"Apologie du terrorisme" : on vous explique pourquoi Mathilde Panot et d'autres personnalités sont convoquées par la justice

Depuis l'attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier, 390 signalements ont été effectués auprès du Pôle national de lutte contre la haine en ligne, selon le parquet de Paris. Parmi eux, certains concernent des personnalités ou organisations de gauche.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
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La députée de La France insoumise (LFI) Mathilde Panot, lors d'une manifestation de soutien au peuple palestinien, le 13 janvier 2024, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

"C'est la première fois dans toute l'histoire de la Ve République qu'une présidente d'un groupe d'opposition à l'Assemblée nationale est convoquée pour un motif aussi grave." Dans un communiqué véhément, la cheffe de file des députés La France insoumise (LFI), Mathilde Panot, a annoncé, le 23 avril, être convoquée par la police dans le cadre d'une enquête pour "apologie du terrorisme". Elle doit être entendue mardi 30 avril, tout comme Rima Hassan.

Comme elle, ces dernières semaines, plusieurs personnalités de gauche ont reçu une missive de la justice dans le cadre de telles procédures. C'est le cas de la candidate LFI aux élections européennes Rima Hassan, de la journaliste et militante antiraciste Sihame Assbague ou encore des étudiants du syndicat Solidaires de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), comme le rapporte Mediapart. A chaque fois, des propos réagissant à l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre sont visés.

Jean-Luc Mélenchon a dénoncé ces convocations sur le réseau X, s'alarmant du fait que "la police convoque sans état d'âme à tour de bras une liste que l'on dit très longue". Selon lui, "toute la sphère politique et intellectuelle anti-génocide est menacée". Mathilde Panot fustige pour sa part une "instrumentalisation grave de la justice visant à bâillonner des expressions politiques".

Des signalements initiés par l'Organisation juive européenne 

La patronne des députés LFI affirme que cette convocation "se fonde" sur le communiqué de son groupe parlementaire, publié sur X en réaction à l'attaque du 7 octobre. Ce texte avait suscité la polémique, notamment parce qu'il mettait en parallèle l'attaque du mouvement islamiste Hamas, décrite comme "une offensive armée de forces palestiniennes", et "l'intensification de la politique d'occupation israélienne" dans les territoires palestiniens.

Dès novembre 2023, l'Organisation juive européenne (OJE), une association pro-Israël qui rassemble principalement des avocats, avait annoncé déposer une plainte pour apologie du terrorisme contre Mathilde Panot. S'il est impossible d'établir avec certitude que la convocation de l'élue est directement liée à cette plainte, le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, assure sur X que "les convocations judiciaires" des derniers jours sont bien à l'initiative de cette organisation. "Madame Panot est convoquée, c'est très bien", a simplement déclaré à l'AFP Muriel Ouaknine-Melki, avocate et présidente de l'OJE.

L'association est également à l'origine de la plainte contre Rima Hassan, d'après une publication sur son compte X. Elle a aussi déposé deux plaintes contre l'humoriste Guillaume Meurice, l'accusant d'antisémitisme après une séquence visant Benyamin Nétanyahou sur France Inter. Ces plaintes ont été classées sans suite, a appris franceinfo, lundi. 

Une réponse pénale demandée par le ministère

Depuis 2014 et une loi du gouvernement de Manuel Valls, le délit d'apologie du terrorisme est passible d'une peine maximale de sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsque les faits sont commis en ligne, selon l'article 421-2-5 du Code pénalAprès les attentats du Hamas, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a signé une circulaire disposant que "la tenue publique de propos vantant les attaques" du mouvement islamiste, "en les présentant comme une légitime résistance à Israël", devait faire l'objet de poursuites. 

Entre le 7 octobre et le 23 avril, 390 signalements ont été effectués auprès du Pôle national de lutte contre la haine en ligne, a appris franceinfo auprès du parquet de Paris. Tous sont en lien avec le conflit Israël-Hamas. A titre de comparaison, en 2022, le parquet avait reçu 500 signalements, toutes thématiques confondues.

Ces signalements proviennent d'associations, "notamment de lutte contre l'antisémitisme et les discriminations", mais aussi du ministère de l'Intérieur. "Il n'y a pas d'autosaisine des parquets", précise la Chancellerie.

"On doit enquêter sur chaque fait que l'on nous dénonce. Lorsqu’une plainte est déposée, elle ouvre automatiquement une procédure, ce n’est pas à notre appréciation. Est-ce que les propos ont bien été tenus dans les termes reprochés, et si oui, dans quel cadre ?"

Le parquet de Paris

à franceinfo

Le parquet de Paris souligne que le Code pénal ne définit pas l'apologie du terrorisme : il faut regarder la jurisprudence en la matière, selon laquelle "trois éléments sont constitutifs du délit d'apologie du terrorisme"

D'abord, le propos concerné doit bien porter sur un acte terroriste. Ensuite, il doit être adressé à l'attention du public. "On ne parle pas d'apologie du terrorisme si une personne déclare quelque chose à son voisin de table et que l'autre voisin de table le dénonce, par exemple", illustre le parquet. Enfin, il faut qu'il y ait un jugement favorable à l'acte terroriste. Une notion qui évolue avec la jurisprudence. Celle-ci dit que l'absence de réprobation morale équivaut à un jugement favorable, tout comme le fait d'apporter une égale considération pour une victime et pour l'auteur d'un acte terroriste. 

De la prison avec sursis pour un syndicaliste

Une fois que le contexte est clarifié, les enquêteurs auditionnent la personne visée. "On l'entend pour qu'elle puisse s'expliquer, sans préjugé sur ce qui lui est reproché", insiste le parquet. Le grand nombre de signalements peut justifier la longueur des délais de convocation. "Mais il paraît de toute façon important de s'expliquer à froid sur des propos tenus dans un contexte aussi tendu", et ce recul est nécessaire aussi pour les professionnels de justice qui doivent analyser les propos dont ils sont saisis.

En convoquant des personnalités politiques aussi exposées que Mathilde Panot, "le parquet ne fait qu'appliquer la procédure, en élucidant les faits portés à sa connaissance", observe Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l'université de Lorraine. 

"Si le parquet ne convoque pas, on lui reprochera d'être laxiste, et quand il convoque, il passe pour un censeur."

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal

à franceinfo

Parmi les entités récemment auditionnées pour des propos tenus dans le cadre des attaques du 7 octobre figure notamment le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Le parti d'extrême gauche assure sur X avoir été convoqué dès novembre pour un communiqué apportant son "soutien aux Palestinien·nes et aux moyens de lutte qu'ils et elles ont choisis pour résister". Il se concluait par le mot "Intifada !". Le directeur de la publication du site du NPA a été entendu, mais n'a eu "aucune nouvelle des suites que pourrait donner le parquet", affirme-t-il à Mediapart.

Jean-Paul Delescaut, responsable de la CGT du Nord, a, lui, été condamné le 18 avril à un an de prison avec sursis et à verser 5 000 euros à l'Organisation juive européenne pour préjudice moral. Il était poursuivi après la diffusion d'un tract datant du 10 octobre. Une phrase avait été particulièrement mise en cause : "Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées." Selon la CGT, Jean-Paul Delescaut et l'union départementale du syndicat ont fait appel.

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