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Comment Monique Olivier a mis les enquĂȘteurs sur la piste de Michel Fourniret dans les trois affaires pour lesquelles elle est jugĂ©e

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Monique Fourniret, au palais de justice de Charleville-MĂ©ziĂšre (Ardennes), le 29 mai 2008. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)
Déjà condamnée à perpétuité en 2008, l'ex-épouse du tueur en série comparaßt à partir de mardi devant la cour d'assises de Nanterre pour complicité dans les disparitions d'Estelle Mouzin, Marie-AngÚle DomÚce et Joanna Parrish.

Cette fois, elle sera seule dans le box des accusés. Monique Olivier a déjà été condamnée en 2008, aux cÎtés de Michel Fourniret, à la réclusion à perpétuité pour sa participation à quatre des meurtres de celui qui était encore son mari, dont elle a divorcé en 2010. L'"ogre des Ardennes" est mort en mai 2021 et celle qui l'a assisté dans son itinéraire criminel répondra donc aux questions de la cour d'assises de Nanterre (Hauts-de-Seine) en son absence, à partir du mardi 28 novembre.

A 75 ans, elle comparaßt pour complicité dans l'enlÚvement, le viol et le meurtre de Marie-AngÚle DomÚce en 1988, mais aussi de Joanna Parrish en 1990, et pour complicité dans l'enlÚvement d'Estelle Mouzin en 2003. Les corps d'Estelle Mouzin et de Marie-AngÚle DomÚce n'ont jamais été retrouvés, en dépit de plusieurs campagnes de fouilles.

Ces trois affaires, longtemps restées non élucidées, ont été résolues par le pÎle "cold cases" du tribunal de Nanterre. Aujourd'hui, les familles attendent avec impatience ce procÚs, aprÚs des décennies d'errances judiciaires.

Des affaires de plus de trente ans

Pour remonter le fil des affaires DomĂšce et Parrish, il faut revenir plus de trente ans en arriĂšre, Ă  la toute fin des annĂ©es 1980. Le 8 juillet 1988, Marie-AngĂšle DomĂšce, une jeune femme de 19 ans, disparaĂźt aprĂšs avoir quittĂ© le foyer pour jeunes filles oĂč elle vivait, Ă  Auxerre (Yonne), pour rejoindre la gare et retrouver sa nourrice Ă  quelques kilomĂštres. Moins d'un an plus tard, le corps de Joanna Parrish est retrouvĂ© le 17 mai 1990 flottant dans l'Yonne, Ă  MonĂ©teau, Ă  une centaine de mĂštres du foyer de Marie-AngĂšle. Cette jeune Britannique de 20 ans, qui exerçait comme assistante d'anglais dans un lycĂ©e auxerrois, a Ă©tĂ© battue, violĂ©e et Ă©tranglĂ©e.

L'avis de recherche paru dans la presse pour retrouver Marie-AngĂšle Domece. (VINCENT LESAGE / MAXPPP)

Pendant de longues annĂ©es, la justice française n'apporte aucune rĂ©ponse aux familles des deux victimes. Leurs cas ne connaissent aucune vĂ©ritable avancĂ©e, dans un dĂ©partement alors tourmentĂ© par de nombreuses disparitions de jeunes femmes, dont Isabelle Laville, disparue en dĂ©cembre 1987. On apprendra bien plus tard que cette adolescente de 17 ans a Ă©tĂ© la premiĂšre victime tuĂ©e par Michel Fourniret. "À l'Ă©poque, il ne se passe rien dans l'Yonne, aucune disparition de jeune femme ne sera suivie avec succĂšs dans le dĂ©partement", a expliquĂ© Didier Seban, aujourd'hui avocat d'une partie des familles de victimes, Ă  Ouest-France.

Une piste connue dĂšs 2005

Dans ces deux dossiers, le lien avec Michel Fourniret Ă©merge plus d'une dĂ©cennie plus tard, quand le tueur en sĂ©rie est arrĂȘtĂ© en juin 2003 en Belgique, aprĂšs l'enlĂšvement ratĂ© d'une adolescente. Pendant un an, et aprĂšs plus d'une centaine d'interrogatoires, la police belge questionne sans relĂąche celle qui est alors son Ă©pouse, Monique Olivier, sans parvenir Ă  lui faire reconnaĂźtre quoi que ce soit. Mais en juin 2004, dans un revirement spectaculaire, elle avoue une sĂ©rie de neuf crimes commis par son mari, dans lesquels elle reconnaĂźt avoir eu une participation active.

En juin 2005, à la faveur d'un nouvel interrogatoire, elle l'accuse également du viol et du meurtre de deux autres jeunes femmes. Elle raconte qu'en 1988, l'année de la disparition de Marie-AngÚle DomÚce, son mari "avait repéré une jeune fille de 18 ou 19 ans, blonde, le visage rond" qu'il a enlevée alors qu'elle marchait sur une route à Auxerre, selon l'ordonnance de mise en accusation, consultée par franceinfo. Pour mettre en confiance la victime, Monique Olivier, alors enceinte de sept mois de leur fils Selim, affirme qu'elle était dans la voiture, lorsque la victime a été enlevée, victime d'une tentative de viol puis tuée.

Elle ajoute qu'"une autre fois", en 1990, ils se sont rendus Ă  la gare routiĂšre d'Auxerre et ont "repĂ©rĂ© une jeune femme d'environ 18 ou 19 ans", qui a acceptĂ© "de les suivre et de monter Ă  l'arriĂšre" de leur vĂ©hicule. Michel Fourniret lui a alors assĂ©nĂ© des coups, l'a ligotĂ©e avant de la violer, inconsciente. Monique Olivier prĂ©cise "ĂȘtre restĂ©e Ă  sa place durant les faits, sans regarder ce qui se passait". Il l'a ensuite Ă©tranglĂ©e avant de jeter son corps, "entiĂšrement dĂ©nudĂ©, dans le cours d'eau Ă  proximitĂ© duquel ils se trouvaient". Ce rĂ©cit coĂŻncide avec les circonstances de la mort de Joanna Parrish. 

Joanna Parrish et son frĂšre, Ă  Paris, en 1990. (FRED DUFOUR / AFP)

Les témoins réinterrogés

Pour autant, ces deux affaires ne sont pas jointes aux sept autres meurtres et assassinats pour lesquels le couple est condamnĂ© par la cour des assises des Ardennes en 2008. Une ordonnance de non-lieu est mĂȘme rendue en 2011, les juges parisiens en charge des dossiers faisant notamment valoir que les traces ADN retrouvĂ©es sur le corps de Joanna Parrish ne correspondent pas Ă  l'empreinte gĂ©nĂ©tique de Michel Fourniret (l'enquĂȘte soulignera par la suite qu'il utilisait des prĂ©servatifs). Les magistrats soulignent Ă©galement que le cadre procĂ©dural dans lequel ces aveux ont Ă©tĂ© recueillis est "incertain".

Car entre-temps, Monique Olivier est revenue sur ces dĂ©clarations, affirmant, en 2006, que ses aveux lui ont Ă©tĂ© extorquĂ©s. Quant Ă  Michel Fourniret, il conteste formellement ĂȘtre l'auteur de ces deux meurtres. Mais la cour d'appel annule l'ordonnance et relance l'enquĂȘte en 2012. "Une ultime chance de connaĂźtre la vĂ©ritĂ©", dĂ©clare alors le pĂšre de Joanna Parrish, persuadĂ© de la culpabilitĂ© des Ă©poux. Et c'est finalement la juge parisienne Sabine KhĂ©ris, appuyĂ©e par la section de recherches de Dijon, qui va passer Ă  la vitesse supĂ©rieure, en 2016.

Les tĂ©moins de l'Ă©poque sont tous rĂ©interrogĂ©s, certains sont mĂȘme entendus pour la premiĂšre fois, comme un groupe prĂ©sent dans un bar d'Auxerre avec Joanna Parrish, la veille de sa disparition. L'un d'eux assure qu'elle a Ă©tĂ© abordĂ©e dans la soirĂ©e par un homme ressemblant Ă  Michel Fourniret. La proviseure adjointe du lycĂ©e oĂč travaillait la jeune femme, qui n'avait jamais Ă©tĂ© entendue elle aussi, affirme qu'un homme lui faisant fortement penser au tueur en sĂ©rie est venu se renseigner aprĂšs sa mort, suite Ă  la parution d'une petite annonce qu'elle avait publiĂ©e, dans laquelle elle proposait des cours d'anglais.

Des aveux en 2018

Concernant Marie-AngĂšle DomĂšce, un tĂ©moignage crucial remet les enquĂȘteurs sur la piste Fourniret. Une amie de son foyer assure aux enquĂȘteurs avoir vu Michel Fourniret rĂŽder autour de l'Ă©tablissement Ă  plusieurs reprises, "cinq ou six fois", dans une voiture blanche, sale, avec une vieille couverture et des adhĂ©sifs Ă  l'arriĂšre, relĂšve l'ordonnance de mise en accusation. 

Pendant de longs interrogatoires, ces nombreux Ă©lĂ©ments Ă  charge sont mis sous le nez des deux accusĂ©s. Et finalement, en fĂ©vrier 2018, Michel Fourniret passe aux aveux. Il explique, sans donner de dĂ©tails, ĂȘtre "le seul responsable de leurs sorts".

"Si ces personnes n'avaient pas croisé mon chemin, elles seraient toujours vivantes."

Michel Fourniret

à la juge Sabine Khéris

La mĂȘme annĂ©e, il est extrait de sa cellule pour ĂȘtre ramenĂ© sur les lieux de la disparition de Marie-AngĂšle DomĂšce, mais ne rĂ©vĂ©lera jamais l'emplacement du corps. En 2019, une nouvelle campagne de fouilles est organisĂ©e avec les deux Ă©poux, mais elle ne donnera rien. Une "ultime vĂ©rification" a lieu dĂ©but 2023, sans rĂ©sultat.

Un alibi qui vole en éclats 

La parole de Monique Olivier s'est souvent rĂ©vĂ©lĂ©e dĂ©terminante pour faire progresser les enquĂȘtes concernant son ex-mari. Ce fut le cas dans un autre dossier, le troisiĂšme jugĂ© ces prochaines semaines, et sans doute le plus mĂ©diatique : l'affaire Estelle Mouzin. La fillette de 9 ans a disparu Ă  Guermantes (Seine-et-Marne), en janvier 2003, alors qu'elle rentrait de l'Ă©cole. Durant les premiers mois de l'enquĂȘte, des moyens colossaux sont mis en Ɠuvre pour la retrouver et le nom de Michel Fourniret surgit rapidement, alors qu'il vient d'ĂȘtre interpellĂ©. Mais un coup de fil Ă©mis depuis son domicile en Belgique le jour de la disparition de la petite fille l'innocente aux yeux des policiers.

Eric Mouzin, le pĂšre d'Estelle Mouzin, lors d'une marche blanche Ă  Guermantes (Seine-et-Marne), le 9 janvier 2010. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Pendant des années, les fausses pistes se multiplient. Et Eric Mouzin, le pÚre de la petite, aidé de ses avocats, vont batailler pour que la piste Fourniret soit étudiée. Début 2018, ils demandent le dessaisissement de la police judiciaire de Versailles, qui a trop négligé cette piste, selon eux. Sans succÚs. Et c'est seulement lors de son interrogatoire par la juge d'instruction Sabine Khéris, en mars 2018, dans le cadre des affaires DomÚce et Parrish, que le tueur ardennais lùche des "aveux en creux" sur Estelle Mouzin.

Un tournant s'opÚre. D'autant que la magistrate a un atout : Monique Olivier. Et en novembre 2019, l'ex-femme du tueur en série fait voler en éclats son alibi. Elle concÚde avoir passé le fameux coup de fil au fils de Michel Fourniret, issu d'une précédente union, le soir du 9 janvier 2003. Et ajoute que la fillette "était tout à fait le genre de jeune fille qui pouvait satisfaire" son ex-mari. Il finira par avouer quatre mois plus tard sa responsabilité dans cette disparition.

Des corps jamais retrouvés

Au printemps 2021, Sabine Khéris décide d'entendre Monique Olivier une nouvelle fois. AprÚs de longues heures d'interrogatoire acharné, la septuagénaire reconnaßt ainsi avoir joué un rÎle dans la séquestration de la fillette. "Je lui ai parlé un petit peu, elle me dit juste qu'elle veut voir sa maman. Elle a l'air triste. (...) Elle était calme, à mon avis, il lui avait donné un calmant", déclare-t-elle à la juge.

>> De la disparition d'Estelle Mouzin au procĂšs de Monique Olivier, retour sur vingt ans d'enquĂȘte pour assembler les piĂšces du puzzle

Elle donne alors des informations inĂ©dites qui vont orienter les enquĂȘteurs vers un morceau de forĂȘt, Ă  quelques kilomĂštres seulement d'une maison ayant appartenu Ă  la sƓur de Michel Fourniret, Ă  Ville-sur-Lumes (Ardennes). Elle assure avoir attendu au bout d'un chemin, dans leur camionnette blanche, que Michel Fourniret enterre le corps de la petite fille. Sur ses indications, d'importantes fouilles ont Ă©tĂ© menĂ©es dans le secteur pour tenter de retrouver ce qui pouvait l'ĂȘtre. En vain. 

Dans ce procĂšs qui va s'ouvrir, il manquera donc deux corps : celui de Marie-AngĂšle DomĂšce et celui d'Estelle Mouzin. "Je ne pense pas retrouver le corps de ma sƓur, Ă  moins que la co-auteure [Monique Olivier] veuille bien s'exprimer Ă  ce sujet pendant le procĂšs", confiait VĂ©ronique DomĂšce en dĂ©but d'annĂ©e. Leur pĂšre, Claude DomĂšce, ne saura rien des Ă©ventuelles rĂ©vĂ©lations de l'accusĂ©e : il est mort il y a quelques jours, aprĂšs s'ĂȘtre battu toute sa vie pour connaĂźtre la vĂ©ritĂ© sur le sort de sa fille.

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