Harcèlement de rue : des associations féministes accueillent "avec beaucoup de précaution" la décision de faire des bars-tabacs des "lieux sûrs"

La Française des jeux souhaite pouvoir accueillir les victimes de comportements sexistes dans ses bars-tabacs-presse. Militantes et internautes se montrent sceptiques.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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La Française des jeux a signé un partenariat pour que les femmes victimes de harcèlement de rue puissent trouver refuge dans ses bars-tabac-presse. (MAURIZIO ORLANDO / AFP)

Une annonce qui a provoqué quelques remous. La Française des jeux (FDJ) et l'application Umay ont signé un partenariat, jeudi 7 mars, afin de transformer le réseau de bars-tabacs-presse en "lieux refuge" pour les victimes de harcèlement de rue. Après des expérimentations "concluantes" menées à Nantes et à Lille, le géant de la loterie souhaite proposer à 29 000 commerçants de son réseau de rejoindre "sur la base du volontariat" la liste des partenaires de la start-up française. Ce partenariat, soutenu par Aurore Bergé, la ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, doit permettre de "créer 1 000 nouveaux lieux sûrs chez nos buralistes ou marchands de presse", a-t-elle souligné sur le réseau social X.

L'application Umay, qui revendique 60 000 utilisateurs actifs, propose des itinéraires où sont signalés les "lieux sûrs", sensibilisés et formés pour accueillir les personnes ciblées par des "comportements malveillants dans l'espace public". Elle fonctionne déjà sur un réseau de 6 000 commerçants et, depuis une convention signée en février 2022 avec le ministère de l'Intérieur, avec 3 200 gendarmeries et 600 commissariats de police. A l'approche des JO 2024, l'objectif est de former et labelliser "un maximum de commerçants partenaires" d'ici cet été pour que leur boutique devienne un lieu sûr, précise la FDJ dans un communiqué.

Un choix jugé "dangereux"

Sur la toile, cette annonce a fait réagir. "'Safe place' et buraliste, c'est quand même très antinomique", estime ainsi une internaute sur X. "C'est vrai que se réfugier chez un buraliste dans lequel des hommes alcooliques te regardent comme un bout de viande est 'safe place'", ironise une autre sur X. "J'ai travaillé un an dans un bar-tabac, je vous assure que ce n'est pas une 'safe place' pour les femmes", assure encore une jeune femme, toujours sur X.

Ce dispositif a également reçu un accueil mitigé du côté des associations féministes. "C'est bien de faire des 'safe place' partout, mais il faut que ce soit bien fait", réagit Amy Bah, présidente du collectif féministe #NousToutesLille. Pour la militante, il faut "prendre cette initiative avec beaucoup de précaution".

"En quoi consistera la formation des buralistes ? Est-ce le lieu le plus approprié ? Si la victime est exposée à des remarques désobligeantes des clients, ça ne va pas."

Amy Bah, militante du collectif #NousToutes

à l'AFP

La responsable féministe se demande ainsi "s'il n'y a pas du 'féminisme washing' derrière de la part de la FDJ".

Dans un communiqué, l'association Women for Women France, spécialisée dans la sécurité des femmes étrangères en France, estime de son côté qu'il est même "dangereux de promouvoir les bars-tabacs comme 'lieux refuge' pour les victimes de harcèlement sexuel lors des JO de Paris 2024". "Les bars-tabacs ne constituent en aucun cas des espaces refuge, soutient-elle. Ils sont fréquentés majoritairement par des hommes et favorisent la consommation d'alcool et les jeux de hasard."

"Il s’agit là de conditions qui augmentent le risque de violences sexistes et sexuelles."

Women for Women France

dans un communiqué

"Cette situation nous rappelle l'importance de consulter des experts en sécurité, en harcèlement de rue et en violences sexistes", note Sarah McGrath, directrice de Women for Women France, auprès de franceinfo. "On peut voir que ça n'a pas absolument pas été pris en compte." La militante assure même avoir contacté ses partenaires du ministère de l'Intérieur et la police nationale afin de proposer des alternatives "beaucoup plus appropriées", telles que des pharmacies. A noter que l'application Umay propose déjà des pharmacies dans son réseau de commerces sûrs.

Des gérants qui feront "au mieux"

Si l'option des bars-tabacs peut sembler contre-intuitive, la présidente de la FDJ, Stéphane Pallez, a répondu à l'AFP que ces commerces étaient "déjà des lieux de vie essentiels", évoquant des "détaillants impliqués dans la vie locale". "Qu'ils deviennent des lieux sûrs est d'une logique et d'une utilité indéniables", soutient-elle. Interrogée sur franceinfo à ce sujet, Aurore Bergé a plaidé qu'il s'agissait du "rôle de toute la société"

"L'avantage des bureaux de tabac, c'est qu'ils sont ouverts très tôt le matin et très tard le soir."

Aurore Bergé, ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes

à franceinfo

"On essaie d'accueillir [la victime] au mieux, de la rassurer, de la mettre en confort (...) et de gérer l'agresseur de l'autre côté comme on peut, tout en attendant l'intervention de la police. La différence avec cette application, c'est qu'aujourd'hui on va être répertorié dans un réseau solidaire citoyen", explique Jérémy Leduc, gérant du bar à jeux Les Grands Gamins à Paris, à France Télévisions.

Selon une étude Ipsos de 2020, 81% des femmes déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics. D'après le dernier rapport annuel du Haut Conseil à l'égalité femmes-hommes, 9 femmes sur 10 ont déjà renoncé à des actions ou modifié leur comportement pour ne pas être victimes de sexisme. Toujours selon cette source, 5 000 infractions (désormais délits) pour outrages sexistes ont été comptabilisés en 2022 et près d'un million de femmes subiraient chaque année du harcèlement en France.

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