Marc Trévidic et le nouveau visage de la menace terroriste
A sa suite, les gardes du corps qui ne le lâchent pas d'une
semelle : le juge anti-terroriste Marc Trévidic est un homme exposé. De
cette vie-là, il ne parlera pas : "l'essentiel , assure-t-il, c'est
que je fais quelque chose que j'aime".
Depuis le jour où il
a succédé à Jean-Louis
Bruguière aux commandes de la galerie Saint-Eloi, le siège de la
justice anti-terroriste au Palais de Justice de Paris, il est devenu
l'empêcheur de tourner en rond des dossiers qui dérangent :
l'affaire
Karachi, celle de l'assassinat des moines de Tibéhirine. Dix
ans qu'il dérange.
Après l'affaire Merah, la donne a
changé : la menace terroriste s'est morcelée, diluée dans le territoire.
L'entreprise terroriste est désormais aussi le fait de groupes isolés.
Mal
connus des services.
Il a choisi de traiter la question au regard
de sept
nouvelles, écrites à la première personne : ses histoires sont des
fictions, mais toutes sont imprégnées de la réalité de son quotidien de
magistrat. Une
forme plus adaptée, selon lui, que l'essai pour ébaucher des réponses à
l'égard
de questions qui n'en trouvent pas. Par exemple, comment vit une famille
la
sortie de piste de l'un des siens vers le salafisme ou le terrorisme.
"Avant, c'était simple : on mettait le
paquet sur un gros groupe de vingt
personnes. Aujourd'hui, nous avons affaire à une multitude de micro
groupes..."
De la lecture de ces nouvelles, le spectre d'un nouveau
terrorisme émerge. Et de nouvelles questions : comment la justice
peut-elle s'en saisir ? "Nous
sommes complètement débordés , avoue Marc Trévidic. Avant, c'était
simple : on mettait le paquet sur un gros groupe de vingt personnes.
Aujourd'hui, nous avons
affaire à une multitude de micro groupes...Comment surveiller ces
gens-là ?
La menace est réelle : le terrorisme est dilué dans la population,
isolée.
Il y a trop de gens à profils inquiétants. La menace est toujours en
partie
externe, mais... plus uniquement."
*" On ne
peut pas se demander dès le berceau si telle ou telle personne sera
potentiellement dangereuse plus tard. Il faut payer le prix de la
démocratie et respecter les droits individuels. " *
Faut-il, alors, après le précédent Merah, empêcher les jeunes
Français d'aller faire le djihad à l'étranger ? Probablement,
estime-t-il. "Certains d'entre eux reviennent beaucoup plus dangereux
et menacent
la sécurité des Français. On pense d'abord à Merah, mais aussi à tous
ceux qui
sont parti en Bosnie, en Afghanistan, au Yémen et qui terminent leur
cycle
initiatique, après avoir rencontré des "vrais dangereux. Ce ne sont pas
des loups solitaires... Merah, par exemple, était dans un cadre. A
l'étranger, il
a achevé sa formation idéologique" , explique le juge.
Avant
de
prévenir : "Jusqu'où faut-il aller ? En les arrêtant
trop tôt, que pourrons-nous alors leur reprocher ? Nous sommes déjà dans
un système préventif : on reproche déjà à des gens d'avoir voulu aller
faire le djihad et on les arrête pour ça. On ne peut pas se demander dès
le berceau
si telle ou telle personne sera potentiellement dangereuse plus tard. Il
faut
payer le prix de la démocratie : cela consiste notamment à respecter les
droits individuels. Et ne pas faire n'importe quoi."
" On ne sera jamais infaillible : cela supposerait de
ne pas respecter les libertés individuelles : en démocratie, ce n'est
pas
possible. "
Puisque les terroristes ont changé de visage, la lutte doit,
elle aussi, s'incarner autrement. Le précédent créé par l'affaire Merah,
après
laquelle la DCRI avait essuyé le feu nourri des critiques, appelle,
selon le
patron des juges antiterroristes, à une adaptation. "En terme de
renseignements, nous sommes costauds , affirme l'homme. Mais nos
méthodes doivent changer : la DCRI était efficace pour lutte contre
des organisations importantes. Aujourd'hui, sa structure centralisée est
trop
lourde pour saisir efficacement la problématique des petits groupes. Il
faut
que nous adaptions nos structures. Par exemple avec des antennes très
solides en province, douées d'une réelle capacité d'initiative, qui
dépendraient moins des structures centrales parisiennes à qui elles font
remonter actuellement chaque information. Il leur faut davantage
d'autonomie
pour qu'elles puissent être plus réactives." "Mais ,
poursuit-il, on ne sera jamais infaillible : cela supposerait de ne
pas
respecter les libertés individuelles. En démocratie, ça n'est pas
possible."
"Les dégâts du terrorisme ne sont pas
suffisants pour qu'on en ait peur "
Faudrait-il, pour autant, se résoudre à avoir peur ?
Marc Trévidic a choisi, lui, une posture plus philosophe. "Voyons
les
choses comme elles sont : Mohamed Merah a tué sept personnes, c'est
dramatique. Mais n'oublions pas que nous vivons dans une société dans
laquelle
un fou peut tuer, sans idéologie, sept personnes assez facilement. Les
dégâts
du terrorisme ne sont pas suffisants pour qu'on ait peur... A cet
égard, la peur n'a d'ailleurs jamais évité le danger."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.