Le travail en prison, à quelles conditions ?
Une détenue salariée d'un centre d'appels avant d'être licenciée a porté l'affaire aux prud'hommes. L'occasion pour FTVi de revenir sur les conditions dans lesquelles les détenus peuvent exercer une activité professionnelle.
Une détenue qui assigne en justice une société pour non-respect du contrat de travail : l'affaire est inédite. Elle a été examinée mardi 7 février par le conseil des prud'hommes de Paris. M., une jeune femme de 36 ans selon Le Parisien, conteste son déclassement. La société MKT Societal, un des rares centres d’appels implantés en prison, l'avait embauchée comme télé-opératrice. Mais lorsque l'entreprise découvre que la jeune femme passe des appels personnels pendant son temps de travail, elle décide de s'en séparer. Pour les avocats de cette dernière, il s'agit d'un licenciement avec rupture abusive du contrat de travail et discrimination.
Problème : le droit du travail ne s'applique pas à la prison. Le jugement a été reporté au 12 septembre, mais pour FTVi, la première audience du procès est l'occasion de revenir sur les conditions dans lesquelles les détenus peuvent exercer une activité professionnelle.
• Quel est le statut d'un détenu par rapport au travail ?
Le statut des détenus n'a rien à voir avec le droit commun. Il n'y a pas de contrat de travail en prison, selon l'article 717-3 du code pénal. Les détenus signent un "contrat d'engagement" avec l'Administration pénitentiaire depuis 2009. Ce qui veut dire : pas de smic, pas de congés payés, pas de droit syndical, pas d'arrêt maladie...
Les détenus peuvent exercer trois types de travail :
- le travail en concession, c'est-à-dire pour le compte d'entreprises extérieures
- le service général, soit une activité liée à l'entretien et au fonctionnement de la prison, comme un travail de bibliothécaire ou le ménage de la cuisine
- le travail pour la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (Riep) qui fabrique des pièces destinées aux prisons, comme les chaussures des surveillants ou les armoires des cellules
• Le travail en prison est-il obligatoire ?
Il ne l'est plus depuis la loi du 22 juin 1987. Dans le même temps, cette loi a offert à des entreprises privées la possibilité de s'investir dans le milieu carcéral.
Toutefois, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 revient sur cet aspect. Elle oblige toute personne condamnée à accepter une activité professionnelle "dès lors qu'elle a pour finalité la réinsertion de l'intéressé", précise l'article 27. L'objectif de la loi est donc de faciliter le travail en prison, mais dans les faits, son application reste difficile.
• Combien un détenu peut-il gagner ?
Les revenus mensuels des travailleurs détenus ne dépassaient pas 343 euros en moyenne en juillet 2011, selon l'Observatoire international des prisons (OIP), soit environ trois fois moins que le smic. "Ils gagnent entre 150 et 250 euros en moyenne par mois selon le poste occupé. Une paye qui varie d'un atelier à l'autre", indique de son côté le site internet de L'Express, qui a réalisé un webdocumentaire sur le sujet en juin 2011. En fait, il n’y a pas de règle générale. Le taux horaire minimum, fixé par décret, varie en fonction du travail et du nombre d’heures effectuées par une personne incarcérée.
• Un détenu dispose-t-il de son salaire ?
Tous les mois, 10% de l'argent gagné par les travailleurs est placé en vue de leur sortie et 10% est utilisé pour l'indemnisation des victimes par l’administration pénitentiaire. Tout le reste est directement versé au détenu.
La plupart de ceux-ci utilisent ensuite cet argent pour "cantiner". "Les repas sont frugaux donc il faut pouvoir cantiner, ce qui équivaut à faire des courses à la supérette de la prison à des prix exorbitants, y compris pour des produits de première nécessité", soulignait en février 2010 sur Le Monde.fr Gonzague Rambaud, co-auteur de Travail en prison : enquête sur le business carcéral (Editions Autrement). "Tout le monde s'accorde à dire que la vie sans ressources en détention est impossible", explique L'Expansion dans une enquête consacrée au sujet publiée en février 2011.
• Quel intérêt un détenu a-t-il à travailler ?
"Les détenus se battent pour avoir du travail. Il n’y en a pas suffisamment… Il faudrait que certaines entreprises y pensent quand elles envisagent de délocaliser leur activité", estime François Korber, responsable de l'association Robin des lois. Seuls 30% y ont accès selon lui, 25% selon l’OIP.
En plus du fait de pouvoir "cantiner", travailler comporte plusieurs intérêts. "Souvent je pleurais lorsque je ne travaillais pas. Vous pensez aux enfants, à vos familles, et vous êtes triste et angoissé... et il y a même des mauvaises idées qui passent par la tête", témoigne un détenu. Certains voient le travail comme un "passe-temps" : c'est ce qu'ils ont confié à L'Express.fr. Il leur permet aussi de penser à autre chose qu'à la prison.
Une activité professionnelle peut aussi faciliter les remises de peine. "Une partie des revenus sert à indemniser la partie civile. C'est un geste de bonne conduite qui peut amener le juge d’application des peines à décider d’une semi-liberté, par exemple", explique François Korber.
Travailler permet aussi de se réinsérer plus facilement pour l'Administration pénitentiaire. Mais ce n'est pas l’avis des détenus. "Le travail en prison n'apprend rien. Il est plus 'synonyme d'exploitation'", ont-ils raconté à L'Express. Il "ne permet pas aux prisonniers les plus démunis, ni de sortir de détention avec des ressources suffisantes, ni de construire un projet d'insertion par le travail", explique Frédéric Lauféron, directeur général de l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale.
François Korber est moins critique : "Evidemment, cela dépend des détenus, mais dans la plupart des cas, un travail en prison permet de mettre de côté un petit pécule et de reprendre de bonnes habitudes." Pour lui, la reconnaissance du travail en détention "se fera par petites touches et grâce à la jurisprudence".
La justice devrait se prononcer sur d’autres affaires dans les prochains mois. François Korber cite l’exemple d’un détenu qui n’a pas bénéficié d’un arrêt maladie. Il a déposé un recours au tribunal administratif et attend la décision. Si elle s’avérait en sa faveur, ce serait une première.
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