Cet article date de plus de cinq ans.

"Ligue du LOL" : "On observe les mêmes choses que dans les autres milieux", selon Clara Gonzales, de la Fondation des femmes

Franceinfo a interrogé Clara Gonzales, membre de la Force juridique de la Fondation des femmes, qui vient en aide aux femmes victimes de harcèlement ou de violences sexistes.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La "Ligue du LOL" est le nom d'un groupe de journalistes accusés d'avoir harcelé de nombreuses femmes sur Twitter. (Photo d'illustration) (ANDREW BROOKES / AFP)

Par dizaines, elles ont raconté les campagnes de cyber-harcèlement dont elles ont été victimes. Une vague de témoignages, publiés sur les réseaux sociaux, a mis en cause les membres de la "Ligue du LOL", un groupe Facebook privé regroupant une trentaine de journalistes parisiens, actif à la fin des années 2000 et au début des années 2010. Ils sont accusés de s'en être notamment pris à d'autres journalistes et blogueurs, notamment des femmes et des militantes féministes, à coups d'insultes, de photo-montages dégradants ou de canulars téléphoniques

Que dit cette affaire sur la violence au sein du monde professionnel ? Comment agir face au harcèlement ? Franceinfo a interrogé Clara Gonzales, membre de la Force juridique de la Fondation des femmes, qui vient en aide aux femmes victimes de harcèlement ou de violences sexistes.

franceinfo : Cette affaire est-elle propre au monde des médias ou, au contraire, symptomatique de ce qui se passe dans tous les milieux professionnels ? 

Clara Gonzales : Dans cette affaire, il y a des choses qui sont plus ou moins spécifiques au monde des médias. Ou du moins aux secteurs dans lesquels la concurrence et les enjeux de pouvoirs sont très importants. C'est le cas dans le milieu de la communication, dans la politique, le haut-fonctionnariat... ce qu'on voit dans cette affaire, c'est qu'on est face à des jeunes hommes qui, au moment où ils sont entrés sur le marché du travail, ont commencé à harceler des personnes identifiées comme minoritaires, donc plus fragiles : des femmes, des homosexuels, des personnes racisées... En faisant ça, ils ont, plus ou moins consciemment, éliminé des potentiels concurrents, ce qui leur permet d'accéder plus rapidement à des postes à responsabilités.  

A l'inverse, quand on se place du point de vue des victimes, on observe les mêmes choses que dans tous les autres milieux. Le harcèlement au travail a des conséquences sur la santé mentale de la victime, mais aussi sur sa carrière et son évolution professionnelle. Cela l'empêche de progresser et, si elle dénonce les faits, d'accéder à certains postes parce qu'elle est identifiée comme une personne qui créé des problèmes. Il y a un chiffre qui me choque toujours beaucoup : plus 90% des femmes qui dénoncent des faits de harcèlement sexuel au travail finissent par perdre leur emploi, selon les statistiques de prise en charge de l'Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail.

Que faut-il faire si on est victime de harcèlement dans son milieu professionnel ? 

Lorsqu'on est victime de harcèlement, la première chose à faire, c'est de parler. En mettant des mots sur la situation, on va d'abord savoir si on est victime de harcèlement moral, sexuel, sexiste ou raciste. Lorsqu'on est victime de harcèlement, on souffre souvent d'un sentiment d'isolement extrêmement puissant, qui permet au harceleur de ne pas être inquiété. Parler va aussi permettre de trouver de potentiels témoins, qui pourront vous aider. 

La deuxième étape, c'est de collecter des preuves. Lorsqu'on est victime, il faut toujours garder des copies des mails ou des messages sur les réseaux sociaux que l'on vous envoie. En plus de les stocker en ligne, il est important de garder ces pièces sur une clé USB pour éviter les risques de piratage. Je conseille aussi de bien protéger ses données en ligne et sa vie privée, en optant pour la double authentification sur sa boîte mail ou sur les réseaux sociaux. 

Enfin, il ne faut pas hésiter à alerter son employeur, qui doit mettre en place des mesures pour vous protéger. S'il ne le fait pas, il faut saisir la justice. D'autant plus que si le harcèlement a eu lieu dans le cadre du travail, l'employeur peut être considéré comme coresponsable, même s'il n'est pas l'auteur des faits. 

Dans le cas des personnes harcelées par la "Ligue du LOL", les faits semblent être prescrits... 

En 2017, le délai de prescription pour les faits de harcèlement est passé de trois à six ans. Les faits plus vieux sont donc prescrits. Cependant, il faut avoir en tête que la prescription intervient à compter du dernier acte. Si j'ai été harcelée par la "Ligue du LOL" entre 2009 et 2012, mais que certaines personnes sont revenues à la charge à partir de 2014, les faits qui relèveraient de délits ne sont pas prescrits.

Et si on est témoin d'actes de harcèlement, que faut-il faire ? 

Evidemment, il ne faut pas se rendre complice, que ce soit d'un point de vue juridique ou simplement éthique, en cautionnant par exemple. Ensuite, il faut aller voir la victime pour lui dire qu'on a vu ce qu'il se passait, qu'on est là pour en parler et qu'on la soutient. Il faut ensuite alerter à son tour : soit en accompagnant la victime auprès d'un supérieur, soit en allant directement voir l'employeur ou les partenaires sociaux. 

L'essentiel est de faire comprendre à la victime qu'elle n'est aucunement responsable de ce qui lui arrive. Avec la "Ligue du LOL", on observe chez les victimes une inversion de la culpabilité. Beaucoup d'entre elles se sont dit : "S'ils s'en prennent à moi, c'est bien que je ne vais jamais m'en sortir dans le monde des médias". Nombre d'entre elles ont changé de métier. C'est comme ça qu'on empêche plein de gens compétents d'avoir une carrière professionnelle et qu'on entretient les mêmes logiques de pouvoir.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.