Cet article date de plus d'un an.

Inscription de la "liberté" de recourir à l'IVG dans la Constitution : trois questions qui se posent après l'annonce d'Emmanuel Macron

Le chef de l'Etat a annoncé qu'un projet de loi portant révision de la Constitution serait "préparé dans les prochains mois".
Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Emmanuel Macron lors d'un hommage national à l'avocate féministe Gisèle Halimi, le 8 mars 2023 au palais de justice de Paris. (MICHEL EULER / AFP)

L'annonce a été faite à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, lors d'un hommage national à l'avocate féministe Gisèle Halimi, mercredi 8 mars. Emmanuel Macron a annoncé sa volonté d'inscrire dans la Constitution la "liberté" de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), dans le cadre de sa future réforme des institutions. "Les avancées issues des débats parlementaires, à l'initiative de l'Assemblée nationale puis éclairées par le Sénat, permettront, je le souhaite, d'inscrire dans notre texte fondamental cette liberté dans le cadre du projet de loi portant révision de notre Constitution, qui sera préparé dans les prochains mois", a déclaré le chef de l'Etat au palais de justice de Paris.

Plusieurs associations féministes ont salué cette annonce du président de la République. Dans un communiqué, la Fondation des femmes a ainsi évoqué une "victoire pour les associations féministes qui demandaient la constitutionnalisation de l'IVG depuis des années". "Les féministes du monde entier regardent la France", a réagi de son côté le Planning familial. Franceinfo revient sur les questions qui se posent après cette décision d'Emmanuel Macron. 

1 Que propose le texte en cours d'examen au Parlement ?

L'Assemblée nationale puis le Sénat ont examiné une proposition de loi constitutionnelle spécifique sur l'avortement, présentée par des parlementaires. Celle-ci doit être approuvée dans des termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis être soumise à référendum. Fin novembre, l'Assemblée nationale avait adopté en première lecture, par 337 voix pour, 32 contre et 18 abstentions, la proposition de l'inscription dans la Constitution – à travers un nouvel article, le 66.2 – de la formulation suivante : "La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse." 

Début février, le Sénat a à son tour adopté, par 166 voix contre 152, l'inscription dans la Constitution de la "liberté de la femme" de recourir à l'IVG. Le texte adopté en première lecture par les sénateurs, qui doit retourner à l'Assemblée nationale, abandonne la notion de "droit" et propose une inscription différente dans la Constitution. Il vise à compléter l'article 34, qui porte sur la définition générale de la loi et son domaine d'application, avec cette formule : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Selon le sénateur LR Philippe Bas, cette formulation formaliserait dans la loi fondamentale une liberté "déjà reconnue par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001, qui lui a donné valeur constitutionnelle." 

Après ces deux votes, les deux chambres devaient donc adopter la proposition de loi constitutionnelle précisément dans les mêmes termes, puis cette adoption devait être validée par référendum. "La nécessité de ce recours au référendum représente une contrainte forte pour l'aboutissement définitif des propositions de loi constitutionnelles", souligne le Sénat sur son site

2 En quoi la proposition d'Emmanuel Macron est-elle différente ?

L'annonce du chef de l'Etat porte sur un projet de loi constitutionnel. Contrairement à une proposition de loi constitutionnelle, ce projet de loi ne requiert pas l'organisation d'un référendum. C'est notamment par ce biais qu'avait été abandonné le mandat de sept ans du président de la République en faveur du quinquennat, en 2000. " Il est facile pour le président de reprendre la proposition pour s'épargner les aléas d'un référendum qui représente toujours un risque", expliquait à franceinfo le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, après le vote de l'Assemblée. 

Un projet de loi constitutionnel peut être voté par le Parlement réuni en Congrès, avec une majorité des 3/5e. Cette option s'annonce donc plus simple pour garantir l'inscription de la "liberté" de recourir à l'avortement dans la Constitution. Néanmoins, il ne s'agirait pas d'un projet de loi constitutionnel portant spécifiquement sur cette "liberté", mais du "projet de loi portant révision de notre Constitution", comme l'a fait savoir mercredi Emmanuel Macron. Ce nouveau cheminement n'est pas sans risque, du fait des difficultés à faire voter de vastes réformes institutionnelles.

Car ce projet de loi constitutionnel pourrait intégrer de grandes réformes des institutions. Plusieurs pistes sont évoquées : une révision du découpage des régions, le retour au septennat, un nouveau calendrier électoral, ou l'introduction de la proportionnelle. Emmanuel Macron a discrètement rouvert début février ce chantier, présenté par son camp comme l'un des grands chantiers de l'après-réforme des retraites. 

3 Qu'implique le fait d'inscrire dans la Constitution la "liberté" plutôt que le "droit" à l'IVG ?

Dans sa déclaration mercredi, Emmanuel Macron a employé le terme de "liberté" retenu par le Sénat, une option  "plus consensuelle", a précisé son entourage à franceinfo. Le choix de ce terme implique-t-il une différence importante pour le respect du droit à l'IVG, par rapport au choix d'inscrire le terme "droit" dans la Constitution ? Interrogée à ce sujet par Le Monde (article réservé aux abonnés), la professeure de droit public Anne Levade, présidente de l'association française de droit constitutionnel, explique que la notion de "droit" à l'IVG implique "un droit de créance, une obligation positive qui ferait que l'Etat doit tout mettre en œuvre pour faire en sorte qu'il soit effectivement exercé". 

La formulation privilégiée par le Sénat, autour d'une "liberté", "vient en réalité consacrer textuellement ce qui est déjà la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet", poursuit la professeure auprès du quotidien du soir. "A chaque fois qu'il a eu à examiner un texte relatif à l'IVG, il l'a fait en rattachant le recours à l'IVG à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen." Celui-ci affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Le Sénat, avec sa formulation, "renforce" la jurisprudence du Conseil constitutionnel mais "ne consacre pas un droit qui impose des obligations à l'Etat", développe Anne Levade auprès du Monde. Des spécialistes interrogés par franceinfo rappellent, en parallèle, que les notions de "liberté" et de "droit" sont fortement protégées par la Constitution.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.