Macron veut inscrire l'IVG dans la Constitution : "Ça dépasse nos propres rêves", réagit Claudine Monteil, historienne proche de Simone de Beauvoir
Ça "dépasse nos propres rêves", a réagi ce jeudi sur franceinfo Claudine Monteil, historienne et plus jeune signataire à 21 ans du Manifeste des 343 femmes qui appelaient en avril 1971 à légaliser l’avortement, alors qu'Emmanuel Macron a annoncé mercredi vouloir inscrire l'Interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. "C'est un jour important. C'est un jour historique", a déclaré l'amie personnelle de Simone de Beauvoir et de l'avocate Gisèle Halimi. Mais l'historienne assure que la "menace" d'une remise en question de l'avortement "existe plus que jamais aujourd'hui" en France. Elle a témoigné des mots que Simone de Beauvoir lui a adressés alors que la loi Veil venait d'être votée en 1974 : "Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante".
franceinfo : Comment réagissez-vous à la proposition du chef de l'État ?
Claudine Monteil : En 1971, le mot avortement était un mot tabou de la société française. 52 ans plus tard, la jeune génération de parlementaires, de sénatrices et de sénateurs qui amène ce projet pour la Constitution avec l'accord du président de la République dépasse nos propres rêves. Notre rêve, c'était déjà simplement que l'on parle de la question de l'avortement dans les familles, que la société française regarde ce problème et que les femmes ne continuent pas, surtout dans les milieux défavorisés, à avoir des avortements sur des tables de cuisine avec des aiguilles à tricoter et ayant des séquelles pour le restant de leur vie. C'est un jour important. C'est un jour historique. Mais je voudrais rappeler ce que me disait Simone de Beauvoir en 1974, c'est-à-dire au moment où la loi a été adoptée. Je suis arrivée pleine d'enthousiasme chez elle. J'avais 24 ans et nous étions très proches. Nous nous voyions chaque semaine pour militer. Je lui ai dit : "Simone, ça y est, nous avons gagné"! Elle m'a dit cette phrase qui est devenue historique : "Non, nous n'avons pas gagné de manière permanente, nous avons gagné de manière temporaire. Il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilante".
Cette menace existe encore aujourd'hui ?
Cette menace existe plus que jamais aujourd'hui. En France aussi. Elle peut redevenir une menace un jour ou l'autre, dans le sens aussi où c'est difficile en France aujourd'hui, d'obtenir un avortement dans de bonnes conditions et à temps. Bien sûr la situation est bien meilleure que dans de nombreux pays, notamment en Europe, en Pologne par exemple, ou même aux Etats-Unis, on voit la catastrophe vers laquelle on se dirige. Je connais bien le mouvement féministe américain depuis plus de 50 ans. Dans certains états américains, on va vérifier vos courriers, vos mails si vous voulez avoir une pilule [abortive]. On est dans une situation où ça peut empirer. Quand on voit ce qui se passe en Iran et en Afghanistan et même en Europe, c'est fondamental.
Lors de l'hommage à Gisèle Halimi mercredi, Emmanuel Macron a utilisé le mot de "liberté" et non pas "droit". C'est une nuance importante ?
Mon sentiment, c'est que le mot droit est beaucoup plus approprié que le mot liberté. Mais en même temps, il faut penser à la réalité politique du pays, c'est-à-dire qu'il faut absolument inscrire ce projet, ce droit ou cette liberté à l'IVG dans la Constitution.
Inscrire le mot "droit", c'est prendre le risque de lancer le débat sur la clause de conscience des médecins ?
C'est très important de ne pas toucher à cet équilibre-là parce que c'est un moment historique dont il faut profiter et qu'il faut réaliser. C'est maintenant. Et si le mot "liberté" peut donner la possibilité que le projet soit adopté, alors il faut y aller. Mais bien sûr, je soutiens amplement et je félicite les parlementaires et les sénatrices et sénateurs qui se battent pour que ce soit le mot "droit" qui soit inscrit. Mais s'ils n'y parviennent pas, il faut quand même accepter le mot "liberté."
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