ce possible ?", s’est interrogée ce lundi sur franceinfo sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, commanditaire du rapport Sauvé qui répertorie les abus sexuels dans l'Église, alors que 17 victimes supplémentaires accusent l’abbé Pierre de violences sexuelles commises entre les années 50 et 2000. Sœur Véronique Margron ressent "une sorte de colère mélangée d'infinie tristesse". La cellule d’investigation de Radio France a eu accès à une partie de la correspondance inédite de l’abbé Pierre.

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Dans ces lettres, la figure emblématique de la lutte contre le mal-logement conteste les accusations d’agressions sexuelles contre lui et menace ceux qui l’accusent, notamment un étudiant américain en 1955. "On est face à une personnalité vraiment perverse, avec des excès de violences, avec tout ce que peuvent comporter un certain nombre de prédateurs", explique-t-elle.

franceinfo : Dans ces révélations, qu’est-ce qui vous choque le plus ?

Véronique Margron : Tout me choque. Visiblement, nous sommes face à une personnalité perverse dont on peut craindre que les actes et les délits, voire les crimes, soient innombrables. Ils me choquent évidemment très profondément, cela me met dans une sorte de colère mélangée et d'infinie tristesse, le fait de me dire que cet homme a sévi 50 ans. Comment est ce possible ?

La notoriété lui a servi de bouclier ?

Oui, bien sûr. C'est la meilleure devanture, en quelque sorte, puisqu’il était devenu, au fil du temps, semble-t-il, très vite quelqu'un d'intouchable, si j'ose utiliser cette expression, en tout cas d’inattaquable. C’est cela qui est terrifiant, c'est de se dire que, idolâtré, cet homme a créé comme une sorte de voile d'ignorance autour et a fait que des hommes qui auraient dû voir, qui ont vu, n'ont pas cru, en quelque sorte, ce qu'ils ont vu.

Comment expliquez-vous le silence des victimes ?

Le silence des victimes est relatif, car beaucoup de victimes ont parlé. Souvent peu de temps après les faits. Mais comme elles n'ont pas été entendues, voire rejetées, voire considérées comme des menteuses, elles se sont tues pendant 20, 30, 40 ou 50 ans. Il faut faire attention. La question, quand une victime parle, est : y a-t-il quelqu'un pour l'entendre vraiment et pour en faire quelque chose ?

L’enquête de la Cellule d’investigation de Radio France révèle que l’abbé Pierre pouvait être menaçant envers les personnes qui voulaient dénoncer ses agissements. Cela vous étonne ?

On est face à une personnalité vraiment perverse, avec des excès de violence, avec tout ce que peuvent comporter un certain nombre de prédateurs que nous avons découverts ou dont nous connaissons aujourd'hui les méfaits dans l'Église, qui sont de cet ordre-là.

Ça n'exonère pas les institutions et notamment l'Église d'éventuelles responsabilités. C'est pour cela que vous en appelez à un processus de justice ?

Bien sûr que ça n'exonère pas, au contraire. Un homme aussi public, dont tous, la société, mais aussi l'Église, nous en avons fait une sorte d'icône. Ces institutions ne peuvent pas se considérer aujourd'hui comme exemptées. C'est impossible.

Faut-il des indemnisations ?

Je ne sais pas. En tout cas, il faut un processus de justice. Je crains que notre justice de notre pays ne puisse rien puisqu'il est mort depuis bientôt 20 ans. Cela n'empêche pas de faire justice aux victimes. Et faire justice, c'est avant tout faire le plus de clarté possible sur tout ce malheur, toute cette boue, toutes ces agressions, voire ces crimes. C'est cela d'abord, et ensuite, c'est évidemment prendre soin autant que possible de chacune des victimes, et engager un processus de reconnaissance avec toutes celles qui le souhaitent.

Mais la reconnaissance, ça veut dire éventuellement des indemnisations ?

Oui, éventuellement, bien sûr. C'est au mouvement Emmaüs de voir avec l'Église. C’est à eux de voir comment ils doivent le prendre en compte.

La Fondation abbé Pierre va abandonner son nom. Des communes annoncent déjà qu'elles vont débaptiser des salles, des rues. Faut-il oublier l'abbé Pierre ?

Non, il ne faut surtout pas oublier l'abbé Pierre, parce que ce serait aussi à nouveau oublier des victimes. Qu'on débaptise, je comprends très bien et je pense que c'est absolument nécessaire de ne plus avoir ce nom comme vitrine. Mais il ne faut pas oublier. Donc le travail de cette mémoire si douloureuse, si terrible, de ce que cet homme a commis doit aller au bout et doit bien évidemment être conservé.

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