Affaire Vincent Lambert : ce qui oppose l'épouse et la mère
Les deux femmes s'affrontent sur le devenir du trentenaire tétraplégique en état de conscience minimale. Ces deux visions inconciliables amènent le Conseil d'Etat à se pencher sur ce cas. Il doit rendre une décision déterminante.
C'est une tragédie familiale dans laquelle s'affrontent la mère et l'épouse. "Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d'amour", confie la femme de Vincent Lambert. Pour sa mère, au contraire, il s'agit de protéger son fils de la "mort", de "l'assassinat". Vincent Lambert, âgé de 39 ans, est tétraplégique en état de conscience minimale à la suite d'un accident de la route survenu en 2008. Son devenir et sa fin de vie opposent deux femmes, deux visions. En attendant la décision déterminante que doit rendre le Conseil d'Etat le 24 juin, francetv info revient sur les combats que mènent la mère et l'épouse de Vincent Lambert.
Un protocole de fin de vie accepté par l'épouse
Vincent Lambert perd le contrôle de son véhicule, un matin de septembre 2008, en se rendant à son travail, dans la Marne. Cet infirmier de 32 ans, père d'une petite fille de trois mois, tombe dans le coma avant d'en sortir dans un état "pauci-relationnel". Il a des manifestations telles que des rires ou des pleurs, mais elles ne correspondent pas à des émotions. Un état proche du "végétatif".
A ses côtés, sa femme, Rachel, lui rend visite tous les jours, souvent accompagnée de sa fille. Pendant longtemps, elle se bat pour le sortir de sa torpeur. Après un court séjour à Reims (Marne), Vincent Lambert est transféré à l'hôpital maritime de Berck (Pas-de-Calais), spécialisé dans la rééducation neurologique, avant d'être hospitalisé à Liège (Belgique) dans le centre de recherche Coma Science Group. Les conclusions des médecins évoquent "un degré sévère" de déficience neurologique. Ils proposent l'euthanasie, que son épouse refuse.
Retour à Reims, dans le service du docteur Eric Kariger. En février 2013, près de cinq ans se sont écoulés depuis l'accident. Quatre-vingts séances d'orthophonie n'ont pas permis d'établir de communication avec le malade. Rachel Lambert comprend que son époux ne sortira jamais de son état de conscience minimale. Infirmière comme son mari, elle observe ce dernier survivre, impuissante. Elle constate comment il "enroule ses bras" comme "signe de souffrance neurologique". Elle finit par accepter la décision médicale, à savoir l'arrêt de la nutrition artificielle, son unique traitement. "Je savais que c'était une vie dont il n'aurait pas voulu. Nous sommes tous les deux infirmiers, nous en avions parlé", confie-t-elle. L'équipe du docteur Kariger démarre le protocole de fin de vie encadré par la loi Leonetti. Mais les parents, Pierre et Viviane Lambert, refusent ce choix auquel ils n'ont pas été associés. C'est la rupture familiale.
"Une farouche volonté de vivre"
Habitant dans le Sud, les parents de Vincent Lambert rendent visite à leur fils quatre à cinq fois par an et gardent l'espoir d'une rémission. Après l'annonce du processus de fin de vie, ils attaquent la décision de l'hôpital en justice. "Nous, les parents, avons été informés dix-sept jours après que l'alimentation a été stoppée !" déclare Viviane Lambert au Figaro (article payant). Pendant 31 jours, le patient n'est plus alimenté, jusqu'au jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en mai 2013, qui ordonne d'interrompre le processus de fin de vie. La mère de Vincent Lambert parle alors de "farouche volonté de vivre" de son fils.
Dans un entretien au Monde, l'épouse de Vincent Lambert décrit, elle, une situation d'une "violence inouïe au regard du long cheminement psychologique autour de sa fin de vie (...) et des souhaits qu'il avait exprimés antérieurement. Je n'avais jamais vu Vincent autant apaisé que pendant l'arrêt des soins."
Rachel Lambert découvre la loi Leonetti à travers le cas de son mari, irrémédiable. "Je me suis dit qu'il n'y aurait désormais pour Vincent plus rien d'autre que de la souffrance, pendant des années, jusqu'à ce qu'il s'éteigne pour une raison ou pour une autre", raconte-t-elle au Monde.
Deux visions de la société
Au-delà de la rupture familiale, entre l'épouse et la mère, ce sont deux conceptions de société qui s'affrontent. Proche de la fraternité Saint-Pie X, un mouvement catholique intégriste en rupture avec le Vatican, Viviane Lambert s'oppose à l'euthanasie. Le père, gynécologue, a milité contre l'interruption volontaire de grossesse. Il a notamment dirigé l'association Laissez-les vivre dans l'Indre.
La société civile s'empare également du débat. Les milieux catholiques traditionalistes se rangent du côté des parents sur des blogs (Riposte catholique, le Salon beige) et sur les réseaux sociaux. Plusieurs pages Facebook de militants contre l'euthanasie ont vu le jour pour protester contre l'interruption de l'alimentation encadrée par la loi Leonetti, qui toutefois ne relève pas de l'euthanasie.
Au débat s'ajoutent les réactions politiques. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'est personnellement exprimée au micro d'Europe 1 contre l'acharnement thérapeutique et pour une évolution de la loi. "C'est une affaire très douloureuse qui montre que la loi actuelle comporte des parts d'ombre. Elles doivent être levées. Il faut faire évoluer le cadre législatif : on voit bien que cela ne répond pas aux situations, celle de M. Lambert et d'autres situations."
Quelques mois après la première décision de justice, une seconde réflexion débute en septembre 2013. Il s'agit d'y associer plusieurs médecins ainsi que l'ensemble des membres de la famille : l'épouse et le neveu de Vincent d'une part, les parents, une sœur et un demi-frère d'autre part. Viviane Lambert trouve que l'état de santé de son fils s'est amélioré. "Depuis qu’il est réalimenté, il sourit, alors que la semaine dernière, il manifestait une grande tristesse", affirme-t-elle.
Après une seconde décision des médecins d'entamer un protocole de fin de vie, le tribunal administratif ordonne une nouvelle fois, en janvier 2014, la fin du protocole, tranchant une fois de plus en faveur des parents. Deux semaines après le jugement, l'épouse de Vincent Lambert décide de faire appel devant le Conseil d'Etat pour obtenir l'annulation de la décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Le Conseil d'Etat doit rendre son jugement mardi 24 juin. S'il revient sur la décision médicale, cela fera jurisprudence.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.