Projet de loi sur l'immigration : le guide de survie pour comprendre les débats qui s'ouvrent à l'Assemblée nationale
"Maintenant, le vrai combat commence", assène Pierre Cazeneuve. Pour l'élu Renaissance, "il est extrêmement important que l'on puisse montrer que l'on est capable de faire passer un texte ambitieux". Dans la majorité, l'heure est donc à la mobilisation. Les députés s'apprêtent à examiner, en commission des lois, du 27 novembre au 3 décembre, le très sensible projet de loi sur l'immigration. L'examen dans l'Hémicycle est prévu un peu plus tard à partir du 11 décembre.
Le texte, porté par Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, n'est plus tout à fait celui du gouvernement, mais la version des sénateurs. En l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, le sort du projet de loi "pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration" semble incertain. L'éventualité d'un 49.3 est dans toutes les têtes, même si la majorité l'écarte à l'heure actuelle. Franceinfo vous livre les clés pour décrypter les débats au Palais Bourbon.
Le Sénat a durci le projet de loi
La mouture sénatoriale n'a rien à avoir avec le projet de loi initial. Les sénateurs et sénatrices ont adopté le projet de loi, le 14 novembre, par 210 voix pour et 115 voix contre – en l'amendant largement. Après cinq jours et quatre nuits de débats parfois houleux, la majorité sénatoriale de droite et du centre est parvenue à faire de cette réforme sensible un outil de "fermeté". "On ne voyait pas comment un accord au Sénat était possible avec un volet sur les régularisations [des travailleurs sans-papiers]. Or, ça a été fait, le compromis est toujours possible", vante le cabinet de Gérald Darmanin.
Sur le fond, les sénateurs ont supprimé le fameux article 3 du texte initial, qui proposait de régulariser de "plein droit" les personnes en situation irrégulière travaillant dans des "métiers en tension", où la main-d'œuvre manque. Ils l'ont remplacé par un article 4 bis. Ce dernier prévoit un titre de séjour accordé par les préfets "au cas par cas" et "à titre exceptionnel" dans une "procédure strictement encadrée" et assortie de conditions, dont le respect des "valeurs de la République".
Les élus de la chambre haute du Parlement ont également voté la suppression de l'aide médicale d'Etat (AME) pour la remplacer pour une "aide médicale d'urgence" bien plus restreinte. Ils ont aussi durci drastiquement les règles pour percevoir les allocations pour les étrangers, remis en cause le droit du sol et limité les possibilités de regroupement familial.
Le texte va encore être modifié
Plus de 1 500 amendements ont été déposés en vue de l'examen du texte en commission des lois. Contrairement à la réforme des retraites, La France insoumise n'a pas misé sur l'obstruction. "Notre stratégie en commission n'a pas été celle-ci. Elle consiste à détruire ce que le Sénat a déposé, explique le député insoumis Andy Kerbrat. Avant son passage dans l'Hémicycle, nous devons revenir à un texte discutable." L'examen du texte en commission devrait donc aller à son terme.
Du côté de la gauche, on souhaite épurer la copie du Sénat. "Soixante-trois amendements de suppression au stade de la commission de notre part, ça doit constituer un record", confie le député socialiste Hervé Saulignac, qui s'attend à une discussion "rock and roll !" Plusieurs amendements vont également être portés par l'ensemble des quatre groupes (EELV, PS, PCF et PS), notamment sur la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers, sur l'interdiction de l'enfermement des mineurs ou sur l'interdiction des tests osseux pour vérifier l'âge des mineurs isolés étrangers.
La majorité entend, elle aussi, modifier la version adoptée par les sénateurs. En particulier la mesure sur la régularisation des clandestins travaillant dans les métiers en tension. Le rapporteur général, Florent Boudié, a ainsi déposé un amendement en ce sens, qui fait consensus dans le camp présidentiel. Le préfet n'aurait plus "un pouvoir discrétionnaire", comme le prévoit la version du Sénat. Désormais, le représentant de l'Etat devra notifier son refus d'une demande de régularisation en se fondant sur des motifs inscrits dans la loi, tels que la menace grave à l'ordre public ou des agissements contraires aux principes des valeurs de la République. Le MoDem a, par ailleurs, déposé un amendement visant à rétablir l'article 4, supprimé par le Sénat, sur la possibilité donnée aux demandeurs d'asile de certains pays de travailler dès le dépôt de leur demande.
La gauche, la droite et l'extrême droite s'y opposent
Le camp présidentiel a l'obligation de trouver des alliés pour faire adopter le texte. Or, la droite, qui aurait pu constituer le partenaire de la majorité sur ce projet de loi, ne semble pas pressée d'apporter des voix au gouvernement. Au contraire. "L'objectif pour nous est de continuer à durcir le texte", a prévenu Olivier Marleix à la mi-novembre. Le patron du groupe LR a d'ailleurs martelé qu'il déposerait une motion de censure en cas de 49.3. Il conditionne aussi la position des Républicains à l'attitude qu'aura la majorité lors de l'examen d'une proposition de loi constitutionnelle sur l'immigration, lors de leur niche parlementaire du 7 décembre. "On ne va pas taper très fort", confie un influent député de la majorité, dans l'espoir de ne pas braquer les 62 élus LR.
Du côté de la gauche, les différents partis s'opposent fermement à ce texte jugé bien trop dur. "Il faut regarder les faits, pas les fantasmes sur l'immigration, estime le député écologiste Benjamin Lucas. On récuse l'analyse initiale du texte sur un risque de 'submersion' [migratoire], sur la peur et les mensonges qui entourent ce débat depuis 40 ans." Néanmoins, certains pourraient soutenir le volet concernant les régularisations dans les métiers en tension. En témoigne la tribune transpartisane publiée dans Libération en faveur de la régularisation des travailleurs clandestins et signée par des députés socialistes, écologistes et communistes.
De son côté, le Rassemblement national est a priori résolument opposé au texte. "Je ne vais pas le voter", a ainsi affirmé Marine Le Pen, qui préside le groupe RN à l'Assemblée, le 17 octobre sur France 2. Le projet de loi "ne va pas apporter des outils supplémentaires pour expulser tous ceux qui, dans notre pays, représentent un danger", expliquait-elle alors. Une dizaine de jours plus tard, l'ancienne candidate à la présidentielle a déclaré pourtant sur France 3 : "Une petite loi avec des petites mesures, qui améliorent un tout petit peu la situation, on peut la voter." Nouveau revirement sur France Inter, le 24 novembre : "Comme je ne suis pas un lapin de l'année, ce n'est pas parce que l'on me dit l'article 3 s'appelle l'article 4 bis que je vais le voter. Je sais que c'est le même", a assuré la patronne des députés d'extrême droite.
La majorité veut éviter un 49.3
Les négociations s'annoncent donc âpres pour faire passer le texte. En attendant, la majorité s'accroche à quelques signaux positifs : le patron des socialistes, Olivier Faure, a ainsi prévenu, le 31 octobre, sur France 2, qu'il ne voterait pas une éventuelle motion de censure de la droite, car elle irait "plus loin encore que ce que veut le gouvernement". Même tonalité chez les écologistes. "Une motion de censure qui reprend les fondamentaux du RN sur l'immigration, vous imaginez bien que nous ne la voterons pas", a confié la députée Sandra Regol dans L'Opinion.
Le rapporteur général Florent Boudié se réjouit également de compter comme alliés les 21 membres du groupe indépendant Liot, avec la nomination d'Olivier Serva comme rapporteur. "Il n'y a pas de deal à ce stade", contredit cependant le député Benjamin Saint-Huile. "On a accepté le poste de rapporteur sans que ça n'engage quoi que ce soit sur le vote." La future position de ce groupe hétéroclite dépendra du retour à l'équilibre du texte entre "fermeté" et "humanité".
"La voie de passage existe avec une majorité unie et solide, avec Liot, quelques LR qui votent pour et d'autres qui s'abstiennent et un peu de gauche sur certains points", veut néanmoins croire Pierre Cazeneuve. "On ne va pas chercher le vote des LR, mais une abstention serait déjà pas mal", abonde un cadre de la majorité. Certains misent d'ailleurs sur les divisions en interne du groupe de droite pour arracher ces abstentions. Dimanche 26 novembre, dans le journal La Tribune, dix-sept députés LR se disent ainsi prêts à voter le projet de loi "si prévaut l'esprit du projet du Sénat" à l'issue de son examen à l'Assemblée ; une position plus ouverte que la direction du groupe et qui peut faire espérer ces abstentions. Elles sont en effet indispensables pour éviter un 49.3, dont ne veut pas la grande majorité des députés macronistes.
"Si le jour du vote solennel on est à trois voix près, je pense qu'il faut aller au vote. Quitte à perdre."
Florent Boudié, député Renaissance de Girondeà franceinfo
Mais, déjà, des voix dissonantes se font entendre. "Si on n'arrive pas à avoir un terrain d'entente au sein de la majorité, la messe est dite, mais si on a la capacité de trouver une rédaction commune satisfaisante, nous aurons la possibilité d'utiliser tous les outils de la Constitution à notre disposition", livre la députée Renaissance Stella Dupont. "Le 49.3 ne doit ni être exclu par principe, ni décidé avant la discussion", tranche le député Horizons Philippe Pradal. Si jamais le gouvernement passait en force pour faire adopter son texte, le risque d'une motion de censure adoptée cristallise depuis plusieurs mois l'angoisse des macronistes.
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