Dieudonné, un multi-condamné à la posture de victime
Déjà condamné à dix reprises, l'humoriste controversé s'érige en martyr du "système". Laissant les autorités face à un casse-tête.
Comment faire cesser les dérapages de Dieudonné ? L'humoriste polémique fait, depuis lundi 30 décembre, l'objet d'une enquête préliminaire pour incitation à la haine raciale. Le parquet de Paris a ouvert cette enquête après les attaques lancées contre un journaliste de France Inter. "Quand je l'entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage", a déclaré Dieudonné sur scène. Une séquence filmée par France 2.
Après cette nouvelle affaire, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, soutenu par le président de la République, a annoncé qu'il souhaitait interdire ses spectacles. Une démarche "difficile, voire impossible". Reste le front judiciaire. Mais l'humoriste n'en est pas à son coup d'essai.
Une longue liste de condamnations
Dieudonné est un habitué des tribunaux : depuis 2000, il est sous le coup de dix condamnations, comptabilise Arrêt sur images (article payant) qui retrace son parcours judiciaire. Il doit 65 000 euros à la justice depuis 2006, selon Le Parisien (article payant). Mais "il n’a jamais payé le moindre centime", précise le parquet de Paris au quotidien, qui indique que le fisc est en charge du dossier. "Dieudonné, aidé (…) par des proches, a-t-il pu organiser son insolvabilité ?" s'interroge Le Parisien.
Diffamation. En juin 2008, Dieudonné écope en appel de 7 000 euros d'amende après avoir évoqué "l’exploitation du souvenir de la Shoah", qu'il qualifie de "pornographie mémorielle". En 2009, il est condamné à 1 000 euros d'amende et 2 000 euros de dommages et intérêts pour avoir diffamé une journaliste. Il écope en 2010 de 5 000 euros d'amende pour propos diffamatoires à l'encontre de la Licra. Dieudonné a également été condamné au Québec à 75 000 dollars d'amende pour diffamation envers Patrick Bruel.
Injure et provocation à la haine. En novembre 2013, il est condamné à 28 000 euros d'amende en appel pour une vidéo parodiant la chanson Chaud cacao d'Annie Cordy en Shoah nanas, ainsi que pour avoir déclaré : "Les gros escrocs de la planète, ce sont des juifs", dans une interview en ligne. Dieudonné doit se pourvoir en cassation. En 2011, il est condamné en appel à 10 000 euros d'amende pour avoir remis un "prix de l'infréquentabilité" au négationniste Robert Faurisson par un individu déguisé en déporté. Après avoir comparé les juifs à des "négriers", il est condamné en appel, en 2007, à 5 000 euros d'amende. La même année, la Cour de cassation valide sa condamnation pour ses propos assimilant les juifs à une "secte" et à une "escroquerie".
En 2006, la justice le reconnaît coupable d'incitation à la haine raciale après des déclarations sur l'animateur-producteur Arthur, et lui inflige 3 000 euros d’amende. Arthur sera aussi condamné pour injure publique envers Dieudonné. Enfin, ce dernier a aussi écopé de 2 000 francs d'amende en 2000, après avoir traité de "con" l'animateur Patrick Sébastien.
Relaxes. Arrêt sur images souligne que Dieudonné a également été relaxé à cinq reprises dans d'autres procès.
En cours. Dieudonné a comparu le 13 décembre pour injure, diffamation et apologie de crime après ses propos sur l'ex-chef du "gang des barbares", Youssouf Fofana. Il risque 20 000 euros de "jours-amendes", soit 200 jours de prison s'il ne peut s'acquitter de l'amende. Le délibéré est fixé au 7 février.
La victimisation comme stratégie
Ces multiples condamnations contribuent à faire de Dieudonné une victime du "système" auprès de ses fans, lui qui s'érige en héraut "anti-système". "L'humoriste se nourrit directement des mésaventures du citoyen, les met en scène, en abyme plutôt. Le premier narre la persécution dont est l'objet le second", écrit Le Monde(article payant). Le journal note aussi la stratégie efficace de l'humoriste pour remporter l'adhésion de ses aficionados : "Il ne crie pas au martyre individuel, trop malin, mais au calvaire collectif. Car ce n'est pas lui qu'on veut faire taire mais les Français."
De fait, dans une interview publiée le 31 décembre par un site belge qui se présente comme un "site d'informations alternatives", l'humoriste assume cette posture de victime. Alors qu'on lui demande s'il refuse de payer ses amendes pour aller en prison (ce qu'il risque, à terme), la réponse est claire : "Oui, je veux y aller ! Ces procès n’ont pas de sens de toute façon…" Il ajoute : "Tous ceux qui me jugent à Paris appartiennent au Syndicat de la magistrature. Or, l’année dernière, un journaliste a divulgué que dans le hall de ce syndicat existait un 'mur des cons' où, entre autres, il y avait ma photo dessus ! (…) C’est un peu étonnant en termes d’objectivité et de neutralité…"
L'humoriste s'est aussi lancé à son tour dans différentes procédures judiciaires. Il a attaqué, sans succès, une journaliste qui a écrit sa biographie, ainsi que l'ancien député PS de l'Essonne Julien Dray. Plus récemment, Dieudonné a déposé une plainte contre X en visant la Licra, qui voit dans sa "quenelle" "un salut nazi inversé". Le 1er janvier 2014, il a aussi porté plainte après des menaces reçues par téléphone.
Que peut faire le gouvernement ?
L'exécutif a peu de marge de manœuvre. Dieudonné a été condamné à de multiples reprises, preuve que l'arsenal judiciaire existe. Pour autant, le phénomène autour de l'humoriste ne cesse de prendre de l'ampleur, sur le web et dans les salles de spectacle.
Alors que Dieudonné doit entamer début 2014 sa tournée en province, les préfets seront chargés d'examiner les "troubles à l'ordre public" que pourraient entraîner ses spectacles et de les interdire le cas échéant. Sur le front judiciaire, d'autres batailles se préparent. Le ministère de la Justice travaille à un texte adressé aux procureurs de la République "pour qu'ils caractérisent des infractions pénales à l'encontre de Dieudonné", selon Le Monde (article payant). Même s'il est peu probable que cela résolve le casse-tête juridique.
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