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Loi sur le harcèlement sexuel abrogée : quelles conséquences ?

Le Conseil constitutionnel a décidé vendredi l'abrogation immédiate de la loi pénale sur le harcèlement sexuel, dont il a jugé la formulation trop floue. FTVi fait le point sur le contexte et les conséquences d'une telle décision.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le Conseil constitutionnel a abrogé le 4 mai 2012 la loi sur le harcèlement sexuel. (MARJA AIRIO / LEHTIKUVA OY / SIPA)

Le Conseil constitutionnel a censuré vendredi 4 mai la loi sur le harcèlement sexuel, qui est directement abrogée. Les Sages ont jugé la formulation du texte trop floue, renvoyant au législateur la responsabilité de définir plus clairement les contours de ce délit. FTVi fait le point sur le contexte et les conséquences d'une telle décision.

• Que dit la loi sur le harcèlement sexuel ? 

Depuis 2002, la notion de harcèlement sexuel est définie dans l'article 222-33 du Code pénal comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Ce délit est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Le délit de harcèlement sexuel avait été introduit dans le Code pénal français en 1992 et défini alors par "le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions".

Une autre loi du 17 juillet 1998 avait ajouté les "pressions graves" à la liste des actes caractérisant le harcèlement, mais la loi du 17 janvier 2002, prise sous le gouvernement de gauche de Lionel Jospin, est venue modifier cette construction juridique. Il s'agissait alors d'élargir le champ d'application de la loi en supprimant toutes les précisions concernant les actes par lesquels le harcèlement était constitué, et de même concernant la circonstance relative à l'abus d'autorité.

• Pourquoi la loi est-elle contestée ? 

A l'origine de la décision des Sages, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par Gérard Ducray, conseiller municipal de Villefranche-sur-Saône (Rhône). Cet élu, qui a également été secrétaire d'Etat au Tourisme sous Valéry Giscard d'Estaing, a été condamné en mars 2011 à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende pour le harcèlement sexuel de trois employées de la municipalité. Il s'était élevé contre cette décision et pourvu en cassation.

L'avocate de Gérard Ducray, Claire Waquet, estimait auprès du Parisien que "ce texte n'[était] pas suffisamment précis. Le citoyen n'est pas en mesure, avec cette définition, de savoir ce qu'il peut ou ne peut pas faire, ce qui est pourtant un des fondements de la Constitution".

Le Conseil constitutionnel s'est rangé à cet avis. "En l'espèce, l'article 222-33 du Code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis. Par suite, ces dispositions méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines", affirme-t-il vendredi

• Qu'en pensent les associations ? 

Cette décision du Conseil constitutionnel est celle qu'attendaient les associations de victimes. Pour Marilyn Baldeck, la déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT)-Libres et égales, l'actuelle définition "fait que de nombreuses affaires se retrouvent classées sans suite".

Toutefois, les associations ne souhaitaient pas que la loi soit directement abrogée, comme c'est le cas, mais que le Parlement rédige un texte plus clair. Ce vide juridique est jugé dangereux par L'AVFT-Libres et égales, qui s'était jointe à la procédure de Gérard Ducray pour demander l'abrogation de la loi, mais de manière différée. 

"Jusqu'au vote, le cas échéant, d'une nouvelle loi, les victimes sont abandonnées par la justice. Le message d'impunité ainsi adressé aux harceleurs est révoltant", a réagi un collectif d'associations féministes. 

• Quelles sont les conséquences de cette abrogation ?

L'abrogation prend effet immédiatement et a pour conséquence d'annuler toutes les poursuites dans les dossiers qui ne sont pas encore jugés définitivement, précise le Conseil constitutionnel, renvoyant au législateur la responsabilité de définir plus clairement les contours de ce délit. 

"Ça me paraît épouvantable pour les victimes", estime l'avocate parisienne Anne-Claude Hogrel, spécialiste de ce type d'affaires, jointe par FTVi. "Cette décision du Conseil constitutionnel est assez rare et radicale", souligne l'avocat pénaliste Aurélien Chardeau contacté par FTVi. Difficile, du coup, d'en évaluer les suites. Pour ce qui est des affaires en cours, "le parquet va avoir du mal à prétendre que les poursuites pénales ne sont pas nulles", explique l'avocat, soulignant que la décision du Conseil constitutionnel "semble englober les précédentes versions de la loi sur le harcèlement sexuel (1992 et 1998)", auxquelles auraient pu se référer les parties. 

• Quels recours possibles pour les plaignants ?

Reste deux éventuels recours, selon Aurélien Chardeau : "Les faits peuvent éventuellement être requalifiés en harcèlement moral, à condition que le délai de prescription par rapport aux faits (trois ans) ne soit pas dépassé." Sinon, "le harcèlement sexuel reste puni par le Code du travail à condition que les faits aient été commis dans un cadre professionnel."

Les peines encourues sont les mêmes. Mais les faits qui étaient poursuivis au nom du Code pénal pourront-ils s'y référer ? "Rien n'est moins sûr, notamment en raison, là encore, du délai de prescription", selon Aurélien Chardeau. "Par précaution, suggère l'avocat, les victimes devraient engager de nouvelles poursuites avant la prescription des faits en visant l'un de ces deux textes (harcèlement moral ou harcèlement sexuel dans le cadre du Code du travail)."

Quant au vote d'une nouvelle loi pénale sur le harcèlement sexuel, il dépendra de l'issue des élections et ne pourrait pas intervenir avant la reprise de la session parlementaire, après les législatives. Roselyne Bachelot, ministre en charge des Droits des femmes, a prévenu : "La nouvelle Assemblée nationale" devra "se saisir en urgence de ce dossier afin de garantir les droits des salariés et, plus particulièrement, ceux des femmes."

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