Inscrire le consentement dans la loi sur le viol : l'idée divise
Avec le procès des viols de Mazan, entamé début septembre, ressurgit le débat sur la définition du viol dans le Code pénal. Le 27 septembre, sur France Inter, le garde des Sceaux Didier Migaud s'est prononcé pour l'ajout de la notion de consentement dans le Code pénal, sans livrer plus de détails. Avant lui, Emmanuel Macron, le 8 mars dernier, à l'occasion de la journée du droit des femmes, avait lui aussi dit être favorable à cette évolution. Cette possibilité fait débat parmi les militantes féministes, parmi les professionnels du droit, parmi les politiques.
L'article 222-23 du Code pénal dispose aujourd'hui que tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Il n'y est donc pas question du consentement ou non de la victime.
Mais la France est signataire de la Convention d'Istanbul, convention du Conseil de l'Europe pour une meilleure prévention et une meilleure lutte contre la violence à l'égard des femmes et contre la violence domestique. Cette convention définit, elle, le viol comme un acte sexuel sans consentement. De nombreux pays occidentaux signataires de cette convention ont donc fait évoluer leur législation en y ajoutant la notion de non-consentement : la Belgique, le Canada, l'Australie, la Grèce, le Danemark, la Suède, l'Espagne… La France n'a pas encore franchi ce pas. L'idée d'introduire ce concept de consentement dans la loi ne fait pas l'unanimité.
Si vous lancez le débat dans la salle des pas perdus du procès de Mazan par exemple, vous serez étonnés de voir qu'il y a des opposants à ce projet d'évolution des deux côtés du prétoire. "Modifier le texte sur le viol pour y insérer la notion de consentement, cela aurait un effet délétère sur plan du droit pénal. Aujourd'hui – et c'est la base de notre droit pénal – c'est toujours à l'accusation de démontrer qu'il y a eu crime ou délit. C'est à l'accusation de prouver la matérialité et l'intentionnalité de l'infraction. Si on introduit la notion de consentement, alors cela va inverser la charge de la preuve et c'est le mis en examen qui devra apporter la preuve qu'il avait bien reçu le consentement de celui ou celle qui se dit victime. Ce serait pour notre droit français une vraie révolution et, selon moi, ce serait très grave car on touche là à la présomption d'innocence", argumente Me Louis-Alain Lemaire, avocat au barreau d'Avignon qui assure la défense de quatre des co-accusés de Dominique Pelicot.
"Le consentement : une notion à manier avec la plus grande précaution"
Pour d'autres raisons, Me Antoine Camus, conseil de Gisèle Pelicot, lui non plus ne voit pas d'un bon œil cette évolution possible du Code pénal. "On peut consentir à un acte sexuel qu'on ne désire pas pour avoir la paix, parce qu'on cherche à mettre fin à une situation de harcèlement, on peut y consentir pour garder son travail, pour diverses raisons. Alors il ne faudrait pas que l'introduction de la notion de consentement dans la loi sur le viol se retourne contre les victimes", met en garde l'avocat. "Et puis, on consent à quoi au juste en matière sexuelle ? À tout acte sexuel, à un acte en particulier ?, interroge-t-il. La notion de consentement peut devenir un piège. Elle est à manier avec la plus grande précaution. Notre définition du viol n'est pas parfaite aujourd'hui mais elle a le mérite de ne pas tomber dans ce piège", termine Me Camus.
Plusieurs associations, dont Osez le féminisme, ne souhaitent pas non plus cette modification de la loi. Expliquant que le viol n'est pas une relation sexuelle non consentie, mais un acte de prédation, une prise de pouvoir. Pour ces militantes, mettre la notion de consentement au centre de la réflexion sur ce qu'est un viol, c'est mettre encore la victime et son attitude au cœur des questionnements des enquêteurs et des juges, alors qu'il serait, selon elles, urgent de centrer le travail d'enquête sur l'agresseur.
94% des plaintes pour viol classées sans suite
Tout dépend des formules exactes qui seraient choisies dans une nouvelle loi. On imagine que si le nouveau ministre de la Justice Didier Migaud - qui s'y est donc dit favorable - rédigeait un projet, chaque mot y serait attentivement pesé. Nul doute que le débat parlementaire serait très suivi.
Les partisans d'une modification législative partent d'un constat sans appel : 94% des plaintes pour viol sont classées sans suite en France, selon une étude de l'Institut des politiques publiques portant sur la période de 2012 à 2021 et dévoilée en avril 2024. Sans doute en raison d'un manque de formation et de moyens des enquêteurs. Mais pas seulement, selon Mélanie Vogel, sénatrice écologiste, auteure d'une proposition de loi pour faire évoluer la définition du viol. "La manière dont le Code pénal est aujourd'hui rédigé induit une présomption de consentement. On considère que le corps des autres est disponible jusqu'à ce qu'on soit capable de démontrer qu'il y a eu contrainte, menace, violence ou surprise", explique-t-elle.
"Il faut inverser la réflexion et considérer que le corps de l’autre est par définition indisponible sauf si la personne est d’accord pour un acte sexuel. Et cela, ça change complètement la manière de voir le corps des autres et la sexualité."
Mélanie Vogel, sénatrice écologisteà franceinfo
"Le but n'est pas seulement qu'il y ait plus de condamnations pour viol mais aussi qu'il y ait moins de viols. Les auteurs de viol savent aujourd'hui qu'ils ont peu de risque d'être condamnés. S'ils avaient une probabilité bien plus importante d'être jugés, voire sanctionnés, cela naturellement les rendrait plus attentifs", explique la parlementaire qui rappelle que la loi est aussi faite pour refléter nos valeurs partagées, pour définir ce qui, pour notre société, est aujourd'hui acceptable et ce qui ne l'est pas.
Faire changer les comportements
Durcir la loi pour dissuader les citoyens de l'enfreindre, pour faire évoluer favorablement les comportements, c'est la logique des partisans et partisanes d'une modification de la définition du viol dans le Code pénal. Et leur modèle en la matière, c'est l'évolution du nombre d'infractions routières dans les années 2000 en France. En cinq ans, Jacques Chirac avait réussi à diviser par deux le nombre de tués sur les routes du pays. Il avait demandé le lancement de grandes campagnes de sensibilisation, mais surtout le chef de l'État avait poussé en faveur de modifications législatives, rendant les lois sur la vitesse et l'alcoolémie au volant notamment bien plus répressives.
Pour Magali Lafourcade, ancienne juge d'instruction et secrétaire générale de la CNCDH (Commission nationale consultative des Droits de l'homme), introduire le consentement dans la loi permettra aussi d'inverser le rapport de force pendant l'enquête policière. En cela, la magistrate contrecarre l'argumentaire des féministes hostiles à cette évolution législative. "Aujourd'hui, c'est la victime qui est au cœur de l'enquête. Tout tourne autour de la consolidation de son récit, de la nécessité d'avoir la certitude que tout ce qu'elle avance est inattaquable. Beaucoup de femmes sont, de ce fait, découragées à porter plainte car elles savent d'avance que ce parcours va être pénible pour elles, voire douloureux, sans garantie aucune de succès", constate Magali Lafourcade.
"En mettant le consentement dans la loi, on va devoir chercher bien davantage d’éléments du côté de l’auteur : la façon dont il a analysé les signes favorables pour un rapport sexuel, comment il s’est comporté avec d’autres femmes, ce que disent les témoins de son attitude."
Magali Lafourcade, ancienne juge d'instructionà franceinfo
Si certains lui répliquent qu'on s'orientera alors vers une société à l'américaine où il faudra presque faire signer un contrat de consentement chaque fois qu'on se glissera à deux dans un lit, la magistrate sourit à ce qui est, selon elle, une caricature ridicule. Elle rappelle qu'en aucun cas, il n'est question de remettre en cause la présomption d'innocence et que comme dans n'importe quel dossier judiciaire, le doute profitera toujours à l'accusé.
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