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Pourquoi a-t-il fallu un #MeTooGay pour qu'émerge vraiment la parole des hommes homosexuels victimes de viol ?

La stigmatisation de l'homosexualité et la difficulté de faire souvent partie de la même communauté que son agresseur peuvent expliquer que ce #MeTooGay éclate plus tardivement, analyse le sociologue Sébastien Chauvin.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un drapeau arc-en-ciel lors de la Pride 2020 à Paris. (Photo d'illustration) (AMAURY CORNU / AFP)

Les récits, glaçants, se multiplient. Le mot clé #MeTooGay s'est installé, depuis la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 janvier, parmi les plus utilisés en France sur Twitter, porté par des centaines d'hommes homosexuels témoignant des viols et des agressions sexuelles dont ils ont été victimes.

Le hashtag est né en réaction aux messages d'un utilisateur accusant Maxime Cochard, élu PCF au Conseil de Paris, et son conjoint de viol et d'agression sexuelle. Une vague de témoignages inédite au sein de la communauté gay, même au plus fort du mouvement #MeToo en 2017. Sébastien Chauvin, professeur associé à l'Institut de sciences sociales de l'université de Lausanne (Suisse) et notamment coauteur de Sociologie de l'homosexualité, analyse pour franceinfo le sens de son émergence.

Franceinfo : Y avait-il besoin d'un hashtag spécifique pour que la parole des victimes gay de violences sexuelles se libère et soit entendue comme elle l'est depuis jeudi soir ?

Sébastien Chauvin : Oui, on vient d'en faire l'expérience : il a suffi que le hashtag apparaisse et les témoignages ont afflué. Ça montre qu'il y avait un besoin. Dès le début de #MeToo, il y a eu des témoignages d'hommes, mais ils ont été dilués dans ce mouvement plus général. Récemment, des témoignages ont aussi émergé sur #MeTooInceste, ce qui correspondait d'ailleurs à une spécificité des violences sexuelles commises sur des hommes : selon les travaux de l'Ined, la majorité d'entre elles ont été subies avant 18 ans. Ce contexte peut expliquer que la question ait mis un certain temps à prendre une forme autonome.

Au moment de #MeToo, la question du consentement a aussi pu être reçue comme une question hétérosexuelle. Implicitement, souvent, on maintenait une asymétrie de genre, on parlait des hommes qui devaient demander le consentement à des femmes. Cela a pu empêcher de problématiser cette question entre les hommes.

Cependant, le #MeTooGay a en commun avec #MeToo de parler de violences qui ont un lien avec le patriarcat. Et les témoignages des femmes ont aussi appris aux hommes à voir les violences dont ils étaient victimes comme patriarcales. L'immense majorité des hommes victimes de violences sexuelles sont victimes d'autres hommes.

Est-ce que ce mouvement au sein de la communauté gay reflète aussi des spécificités de violences sexuelles dont ils sont victimes ?

La stigmatisation de l'homosexualité peut jouer un rôle dans la difficulté à faire émerger la parole des victimes. Pour beaucoup de gens qui sont dans le "placard" à cause de cette stigmatisation, porter plainte, c'est aussi faire son coming out. Et le faire auprès d'une police qui peut, parfois, ne pas prendre au sérieux une agression commise à l'intérieur d'un milieu "altérisé".

C'est aussi un milieu qui a pu se construire autour du droit à la sexualité, de sa valorisation, et de l'idée qu'elle pouvait être une forme de résistance. Cela a pu induire une forme de culpabilité chez certaines victimes. De même que le fait que, contrairement au #MeToo des femmes, dans le #MeTooGay, la communauté gay n'est pas seulement le groupe des victimes. Il est évidemment très difficile pour les femmes de porter plainte, pour de multiples raisons. Mais pour les hommes gay, une spécificité est qu'il n'y avait pas de groupe clairement désigné auprès duquel trouver un appui.

Pourquoi ce hashtag émerge-t-il maintenant, en réaction à cette affaire [l'accusation de viol portée contre l'élu parisien Maxime Cochard et son compagnon] ? 

Il y a toujours une part de hasard, mais le fait que ça naisse d'une affaire concernant un responsable politique de gauche n'est pas anodin. Non pas parce que ça se passerait davantage à gauche, mais parce qu'on y trouve l'écosystème nécessaire pour entraîner ces réactions. Comme pour #MeToo [#BalanceTonPorc en France] : rappelons-nous que cela avait été précédé, chez nous, par l'affaire Denis Baupin [du nom d'un responsable d'EELV accusé en 2016 de harcèlement et d'agressions sexuelles par huit élues ou collaboratrices du parti]. Si c'était arrivé en dehors de ce réseau militant, si les accusations avaient visé quelqu'un du show business ou un youtubeur, comme c'est d'ailleurs déjà arrivé, cela n'aurait peut-être pas entraîné un tel mouvement. 

Bien sûr, il est né entre des gens jeunes, qui sont sur Twitter, beaucoup aussi de journalistes. Mais cela peut s'élargir, #MeToo aussi avait commencé comme ça. La presse internationale est déjà en train de faire des articles sur ce phénomène français, et mon intuition est que dans 48 heures, il sera mondial.

Qu'est-ce que cette vague de témoignages peut contribuer à changer, pour les victimes et dans les mentalités des agresseurs ?

Je pense que, comme dans le #MeToo hétéro, beaucoup de gens qui savent qu'ils ont subi des choses violentes, mais qui n'avaient pas mis de termes précis dessus, peuvent avoir cette prise de conscience. Et un #MeTooGay peut changer la perception sociale de la parole des homosexuels victimes. Cela permettrait d'éviter, par exemple, la désinvolture avec laquelle on a récemment mis en doute le témoignage de l'écrivain Edouard Louis, dont ce qui frappe, au miroir des témoignages qu'on lit depuis jeudi soir, est la terrible banalité [l'homme accusé par le romancier a été relaxé en décembre 2020, le parquet a fait appel].

Je crois aussi que les mentalités peuvent changer, mais je ne sais pas si ce sera le cas. Il est quand même assez clair qu'il existe une différence générationnelle, que l'on a aussi vu lors de #MeToo. On parle de faits qu'une partie des générations antérieures avaient peut-être trop classés dans une "zone grise", et que les plus jeunes ne voient pas de la même façon. Cela va faire réfléchir, mais il est possible que ce clivage persiste.

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