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Les coachs en séduction ont-ils changé leurs méthodes après #metoo et #balancetonporc ?

Article rédigé par franceinfo, Juliette Campion
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Publié Mis à jour
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Un homme interpelle une passante dans une rue américaine, le 23 octobre 1954.  (CHARLES HEWITT / PICTURE POST / GETTY IMAGES)

Pour les professionnels du flirt qui militent pour une liberté "d'aborder", il n'y aurait aucune ambiguïté entre drague et harcèlement.

Dans l'atmosphère feutrée d'un café parisien, Véronique Corniola avance sans ciller : "Séduire, ce n'est pas devenir un séducteur, c'est savoir se rendre séduisant." La fondatrice de la "première école française de séduction" fait le point avec Pierre-Antoine*. Il y a un an et demi, ce géomètre de 34 ans a poussé la porte de son école, pour un stage de quatre jours : "Je n'en attendais rien." Originaire d'Annecy, il était pourtant venu jusqu'à Paris pour en finir avec cette "peur inconsciente de déranger les femmes".

Depuis, le trentenaire a enchaîné les ateliers aux côtés de sa coach. Et quand on lui demande si l'affaire Harvey Weinstein et les tribunes féministes qui ont suivi l'ont amené à se questionner sur son approche des femmes, il affiche une moue perplexe : "C'est vraiment un fantasme que les femmes veulent qu'on les laisse tranquilles. Moi, je ne me suis jamais fait envoyer bouler par une femme que j'avais draguée, que ce soit au cinéma, dans un bar ou ailleurs." Et d'affirmer, sûr de lui : "Elles n'attendent que ça qu'on les aborde."

Cette question, franceinfo l'a posée aux professionnels de la séduction. Des hommes et quelques rares femmes, payés pour apprendre à leurs clients à se "vendre" auprès de la gent féminine. Les débats autour du consentement et les scandales sexuels révélés ces derniers mois ont-ils modifié leurs méthodes ? Encouragent-ils toujours à aborder une femme dans les lieux publics ? Les limites sont-elles claires entre drague et harcèlement ? Réponses, tranchées, de six experts du flirt.

"Psychose médiatique"

Sélim, coach depuis dix ans, prodigue ses conseils sur Artdeseduire.com, qui revendique 1,2 million de visiteurs uniques par mois. Pour lui, il n'y a pas eu véritablement d'effet Weinstein sur le forum du site, à part "deux ou trois gars qui flippent parce qu'ils voudraient draguer une collègue de travail. Mais ils ont pris conscience que c'est un terrain glissant." La vague de dénonciations, notamment via le hashtag #balancetonporc, a surtout permis à Sélim de réaliser, dit-il, qu'il y avait "une belle bande de tocards, qui font du mal aux femmes".

C'est aussi l'avis de Loup*, "expert rencontre" qui officie sur le site Aborder-et-seduire.fr : "Pour être honnête, je n’avais pas conscience qu’il y avait autant de harcèlement et d’agressions." Ce coach et hypnothérapeute a bien senti l'impact de l'affaire Weinstein : "J'ai clairement vu une baisse de mon activité."

Dans les deux mois qui ont suivi, je n'ai eu aucune demande de coaching, contre une par semaine minimum habituellement.

Loup, "expert en séduction"

à franceinfo

Des réticences que ses élèves, pour la plupart des hommes timides, voire totalement inhibés et souvent célibataires depuis des années, n'ont pas tardé à lui formuler : "J’ai reçu pas mal de mails d’hommes assez inquiets. Le plus drôle : 'Est-ce que si j’aborde une femme dans la rue, je vais aller en prison ?' Plusieurs personnes ont annulé des sessions de coaching à cause de ça, en me disant : 'en ce moment c’est un peu chaud, on va remettre ça à plus tard.'" Son analyse ? "Il y a une majorité qui paye pour les mauvais comportements d'une minorité."

Mike, fondateur du site Dragueursdeparis.com, a un avis encore plus catégorique sur ce qu'il qualifie de "psychose médiatique". Il explique que ses clients "ont encore plus peur qu'avant d'aller vers les femmes". Cet ancien "geek timide et introverti" précise que "c'est tout un travail pour leur faire comprendre que non, les femmes n'ont pas changé". C'est-à-dire ? "La plupart sont normales, elles n’ont pas la haine des hommes", expose-t-il, avant d'enfoncer le clou : "Il faut prendre du recul par rapport à ce que disent les médias, qui ont tendance à dégrader le moral des hommes." Ce coach de 27 ans, qui se vante sur son site d'avoir "abordé" et "embrassé" plusieurs centaines de filles, l'assure : "Il y a des nanas qui n'attendent qu’une chose : c’est de les rencontrer."

Loup, lui, explique qu'il se retrouve désormais face à des "situations de blocage" chez ses élèves qu'il n'avait pas connues auparavant : "L'un d'eux me disait que lorsqu'il était à un rendez-vous avec une femme, il n'osait pas être tactile avec elle parce que, m'a-t-il dit, 'on ne sait jamais, avec tout ce qui se passe. Je préfère attendre d’avoir plus de signes'."

"On a une certaine responsabilité"

Pourtant d'après ces coachs, les inquiétudes de leurs élèves n'ont pas lieu d'être. Tout simplement parce que, pour eux, dans leurs conseils comme dans leur façon de faire, la limite entre drague et harcèlement est clairement définie.

Bien avant l'affaire Weinstein, en 2012, Sélim a vécu ce qu'il appelle un "bad buzz". Dans l'une de ses vidéos (retirée depuis), il proposait d'apprendre à faire un baiser de cinéma. Après deux minutes de mise en situation, il expliquait : "Vous vous rapprochez d'elle et vous ne lui demandez pas son avis : vous l'embrassez." Une incitation à outrepasser le consentement qui a provoqué des réactions violentes sur Twitter. Avec le recul, il analyse : "On doit faire attention au moindre mot. Et en même temps, c'est normal, on a une certaine responsabilité." Comme la majorité des coachs interrogés, il martèle que la limite est très claire : quand une femme dit non, c'est non. Impossible, selon lui, d'être taxé de harcèlement.

A partir du moment où l’homme gêne la fille, c’est normal que ce soit stigmatisé. Une fois qu’on a un refus, on doit s’arrêter immédiatement de draguer.

Patrick Harris, coach en séduction

à franceinfo

Certains coachs nuancent toutefois cette règle d'or : il y aurait, selon eux, des "non" qui pourraient s'interpréter comme des "oui". Loup a sa théorie sur le sujet : "Il y a plein de cas où une fille aime faire la difficile parce que ça l’amuse et elle donne l’impression qu’elle n’est pas trop facile. Il y a des 'peut-être', 'je sais pas trop'". Il ajoute, stéréotype à l'appui : "Puisqu’une femme est souvent dans l’émotion, elle est fluctuante : elle ne sait pas toujours exactement ce qu’elle veut." Un point de vue très contestable que Sélim ne partage pas. "C’est impossible d’expliquer le petit 'non' qui veut dire 'oui'. Donc on préfère, dans la ligne éditoriale d'Artdeseduire.com, dire que 'non' c’est 'non'. Point."

Pour un droit "d’aborder" plus que "d’importuner"

Aux yeux de ces professionnels de la conquête, tout résiderait finalement dans la manière d'aborder. Clément, fondateur du site Coachseduction.fr, avance : "Mes clients savent que la démarche qu’ils entreprennent se fait avec classe et respect. Et 90% sont bien reçus par les filles qu’ils abordent." Même constat pour Sélim : "L’autre jour, je rejoignais ma copine, et un mec était en train de la draguer. Il s’est excusé en me voyant. Je lui ai dit : 'y a aucun problème'. Ma copine, c’est une grande fille, elle sait se défendre. Et elle sait surtout faire la différence entre un gros lourd qui va lui parler de son physique et un mec qui fait ça bien."

Loup reconnaît que, pour certains de ses élèves, il y a eu quelques ratés.

Il y a beaucoup de mecs qui sont maladroits, pas forcément méchants. Dans mon métier, je vois plein de mecs bien, juste timides, qui en font un peu trop : est-ce qu’il faut les cataloguer comme étant des harceleurs ?

Loup, coach en séduction

à franceinfo

A l'expression "droit d'importuner" utilisée dans la tribune signée par cent femmes, dont Catherine Deneuve, Loup préfère l'expression "droit à l'erreur". C'est-à-dire ? "Ce serait le droit d'avoir un peu trop insisté dans la rue ou d'avoir envoyé trois messages alors qu’on aurait dû n'en envoyer que deux parce qu’on n'avait déjà pas de réponse aux premiers." Sélim, lui, milite pour un "droit d'aborder" : "C'est beaucoup plus positif."

Plaidoyer pour la drague de rue

S'ils défendent tous la drague de rue, les coachs sont partagés sur son efficacité. Pour Loup, "draguer dans la rue a beaucoup d’intérêt en matière de développement personnel : le mec est directement confronté au rejet. Et cela implique le dépassement de soi : il faut s’affirmer, savoir être à l’écoute… Cela demande énormément de courage." Sélim, lui, juge cette méthode improductive.

Statistiquement, à peu près personne ne rencontre l’âme sœur dans la rue. Le mariage, c’est de l’homogamie. Le gars qui drague dans la rue, il veut le rêve, la fille qu'il n'aurait jamais pu rencontrer dans son cercle social

Sélim, coach en séduction

à franceinfo

Mais le coach défend ce type de séduction pour une raison quasi politique : "Le mâle blanc, puissant, ne va pas draguer dans la rue. Le dragueur de rue, c’est celui qui n’est pas invité. Ni aux soirées, ni aux avant-premières, il ne rentre pas forcément en boîte de nuit… C'est pour cela que je ne peux pas être totalement contre ce type d'approche. C’est la magie de la rue, du hasard que j’ai envie de défendre, même si je n’y crois pas."

Véronique Corniola défend elle aussi le droit d'accoster dans la rue. Plus généralement, la sexagénaire estime qu'"avec les féministes, on est en pleine régression. Les femmes qui ne veulent pas qu'on les aborde vont finir vieilles et seules." Pas sûr que cette prédiction suffise à refermer la brèche ouverte dans la foulée du scandale Weinstein.

* Le prénom a été modifié

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