Interdire la prostitution, ça change quoi ?
Une proposition de loi sur le sujet doit être déposée mardi 6 décembre à l'Assemblée nationale. Le point sur les conséquences d'une telle mesure dans les pays qui l'appliquent.
Des députés de tous bords s'accordent : il faut poursuivre les clients de prostituées. Une proposition de loi sur le sujet, prévoyant une peine allant jusqu'à six mois de prison et 3 000 euros d'amende, sera déposée mardi 6 décembre à l'Assemblée nationale.
La France, qui punit le racolage depuis 1946 et est devenue un pays abolitionniste en 1960, n'a cependant jamais pénalisé les clients des prostituées, contrairement à certains pays. Qu'est-ce que cette mesure change chez nos voisins européens qui l'appliquent ?
• Dans quels pays les clients de prostituées sont-ils punis par la loi ?
C'est l'exemple suédois qui inspire la proposition de loi française. Il sert souvent de modèle aux pays qui ont décidé d'interdire la prostitution. Adoptée en janvier 1999, la loi suédoise rend illégal le fait "d'acheter un service sexuel" et pénalise les clients.
De son côté, le Parlement finlandais a voté en 2006 une loi instituant une peine de six mois de prison pour les clients de prostituées. L'Islande applique ce type de législation depuis avril 2009, la Norvège depuis janvier de la même année. Ce pays va même plus loin : il punit aussi l'achat de prestations sexuelles à l'étranger. La première condamnation pour ce type d'infraction, récente, a fait du bruit : le client était un député de la droite populiste norvégienne, Bard Hoksrud. Cet homme marié et père de deux enfants s'est vu infliger, le 22 septembre 2011, une amende de près de 3 200 euros.
• Quels sont les résultats ?
En Norvège, un peu plus d'un mois après l'entrée en vigueur de la loi, 23 hommes ont été interpellés, d'après Le Mouvement du nid, une association qui milite en faveur de l'abolition de la prostitution. Vingt ont accepté une amende comprise entre 900 et 1 000 euros. Les trois autres ont porté l’affaire devant les tribunaux.
Selon un rapport du gouvernement suédois rendu le 2 juillet 2010, cette loi aurait eu les effets escomptés : entre 1999 et 2008, la période étudiée, la prostitution de rue a diminué. Avant la pénalisation des clients, "13,8 % des hommes en Suède avaient 'acheté quelqu'un'". Depuis, la proportion est tombée à 7,8 %, a rappelé mardi 29 novembre l'avocate féministe suédoise Gunilla Ekberg, lors d'une réunion à l'Assemblée nationale d'associations abolitionnistes. Mais à sa publication, ce rapport a aussi été très critiqué en Suède.
• Quelles sont les limites ?
"Dans le rapport, il est affirmé que la loi a eu un effet modérateur sur la traite sexuelle mais aucune preuve n’est offerte", affirme ainsi Laura Augustin, experte du trafic de femmes et de la prostitution en Suède, dans une tribune parue le 15 juillet 2010 dans le quotidien Svenska Dagbladet. La loi aurait déplacé la prostitution ailleurs, sur internet notamment, poursuit-elle en précisant que le rapport "souffre de trop nombreuses erreurs scientifiques". Le texte de Laura Augustin a relancé le débat en Suède.
Même constat en Norvège. Selon le gouvernement, la loi de 2009 a permis de diminuer le nombre de clients. "Il n'y a aucune preuve basée sur une recherche ou une étude qui permet de confirmer cette affirmation", rétorque Astrid Renland, membre de l'Association norvégienne pour l'intérêt des prostituées, interrogée par FTVi. "Il est encore trop tôt pour dresser un bilan", renchérit un chercheur norvégien, Synnove Okland Jahnsen. La conclusion rejoint finalement celle de la Suède : il est difficile d'évaluer l'efficacité de ce type de loi.
"De toute façon, ces chiffres relèvent de l'idéologie. La prostitution est peut-être moins visible avec cette loi mais elle a pu devenir clandestine. Chaque fois qu'il y a prohibition, cela fait fleurir la mafia autour de la prostitution. Dans ce cas, difficile de savoir si elle augmente ou diminue", estime Marie-Elisabeth Handman, enseignante-chercheuse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui travaille sur la prostitution depuis 2002.
• Quelles pistes en France ?
Pour donner un impact plus important à la loi, le député UMP Guy Geoffroy propose, dans un rapport d'information rendu en avril 2011, de mener des actions de communication six mois avant son entrée en vigueur. Elles s'adresseraient aux clients des prostituées.
Pour Marie-Elisabeth Handman, "il faut plutôt punir les proxénètes. Sur ce point, l'arsenal législatif français devrait largement suffire". Mais les députés ne semblent pas s'en satisfaire et voient dans la pénalisation des hommes qui fréquentent les prostituées "la meilleure piste pour voir diminuer la prostitution en France". Sans demander leur avis aux intéressées.
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