En Ariège, le curé qui excommuniait McDonald's ne faisait qu'une bouchée de l'argent des fidèles
L'ancien abbé de Saint-Lizier (Ariège) est jugé à partir de mardi pour avoir détourné plus de 750 000 euros de dons.
Il était "plutôt content" de son curé. "Quand je le rencontrais dans le village, je me plaisais à refaire le monde avec lui", raconte Claude Baquié, 75 ans, avant de louer la "bonhomie" et les sermons de l'homme d'église. Mais, comme tous les habitants de Saint-Lizier (Ariège), le septuagénaire a dû encaisser, en décembre 2015, une drôle de révélation sur celui qui a marié sa fille.
Le prêtre détournait l'argent des fidèles de cette cathédrale du XIe siècle. Depuis 1987 et jusqu'à 2013, René Heuillet a détourné "systématiquement", selon la procureure de Foix, les dons des paroissiens (le denier du culte) et les bénéfices de la vente des bougies votives. Soit un total de 761 406,76 euros. C'est son successeur qui a alerté l'évêché après la découverte d'un pot de pièce contenant 250 euros. L'abbé a reconnu les faits devant les gendarmes de Saint-Girons.
"C'est une cabale !"
Dans le village aux deux cathédrales, la stupeur domine. Certains n'y croient pas. "C'est une cabale ! Ce prêtre était la bonté même. Jamais il n'aurait pu faire cela. Un homme droit et rigoureux dans son ministère", explique, au Parisien, Colette Dedieu, membre de l'équipe liturgique. D'autres, comme Claude Baquié, accusent le coup. "On a pris une cartouche avec le maire [reconnu coupable d'agression sexuelle en mars 2015] et maintenant, le curé... se désole-t-il. Cela me fait penser à Don Camillo, avec Fernandel."
Les Licérois se rejoignent au moins sur un point. "Personne ne s'explique cette histoire", témoigne Francis Puech, restaurateur dans le village voisin de Lorp-Sentaraille. "C'est quelqu'un de très apprécié, gentil, ouvert, décrit-il. J'ai encore des gens qui me demandent de ses nouvelles." Le curé déjeunait régulièrement chez lui, en choisissant un menu ouvrier.
"Cela ne se voyait pas du tout"
René Heuillet menait "une vie paisible". Son seul "péché" connu était la gourmandise. "Le curé de Saint-Lizier aime la bonne chère, ce n'est un secret pour personne", écrivait La Dépêche du Midi en 2001. Un amour de la gastronomie qui l'a conduit à rejoindre la croisade contre le restaurant McDonald's du village, construit au début des années 2000. Devant les portes de la cathédrale, il s'était livré à une "excommunication" symbolique, en repoussant un mime déguisé en Ronald, la mascotte de McDo.
Bon vivant, René Heuillet n'était pas un flambeur. Rien ne laissait penser qu'il avait amassé des centaines de milliers d'euros. "Cela ne se voyait pas du tout", confirme Claude Baquié. A tel point que l'épouse de ce dernier voulait lui faire don de vêtements. "Elle m'a dit un jour : 'Tu ne mets plus ce pull, tu pourrais le donner au curé'", raconte-t-il.
"La peur de manquer"
Une grande partie de la somme détournée – 656 009,08 euros – ainsi qu'un coffre de pièces d'or ont d'ailleurs été saisis par les gendarmes. "Il ne s'est pas acheté une voiture ou une maison, il a vécu de manière modeste toute sa vie", martèle son avocat, Olivier Tamain, en rejetant "toute intention de s'enrichir ou d'enrichir quiconque". En garde à vue, son client a justifié son geste "par la peur de manquer".
L'avocat du curé aimerait comprendre "comment l'Eglise peut laisser détourner autant d'argent sans s'en rendre compte" et pointe du doigt "l'opacité de la rémunération des prêtres". Selon ses calculs, 300 000 euros correspondent en réalité aux "offrandes de messe", qui font partie "officiellement" de la rémunération des hommes d'église.
"Les curés brassent beaucoup d'argent"
Même silence du côté de la hiérarchie catholique. Le diocèse de Pamiers, qui s'est constitué partie civile, refuse de s'exprimer avant l'audience. "Nous sommes appelés, comme chrétiens et comme prêtres, à donner et non à prendre, à servir et non à nous servir", a simplement déclaré l'évêque Jean-Marc Eychenne début décembre.
La justice tranchera mardi 12 janvier, en l'absence de l'accusé, hospitalisé. A Saint-Lizier, l'affaire laissera dans tous les cas des traces. "On s'aperçoit que les curés brassent beaucoup d'argent", remarque Claude Baquié. "Avec mon épouse, on donne à la quête, rappelle le septuagénaire. Peut-être que maintenant, on donnera un peu moins."
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