Justice : "Les cours criminelles départementales ne donnent pas satisfaction", affirme le juriste Benjamin Fiorini
"Les cours criminelles départementales ne donnent pas satisfaction", estime sur franceinfo Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles à l'université Paris 8. Il est l’auteur de plusieurs tribunes contre ces nouvelles juridictions criminelles sans jury, étendues, à partir du lundi 2 janvier, à toute la France après une expérimentation dans 15 départements.
franceinfo : Jeanne Chéenne, présidente de la cour d'assises du Calvados, estime que ces cours criminelles permettent "une justice efficace mais pas expéditive", ce n’est pas votre constat ?
Benjamin Fiorini : Non parce que ces cours criminelles visaient trois objectifs. Le premier, c'était d’éviter des correctionnalisations, donc d'éviter que des viols soient sous-qualifiés en agressions sexuelles. Le deuxième, c'était de gagner du temps et le troisième, c'était de faire des économies. Pour ce qui est de la décorrectionalisation, un rapport rendu en novembre 2022 indique que jusqu'à présent, aucune décorrectionnalisation n'a pu être mesurée : soit on ne l'a pas constaté dans les juridictions, soit on n'a pas été en mesure de mesurer si elle existait véritablement. Pour ce qui est du gain de temps, il est de 12%. Mais 12%, ça représente, sur un procès de trois jours, même pas une demi-journée d'audience, ce qui est donc un gain résiduel par rapport à ce qui était attendu. En revanche, c'est vrai qu'on va économiser sur les jurés. En réalité, c'est l'idée de la réforme : économiser sur le dos des citoyens puisque la démocratie coûte trop cher, manifestement. Mais même si on réalise des économies parce qu'on n’indemnise plus les jurés, on perd de l'argent par ailleurs, parce qu'il faut faire fonctionner ces cours avec deux magistrats supplémentaires, cinq magistrats au lieu de trois aux assises. Et le rapport d'évaluation indique que la revalorisation des effectifs et la création de nouvelles salles d'audience sur le terrain immobilier seraient "un préalable indispensable à la bonne justice rendue par ces cours criminelles".
Vous regrettez la disparition des jurés, toutefois en cas d'appel devant la cour criminelle, l'affaire est jugée en cour d'assises, avec un jury…
Oui, mais c’est d'ailleurs un argument qu'on peut retourner contre les partisans des cours criminelles départementales, puisque l’on nous dit que c'est une justice de qualité. Mais ce qu'on remarque à travers le rapport d'évaluation qui a été rendu, c'est justement qu'il y a plus d'appels des décisions rendues par les cours criminelles départementales par rapport aux décisions rendues par les assises. Ce qui prouve qu'en réalité, les cours criminelles départementales ne donnent pas satisfaction. Et ces appels supplémentaires génèrent aussi un temps supplémentaire. Et c'est aussi un coût pour les deniers publics. Au final, ce n'est pas un bon calcul, ni pour les victimes, ni pour les mis en cause.
Dans le Calvados, d'après un premier bilan, les décisions sont plus clémentes. Notamment pour des affaires de violences mortelles, de vols à main armée notamment. Qu'est-ce que cette évolution vous évoque ?
Le rapport est contrasté sur cette question et distingue les affaires de viols des autres affaires. Sachant que les affaires de viols représentent 90% des affaires jugées par ces cours criminelles départementales. Pour ces affaires de viols, le rapport constate effectivement que les jugements rendus par les magistrats professionnels sont très légèrement plus cléments parce que la peine d'emprisonnement prononcée est en moyenne de six mois inférieure. En revanche, pour les autres affaires – les coups mortels, tortures, actes de barbarie – les peines prononcées par les cours criminelles sont légèrement supérieures à celles prononcées par les jurés populaires. En fin de compte, on arrive, à mon sens en tout cas, à une forme d'équilibre.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.