Témoignages "À un moment, j'ai dit stop" : de jeunes professionnelles du cinéma racontent leurs débuts face aux violences sexuelles et au harcèlement

Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Plusieurs jeunes professionnelles témoignent de comportements problématiques sur les tournages. Image d'illustration. (STEPHANIE BERLU / GETTY)
Comment les jeunes femmes qui débutent dans le cinéma se positionnent-elles face aux comportements toxiques ? Une actrice, une machiniste et une réalisatrice témoignent des obstacles rencontrés et de leur façon d'y faire face.

Une commission d'enquête à l'Assemblée a été créée jeudi 2 mai, alors que le cinéma français traverse de multiples affaires MeToo. Les témoignages de violences sexistes ou sexuelles mettent parfois de longues années à émerger. Mais comment se positionnent les femmes qui commencent à travailler dans le 7e art ? Les débuts de carrière s'accompagnent de difficultés devant lesquelles de jeunes actrices, techniciennes ou réalisatrices se sentent parfois démunies. Chacune essaie de trouver la meilleure réponse aux comportements toxiques, quitte à parfois revoir leur plan de carrière.

"Il faudrait que tout le monde dise non"

"À un moment, j'ai dit stop". Jeanne, 27 ans, se souvient parfaitement d'un récent tournage problématique. Cette comédienne refuse de jouer une scène. Mais ce n'est pas la première fois qu'elle dit non. "Il y a plein de choses que je n'ai pas acceptées. Des scènes de nudité, des comportements du réalisateur qui a des mains un peu baladeuses... Comme c'est un métier passion, beaucoup de personnes ont l'impression qu'il faut tout accepter." La jeune femme, passée par le conservatoire, a adhéré au collectif 50/50, qui œuvre pour la parité et la diversité dans le cinéma.

Pour autant elle a parfois du mal à poser ses limites. Et ce n'est pas la seule. Cette question interpelle plusieurs de ses connaissances, des actrices et des acteurs, avec qui elle en parle. "Il y a un peu quelque chose de terrible, c'est qu'on se dit, et je m'inclus tout à fait dedans, demain un grand réalisateur me propose un rôle qui me donne envie, mais c'est un peu problématique, est-ce que j'y vais ? Honnêtement, peut-être. Il y a une ambiguïté vis-à-vis de ça. Comme dans toutes ces luttes-là, il faudrait que tout le monde dise non."

"Quand on est jeune actrice, il y a un peu cette injonction qui vient des cours de théâtre où les professeurs nous disent qu'il faut souffrir pour être bon, pour l'art."

Jeanne, comédienne

sur franceinfo

La forte concurrence entre les jeunes comédiennes ajoute son lot de pressions à accepter des rôles. "Toujours ce vieux principe de l'art et de la souffrance, qu'il serait temps de séparer, rappelle Jeanne. Dans les écoles on ne nous apprend pas du tout à nous positionner face à un réalisateur ou un metteur en scène, qui sont quand même des figures d'autorité."

Les référents harcèlement "parfois n'y connaissent rien"

Des comportements problématiques, Héléna en a connu de l'autre côté de la caméra. À 24 ans, elle a déjà six années d'expériences comme machiniste. Elle doit notamment gérer le matériel de prise de vue et l'agencement des décors sur les plateaux. Un poste très majoritairement occupé par des hommes. "J'aidais à porter des projecteurs, se souvient-elle à propos d'un tournage. J'en mets un sur pied et d'un coup je sens une énorme claque sur mes fesses. Je ne comprends pas du tout ce qu'il se passe. Je me retourne, je suis très énervée". Mais la jeune femme "ne se voyait pas faire un esclandre" au milieu de tout le monde affairé sur le plateau. L'homme en question est un technicien. La confrontation avec lui, plus tard dans la journée, ne donnera rien.

"J'étais complètement désarmée, je me suis demandé : comment ça se fait que le mec rigole de ça alors qu'il vient de me faire un affront ?"

Héléna, cheffe machiniste

à franceinfo

Depuis janvier 2021, les aides du Centre national du cinéma (CNC) sont notamment subordonnées à la désignation d'un référent harcèlement sur les longs tournages. Mais le dispositif n'est pas toujours efficace. "Parfois les gens qui sont désignés n'y connaissent rien, regrette Héléna. J'ai déjà vu des référents qui n'avaient aucun sens, comme le réalisateur ou la femme du réalisateur. Il faudrait plus de garde-fous là-dessus."

D'autres mauvaises expériences ont en partie conduit Héléna à revoir un peu ses plans de carrière : elle décide de changer de poste pour devenir cheffe opératrice, véritable bras droit du réalisateur. "C'est l'un des chefs de poste les plus importants du plateau, précise-t-elle. Artistiquement, c'est ce qui me plaît le plus, parce que j'ai envie aussi de réaliser des films. Et je me dis : là, personne ne me fera chier. Personne. On te respecte pour ce que tu apportes et pour ce que tu es, et ton sexe ne définit absolument pas ton travail."

"Arrêter d'attendre d'être dans le désir de l'autre"

Une démarche quasiment similaire à celle de Noé. Cette jeune trentenaire, passée par le conservatoire, a d'abord été actrice. Elle cherche alors à se mettre en lien avec des acteurs et des réalisateurs d'expérience, hommes et femmes confondus, pour obtenir des conseils, comprendre leur parcours. Mais certaines attitudes la font vite déchanter. "Le but était directement de me séduire et de me mettre dans leur lit. Avec plusieurs acteurs assez connus, ça n'a pas pris cinq ou dix minutes avant que ce soit mis sur le tapis." En tant que femme, "on nous apprend à faire du réseautage par la séduction, déplore-t-elle. Eux attendent ça de nous".

Après deux ans d'expérience, elle décide en 2020 de se tourner également vers la réalisation. "Parce que je choisis les techniciennes et les techniciens avec qui je travaille. Et ça me donne du pouvoir. Attention, le pouvoir ce n'est pas la même chose que la domination, prévient-elle. C'est aussi arrêter d'attendre qu'on veuille bien travailler avec moi, arrêter d'attendre d'être dans le désir de l'autre, dans le regard de l'autre, du patriarcat." La réalisatrice, qui se revendique militante féministe, veut explorer dans ses films des thématiques en accord avec ses valeurs. 

"Réaliser des films, c'est sortir aussi d'une position d'emprise d'une certaine manière."

Noé, actrice et réalisatrice

sur franceinfo

Pour mieux s'entourer, Noé fait de plus en plus appel à des annuaires d'associations, comme Divé+ ou Représentrans qui "permettent de filtrer". Et elle se renseigne sur les films des personnes avec qui elle est susceptible de travailler. "Comment on représente la domination, les femmes, comment on filme les femmes ?", égrène-t-elle. Un tri nécessaire, selon elle, pour éviter "les rôles problématiques". Mais elle est bien consciente des difficultés qui s'imposent à elle. "Il y a des compromis à faire parce que souvent les gens qui donnent de l'argent pour les films, ce n'est pas forcément ceux avec qui on est d'accord."

Comment faire face aux violences sexuelles et au harcèlement ? De jeunes professionnelles du cinéma témoignent au micro de Louis Mondot

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