Arbitrage Tapie : Christine Lagarde entendue par la Cour de justice de la République
Pourquoi Christine Lagarde est-elle convoquée ce jeudi ?
L'actuelle
présidente du FMI va être entendue par les trois juges de la Cour de justice de
la République dans le cadre de l'enquête sur l'arbitrage du litige entre
Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais. En 2007, Bernard Tapie et ses liquidateurs
demandent la possibilité de recourir à un arbitrage privé, après que la Cour de
cassation a annulé une décision en leur faveur. Ils se demandent également si l'Elysée a eu une influence dans l'arbitrage.
Christine
Lagarde, alors ministre de l'Economie et des Finances, valide cette
proposition, alors même que les services du ministère du Budget s'élèvent
contre cette décision. Il est également reproché à l'ancienne ministre de ne
pas avoir intenté un recours contre la sentence de ce tribunal arbitral, pourtant
très défavorable à l'Etat : le 7 juillet 2008, le tribunal décide d'octroyer
285 millions d'euros à Bernard Tapie. Avec les intérêts, cela représente une
somme totale de plus de 400 millions d'euros.
La
présidente du Fonds monétaire international est donc visée par une enquête pour
"complicité de faux et détournement de fonds publics". En outre,
d'après les révélations du Monde , la Cour de discipline budgétaire et
financière a publié deux réquisitoires dans lesquels "d'innombrables
irrégularités " sont pointées du doigt. Le Crédit Lyonnais, par
exemple, se serait vu fortement déconseiller de prendre part à l'arbitrage,
alors qu'il n'existe "aucune pièce permettant d'établir la raison de
cette omission ".
Quelles sont les sources du litige ? **
Il
faut remonter au début des années 90 pour comprendre ce qu'il s'est passé.
Quand Bernard Tapie intègre, en 1992, le gouvernement Bérégovoy au poste de
ministre de la Ville, il accepte en échange de lâcher les rênes d'Adidas, acheté
deux ans plus tôt. C'est le Crédit Lyonnais qui est chargé de trouver
repreneur. L'entreprise est achetée en 1993 par un groupe d'investisseurs, piloté par
Robert-Louis Dreyfus, et dont fait partie une filiale du Crédit Lyonnais.
L'ensemble
de l'entreprise est racheté fin 1994 par Robert-Louis Dreyfus, pour une somme s'élevant
presque au double de celle à laquelle Bernard Tapie l'avait vendue. Entretemps,
le Crédit Lyonnais, en faillite, a été pris en gestion par le Consortium de
réalisation (CDR), chargé de liquider la dette de la banque. En 1995, les
liquidateurs du groupe Bernard Tapie attaquent le Crédit Lyonnais en justice.
La banque se cacherait en réalité derrière plusieurs des entreprises qui ont
repris la banque, et en aurait donc été propriétaire, alors qu'elle s'était
engagée à ne pas se porter contrepartie. En outre, la banque et Robert-Louis
Dreyfus auraient signé un accord sur les conditions de la revente de
l'entreprise.
A
deux reprises, en 1996 puis en 2005, le tribunal de Commerce de Paris puis la
Cour d'appel condamnent le CDR à verser une somme à Bernard Tapie. A chaque
fois, la décision est annulée. D'où la demande d'un arbitrage privé.
Comment un litige entre l'Etat et un particulier peut-il être
réglé par un arbitrage privé ?
L'arbitrage,
c'est-à-dire le fait de faire trancher un litige par une structure privée, est
une procédure prévue par le Code de procédure civile, et donc parfaitement
ordinaire. Le point de friction, c'est que le CDR, s'il est bien
une structure privée, dépend d'un établissement public. Or, un litige
concernant l'intérêt public pourrait être considéré comme "pas
arbitrable".
Et
pourtant, l'Etat français a régulièrement recours à ce genre de procédures :
quelque 10 % des arbitrages enregistrés par la Chambre de commerce
internationale de Paris impliquent l'Etat, indique le site Slate . Les juges ont
donc validé la légalité de l'arbitrage, décision confirmée en appel puis en cassation.
Qu'est-ce que cette CJR qui doit entendre Christine
Lagarde ?
C'est
une structure assez récente, créée le 27 juillet 1993. Elle est la seule
instance à pouvoir juger les ministres ou les anciens ministres sur des fautes
commises pendant l'exercice de leurs fonctions. Quinze juges, dont douze
parlementaires et trois magistrats de la Cour de cassation, y siègent.
L'audience
qui attend Christine Lagarde ce jeudi n'est pas un procès. Il s'agit de sa
première audience devant la CJR, au terme de laquelle l'instance décidera
quelles suites donner à l'instruction.
Quelles suites sont envisageables ?
L'hypothèse
la plus probable est celle d'une mise en examen de Christine Lagarde. D'après
Le Monde , c'est même certain : la présidente du FMI a reçu une convocation lui
enjoignant de se présenter devant la CJR en vue de sa mise en examen pour
"complicité de faux et détournement de fonds publics". Toutefois,
Christine Lagarde pourrait finalement être placée sous le simple statut de
"témoin assisté".
Christine Lagarde va-t-elle devoir quitter le FMI ?
Jusqu'à
présent, le conseil d'administration du Fonds monétaire international n'a cessé
de manifester "sa confiance dans la capacité de la directrice générale
à assurer efficacement" ses fonctions. Mais rien, dans les statuts du
FMI, ne l'oblige à quitter l'organisation en cas de mise en examen. Toutefois, dans
ce cas, le conseil d'administration devra se réunir à nouveau pour décider de
l'avenir de sa directrice générale.
Que peut faire le gouvernement ?
Pierre
Moscovici l'a affirmé : "si une atteinte aux intérêts de l'Etat est
avérée, alors Bercy se portera partie civile " dans cette affaire. Mais
le ministère pourrait aller encore plus loin, en choisissant de mener un
recours contre la sentence prononcée par le tribunal arbitral en faveur de
Bernard Tapie. Une voie envisagée "ultérieurement ".
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