Comment fonctionne la "justice de proximité" mise en œuvre par Eric Dupond-Moretti ?
Invité de la matinale de franceinfo jeudi, le ministre de la Justice a dévoilé les grandes lignes de cette nouvelle strate judiciaire, d'ores et déjà mise en œuvre.
Le champ d'action de la "justice de proximité" se précise. Invité de la matinale de franceinfo, Eric Dupond-Moretti a livré plusieurs éléments concernant une mesure phare de son passage au ministère de la Justice, jeudi 17 décembre. "Pour des questions de moyens, la petite délinquance n'est pas traitée comme elle mérite de l'être. Et c'est la petite délinquance qui pourrit la vie de nos concitoyens", a estimé le garde des Sceaux. Avec ce dispositif judiciaire, il espère "mettre un terme définitif, au sentiment d'impunité, au sentiment que les Français ont parfois de ne pas voir leur justice réagir assez vite".
Voici trois éléments à retenir sur cette future "justice de proximité".
Un millier de délégués du procureur supplémentaires
Eric Dupond-Moretti a évoqué, jeudi, la charge de travail parfois très lourde qui pèse sur les procureurs. La petite délinquance est traitée "par le procureur de la République, mais il est parfois bien seul et il a beaucoup de travail", a-t-il concédé. Pour lui venir en aide, "des moyens nouveaux et du personnel pour traiter ces questions et les traiter rapidement" vont être mis en place. Les procureurs pourront être secondés par un nombre accru de délégués. Ils vont passer de 1 000 à 2 000 grâce aux 21 millions d'euros supplémentaires prévus dans le budget 2021 de la justice, revu à la hausse de 6%.
"Ces délégués du procureur sont souvent d'anciens gendarmes, d'anciens policiers, d'anciens juristes", a précisé le garde des Sceaux. "Nous allons aussi embaucher 1 000 personnels supplémentaires qui vont être envoyés dans les juridictions (...) A Niort, où je me rends cet après-midi, c'est 10% de personnel en plus, hors magistrats. C'est énorme", s'est-il félicité.
"On essaye de trouver des rustines, car on ne recrute pas suffisamment de magistrats et de greffiers", déplore Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), contactée par franceinfo. "Cette augmentation du budget est utilisée pour recruter des contractuels, donc on ne sait pas combien de temps ils vont rester. Seulement 50 magistrats ont été recrutés cette année, c'est ridicule", pointe-t-elle.
Ces nouveaux délégués du procureur sont amenés à rester "au moins trois ans", selon Le Figaro. Dans un communiqué, le ministère de la Justice ajoute qu'un "décret à paraître dans les prochains jours" va "préciser" leurs missions. Reste que pour que les budgets alloués en 2021 soient maintenus les années suivantes, il faudra que ces juridictions prouvent leur efficacité, qui sera évaluée par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).
Environ 350 infractions concernées
Pour lutter contre les "incivilités", pas moins de 350 délits et infractions pourront être jugés par ces juridictions de proximité. Entrent dans ce cadre :
• Les tapages et nuisances sonores
• Les atteintes à la tranquillité publique (occupation en réunion de hall d'immeubles, intrusion dans des établissements scolaires...)
• Les injures
• Les dégradations
• Les rodéos motorisés
• Les menaces
• Les violences sans incapacité ou inférieure à huit jours
• Les contraventions dans les transports publics
• Les contraventions liées à la possession de chiens dangereux
Les peines encourues peuvent aller d'une amende de 150 euros pour un vapotage dans un train ou un bus, par exemple, à cinq ans d'emprisonnement pour "un vol commis dans un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs".
Rendre justice "là où l'infraction a été commise" dans un délai d'un mois
Le délai de jugement est l'une des principales difficultés de la justice actuellement. Pour aller plus vite, le ministère préconise davantage "d'audiences foraines", c'est-à-dire hors des murs des palais de justice. Ces audiences pourront se dérouler dans les 125 tribunaux de proximité qui ont remplacé les tribunaux d'instance, mais aussi dans 2 000 lieux où l'on pourra "rendre justice". Les procureurs délégués pourront également se rendre dans ces 2 000 maisons de justice et du droit "là où l'infraction a été commise". Entre le dépôt de plainte et la décision de justice, la réponse pénale sera donnée "en quelques jours à un mois", a assuré Eric Dupond-Moretti sur franceinfo.
"Ces lieux de justice existent déjà avec les maisons du droit et de la justice", a commenté Ludovic Friat, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats (USM), sur franceinfo. "Il y a un effet de ripolinage. Ce qui existe déjà, on le reprend." Au sujet des délégués du procureur, qui pourront se rendre "là où l'infraction a été commise", notamment dans les quartiers, a expliqué le garde des Sceaux, le secrétaire de l'USM ne cache pas son scepticisme. "On voit parfois la difficulté pour nos services publics d'y accéder, j'ai un fort doute sur le fait qu'on réussisse à installer un délégué du procureur dans les cités", explique-t-il.
"Le garde des Sceaux demande aux procureurs de prendre des mesures dites 'alternatives aux poursuites' particulièrement adaptées pour répondre dans des délais rapides en évitant un procès", ajoute le ministère de la Justice dans un communiqué. Il préconise aussi davantage le recours à deux mesures qu'il estime "sous-employées" : le "travail non-rémunéré" et "l'interdiction de paraître". Cette dernière "permet par exemple l'interdiction d'entrer en contact avec une victime pour six mois" ou "d'éloigner un jeune d'une bande", écrit la Chancellerie.
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