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Procès Outreau : à la barre, Jonathan Delay s'accroche à ses "images" de Daniel Legrand

Le fils de Myriam Badaoui et de Thierry Delay, reconnu victime de viols par ses parents et deux personnes dans ce dossier, a mis en cause pour la première fois Daniel Legrand, lors de la deuxième journée du procès de l'accusé. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Jonathan Delay, partie civile au procès de Daniel Legrand, à son arrivée à la cour d'assises des mineurs de l'Ille-et-Vilaine à Rennes le 19 mai 2015.  (DAMIEN MEYER / AFP)

Il attend ça "depuis dix ans". Mais l'épreuve a été rude. Jonathan Delay a été entendu par la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, mercredi 20 mai. Il s'est constitué partie civile au procès de Daniel Legrand, accusé de l'avoir violé, lui et ses trois frères, Chérif, Dimitri et Dylan. L'accusé avait été acquitté des mêmes faits en 2005. Mais seulement pour la période après sa majorité. 

L'enfant-martyr, reconnu victime de quatre adultes (dont ses parents, Myriam Badaoui et Thierry Delay) dans l'affaire d'Outreau, est devenu un jeune homme de 21 ans. Chevelure brune bouclée, bouille ronde aux yeux rieurs et veste de complet grise, il s'avance à la barre. Sa voix est douce, hésitante. Mais il entre rapidement dans le vif du sujet : Daniel Legrand fait partie des gens qui ont abusé de lui. "Je sais qu'il était là, je peux l'assurer, je ne suis pas là devant vous pour mentir", explique-t-il doctement au président, Philippe Dary.

Des "images, pas des souvenirs"

La cour retient son souffle. Peut-il en dire plus ? "J'ai certaines images où je le vois chez mes parents. C'est tout, malheureusement, ce que je peux vous dire." "Ces images, vous les avez en tête depuis combien de temps ?" reprend le magistrat. "Depuis toujours."  Daniel Legrand le regarde, interloqué, fait non de la tête, cherche du regard des soutiens dans la salle.

C'est la première fois que Jonathan Delay met nommément en cause Daniel Legrand dans ce dossier. Et qu'il le reconnaît comme faisant partie de ses agresseurs. Pendant l'enquête et lors des deux premiers procès, il ne l'avait jamais reconnu, ni sur photo ni à l'audience. Comment explique-t-il ce revirement ? Difficilement. "Il était là", se contente-t-il de répondre.  

"Je ne mens pas"

La défense le met en difficulté sur ces "images" qui ne sont pas des "souvenirs". Mais l'attaque la plus directe vient de l'avocat général, qui a trois hypothèses : "Soit c'est vrai, et vous avez des réminiscences tardives. Soit c'est faux, Daniel Legrand ne vous a jamais agressé, mais vous avez des souvenirs reconstruits. Ou alors c'est faux, vous le savez et vous mentez pour obtenir la condamnation du seul qui peut voir son acquittement remis en cause. Une aubaine juridique en quelque sorte." "Je ne mens pas", soutient Jonathan Delay. "Je ne serais pas venu ici si je n'avais rien à lui reprocher", ajoute-t-il.

Le garçon, sourd de l'oreille gauche après avoir été frappé par son père, est légèrement penché pour entendre les questions. Quand le président l'interroge sur les autres acquittés du dossier (13 au total), il se braque et demande une suspension d'audience. Eprouvé, il demandera plusieurs pauses. Jonathan Delay est là pour Daniel Legrand et lui seul. Il veut le faire savoir. Les autres ? Ils ont été "acquittés" ou il ne se souvient plus. Il avait pourtant mis en cause certains d'entre eux à l'époque. 

L'un des six avocats de Daniel Legrand, Hugues Vigier, résume : "Vous n'avez pas de souvenirs pour des gens que vous avez mis en cause à l'époque, mais vous en avez pour le seul que vous n'avez jamais mis en cause à l'époque."

Cramponné au dossier

Quand la défense insiste pour obtenir de plus amples détails sur ses accusations, Jonathan Delay se retranche en évoquant les PV d'audition et le "dossier". Notamment sur le meurtre d'une fillette en Belgique, dont il aurait vu le corps, "enroulé dans du balatum et caché sous son lit". "Je ne fais que répéter ce que j'avais dit à l'époque", fait-il valoir, assurant se souvenir "un peu, mais sans plus". L'affaire, disjointe du volet pédophilie, a fait l'objet d'un non-lieu en 2007. Quant aux scènes de zoophilie dans une ferme en Belgique, "à l'entendre, ça a l'air fantaisiste, mais si c'est dans le dossier…" se justifie le jeune homme.
 
Au fur et à mesure, Daniel Legrand se ragaillardit. Il a presque le sourire. Badine avec le dessinateur d'audience, demande à voir ses croquis. En marge des débats, il déclare aux journalistes que la cour ne "peut plus croire" Jonathan Delay. "Ils ont compris qu'il disait n'importe quoi, que ça n'avait pas de sens", lance-t-il avec aplomb. Sa défense se frotte les mains. "Je pense que c'est un grand pas, car c'est une accusation qui s'effrite totalement", affirme Me Frank Berton à l'issue de la journée. Pour lui, Jonathan est "un gamin" qui a été "jeté en pâture par des révisionnistes" qui voient dans ce procès l'occasion de remettre en cause les acquittements d'Outreau. Dans le cas présent, seule une condamnation éventuelle de Daniel Legrand est en jeu.
 

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