Le barème des prud'hommes prévoit un plafonnement des indemnisations pour licenciement abusif, depuis des ordonnances prises fin 2017. Mais est-ce bien conforme aux textes européens ? C'est la question qui a été soumise à la Cour de cassation, dont l'avis doit être rendu public, mercredi 16 juillet. La plus haute juridiction pourrait sonner le glas de ce dispositif décrié par les syndicats ou au contraire le valider, comme l'espèrent le gouvernement et le patronat. Mais elle pourrait aussi choisir de ne pas se prononcer sur le fond, en estimant ne pas être compétente sur ce dossier. Explications.
Qu'a changé la réforme pour les salariés ?
Depuis les ordonnances réformant le Code du travail fin 2017, le plafond se situe entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de l'ancienneté. A titre d'exemple, le plancher est fixé à 15 jours de salaire à partir d'un an d'ancienneté pour les très petites entreprises (moins de 11 salariés). Pour les autres, il est d'un mois à partir d'un an d'ancienneté et le plancher augmente progressivement.
Auparavant, ces indemnités relevaient du libre arbitre des juges prud'homaux, en fonction de la situation du salarié et de la gravité des faits, même s'il existait un référentiel indicatif d'indemnisation. Il y avait également un plancher de six mois de salaire pour les salariés avec plus de deux ans d'expérience dans une société de plus de dix salariés. Cette liberté n'existe plus aujourd'hui qu'en cas de "harcèlement" ou de"violation d'une liberté fondamentale".
L'administration a mis en ligne un simulateur pour consulter les indemnités minimales et maximales susceptibles d'être fixées désormais par le juge prud'homal en cas de licenciement irrégulier. Avec le nouveau système, un patron qui licencie un employé sans cause réelle et sérieuse connaît déjà à l'avance l'indemnité maximale encourue.
Pourquoi ce barème est-il contesté ?
Plusieurs conseils de prud'hommes ont choisi de passer outre le nouveau barème, car ils estiment que les indemnités maximales ne sont pas suffisantes pour réparer les préjudices subis. Depuis fin 2018, des conseillers prud'homaux sont passés outre pour une vingtaine d'affaires, selon le Syndicat des avocats de France. Certains juges estiment en effet que le nouveau barème (article L.1235-3 du Code du travail) contrevient au droit international.
Deux affaires ont été renvoyées en appel, avec des décisions attendues le 25 septembre, l'une à Paris, l'autre à Reims. Les conseils de prud'hommes de Louviers (Eure) et Toulouse (Haute-Garonne) n'ont pas attendu un éventuel pourvoi et ont sollicité, dès le mois d'avril, l'avis de la Cour de cassation pour savoir si le barème était conforme aux textes internationaux.
Plusieurs textes sont invoqués :
• L'article 24 de la Charte sociale européenne (CSE) : "[Les parties s'engagent à reconnaître] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée."
• La convention 158 de l'Organisation internationale du travail (article 10) : "[Les organismes] concernés devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée."
• Le conseil de Louviers fait également référence au droit à un procès équitable protégé par la Convention européenne des droits de l'homme.
Quels sont les arguments des opposants ?
Les avocats de salariés ont critiqué un barème "injuste", qui "sécurise l'employeur fautif". Thomas Haas met en avant la baisse "marquée" des contentieux aux prud'hommes, "jusqu'à -40% dans certains conseils" en 2018, et en a déduit que ce dispositif "dissuade le salarié de saisir la justice". Manuela Grévy dénonce également un système inéquitable. "A ancienneté égale, un salarié de 51 ans peu qualifié dans un bassin d'emploi sinistré et un salarié de 35 ans très qualifié vivant dans un bassin d'emploi très dynamique auront la même indemnité, alors que le préjudice est plus important pour le premier", fait valoir l'avocate. Dans le système précédent, une majoration d'un mois de salaire était prévue si le demandeur était âgé d'au moins 50 ans.
Et ceux des employeurs ?
Les représentants des employeurs ont jugé "trop floues" les notions d'indemnité "adéquate" et "appropriée" figurant dans les textes internationaux. Le barème, "équilibré" en France, est "une tendance lourde en Europe et l'Organisation internationale du travail n'a jamais eu de commentaire désobligeant à ce propos", assure l'avocatFrançois Pinatel, qui intervient pour la société Sanofi et le syndicat d'avocats d'entrepise en droit du travail, Avosial.
Lui et Jean-Jacques Gatineau, avocat du Medef, citent plusieurs autres arguments : ce barème n'est pas appliqué en cas de harcèlement moral ou de discrimination, le licencié peut prétendre à un revenu de remplacement "généreux", selon François Pinatel, avec l'allocation chômage, et la Charte sociale européenne ne peut être appliquée aux "personnes physiques et morales", d'après Jean-Jacques Gatineau, qui ajoute que le droit français prévoit la possibilité de réintégrer le salarié en cas de licenciement abusif, une disposition absente des textes européens.
Et ailleurs en Europe ?
L'avocate générale Catherine Courcol-Bouchard, qui représente l'Etat à la Cour de cassation, juge pour sa part le barème conforme à l'article de l'Organisation internationale du travail, lequel est rédigé dans des "termes volontairement vagues" pour laisser aux Etats une marge de manœuvre, selon elle. Elle estime "irrecevable" le recours à la Charte sociale et s'est dite "perplexe" quant à la référence à l'article 6 de la Convention des droits de l'homme. "Le rôle du juge n'est pas de dire si une mesure est bonne ou mauvaise", a-t-elle souligné. Les positions des avocats généraux ne sont pas toujours suivies par la Cour de cassation.
Pourtant, en septembre 2018, la Cour constitutionnelle italienne avait déclaré non conforme à la Constitution le calcul de l'indemnisation en cas de licenciement abusif – entre 6 et 36 mois –, uniquement basé sur l'ancienneté. Elle aussi s'est appuyée sur l'article 24 de la Charte sociale européenne. Deux ans plus tôt, en Finlande, le Comité européen des droits sociaux avait invalidé le système en vigueur dans le pays, avec un plafond de 24 mois et une déduction de 75% des indemnités chômage. L'instance locale avait considéré que le texte violait l'article 24 de la CSE en ne couvrant pas le préjudice subi dans "certains cas" et en ne prévoyant pas la réintégration du salarié.
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