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Journaliste placée en garde à vue : "C'est une attaque claire, nette et précise contre la liberté d'informer", s'indigne Ariane Lavrilleux

Placé en garde à vue pendant près de 40 heures, la journaliste d'investigation Ariane Lavrilleux réagit sur franceinfo et s'inquiète pour la liberté d'informer. Un ancien militaire, soupçonné d'être sa source, est mis en examen.
Article rédigé par franceinfo
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La journaliste d'investigation, Ariane Lavrilleux, lors d'une conférence de presse à l'ONG Reporters sans frontières (THOMAS SAMSON / AFP)

"C'est une attaque claire, nette et précise contre la liberté d'informer", s'est indignée vendredi 22 septembre sur franceinfo Ariane Lavrilleux, journaliste du site d'investigation Disclose, placée en garde à vue pendant près de 40 heures, après avoir notamment révélé fin 2021 un possible détournement par l'Égypte d'une opération de renseignement française. "Tous mes outils de travail, dont mon ordinateur, ont été perquisitionnés. On a utilisé des outils de cybersurveillance pour fouiller mes mails. C'est une expérience très violente", témoigne la journaliste. Ariane Lavrilleux est sortie libre de sa garde à vue : "Je ne sais pas si je ne vais pas être mise en examen dans les prochains jours, dans les prochains mois, ce n'est pas du tout exclu", dit-elle. Un ancien militaire, soupçonné d’être sa source, a été mis en examen. "ll y a une volonté de faire taire tous les lanceurs d’alerte", affirme-t-elle.

>> Aide militaire française détournée en Egypte : une journaliste travaillant pour Disclose et "Complément d'enquête" a été remise en liberté après une garde à vue

franceinfo : Que cherchaient les agents du renseignement précisément lors de la perquisition de votre domicile ?

Ariane Lavrilleux : Ils cherchaient à m'intimider. Et puis surtout à savoir quelles étaient les sources avec Disclose, depuis quand je travaillais pour Disclose, comment on avait enquêté sur les ventes d'armes de la France à l'Égypte et sur cette coopération mortifère entre la France et l'Égypte puisque la France, depuis 2016, fournit du renseignement militaire et humain gratuitement à la dictature du maréchal al-Sissi pour l'aider à réprimer massivement sa population et effectuer des bombardements de civils dans le désert égyptien sous couvert de lutte antiterroriste. C'est une opération secrète, l’opération Sirli, qu'on a révélée dans l'enquête qui s'appelle "Les mémos de la terreur". Ça n'a pas du tout plu à l'État égyptien et à l'État français qui a ouvert une enquête pour compromission du secret de la défense nationale parce que cette enquête repose en partie sur des notes confidentielles défenses.

Avez-vous eu le sentiment d'être intimidée pendant les 40 heures de garde à vue ?

Le mot intimidation est un peu faible. En fait, c'est une attaque claire, nette et précise contre la liberté d'informer et contre les sources des journalistes qui veulent dénoncer des crimes d'État parce qu'on parle d'exécutions sommaires perpétrées par l'Égypte avec le soutien de la France. C'est une attaque contre des journalistes dans mon domicile qui a été fouillé. Tous mes outils de travail, dont mon ordinateur, ont été perquisitionnés. On a utilisé des outils de cybersurveillance pour fouiller mes mails. 

C'est une expérience très violente, d'autant plus quand on est en France, en théorie en démocratie

Ariane Lavrilleux

franceinfo

. J’ai été correspondante longtemps en Égypte. J’étais jusqu'ici assez soulagé d'avoir échappé à la dictature. Je rentre dans mon pays et, en fait, j'apprends que je suis traquée parce que j'étais sous surveillance depuis un certain temps par les services.

Quand avez-vous appris que vous étiez sous surveillance ?

Je l'ai appris au cours de la perquisition mardi matin. La dizaine d'agents du renseignement et le magistrat qui étaient sur place chez moi ont indiqué effectivement que j'étais sous surveillance depuis un certain temps. C’est assez grave. On parle vraiment là d'une atteinte très grave dans un pays démocratique.

Vous n'êtes pas poursuivie. En revanche, un ancien militaire a été mis en examen dans le cadre de cette enquête. La justice le soupçonne d'avoir été votre source. C'est un message envoyé à d'éventuels lanceurs d'alerte ?

Pour le moment, je ne sais pas si je suis sortie d'affaire. Je ne sais pas si je ne vais pas être mise en examen dans les prochains jours, dans les prochains mois, ce n'est pas du tout exclu. On a franchi un cap extraordinaire avec cette perquisition, cette garde à vue qui est très rare. Il n'y a que trois journalistes ces 20 dernières années qui ont subi une telle attaque. Pour ce qui est de cette personne, je ne sais pas ce qui va se passer. Mais en tout cas, ce qui est clair, c'est qu'il y a une volonté de faire taire tous les lanceurs d'alerte qui veulent dénoncer des choses illégales, illicites, qui se passent dans leurs entreprises, dans leurs institutions. Ce qu'on a révélé en fait avec Disclose, dans cette enquête collective, c'est que les militaires pendant des mois, des années, ont lancé des alertes, ont alerté les pouvoirs politiques, ont alerté Emmanuel Macron, François Hollande, Jean-Yves Le Drian et il n'y a pas eu de réaction politique pour mettre fin à cette opération. Donc le journalisme prend le relais quand au sein des institutions il n'y a pas de réactions.

Pourquoi le secret des sources est-il si important ?

Qui va oser parler ? Qui va oser dénoncer des choses graves comme des crimes d'État ou des injustices au sein d'une institution ? On peut penser à Irène Frachon qui avait dénoncé aussi le scandale du Mediator. On veut garantir la protection, la confidentialité des gens qui informent les journalistes pour leur garantir la sécurité et pour qu'ensuite on puisse continuer d'être informés, pour que tous les citoyens puissent savoir ce que font les gouvernements en leur nom, en notre nom, avec nos impôts. C'est vraiment primordial dans une démocratie.

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