Moitoiret condamné en appel : les fous sont-ils devenus des justiciables comme les autres ?
Les jurés ont tranché. Selon eux, le discernement de Stéphane Moitoiret n’était pas aboli lorsqu’il a massacré de 44 coups de couteau le petit Valentin Crémault dans la nuit du 28 au 29 juillet 2008 à Lagneux (Ain). La cour d’assises d'appel du Rhône l’a déclaré coupable et accessible à une sanction pénale, vendredi 22 novembre, le condamnant à 30 ans de réclusion, assortie d'une période de sûreté de 20 ans. Cet homme de 44 ans avait écopé de la perpétuité en première instance.
Son ex-compagne Noëlla Hego, renvoyée pour complicité d'assassinat et condamnée à 18 ans de prison lors du premier procès en 2011, a en revanche bénéficié d'une peine beaucoup moins lourde en appel, avec quatre ans de prison ferme, qui couvrent sa détention provisoire.
Une irresponsabilité pénale prononcée le jour même à Lyon
Les avocats de Stéphane Moitoiret, Franck Berton et Hubert Delarue, avaient plaidé avec force, dans la matinée, l'irresponsabilité pénale de leur client, qu'ils qualifient de "fou". Selon eux, la pathologie mentale de Stéphane Moitoiret - diagnostiqué comme un dangereux schizophrène par quatre experts psychiatres - était à l'oeuvre au moment du crime, condition nécessaire pour l'abolition. "Si vous condamnez, la justice sera devenue folle comme ceux qu'on vous invite à juger", a lancé Franck Berton aux jurés lors de sa plaidoirie.
La décision de la cour d’appel de Lyon met-elle un coup de canif à l’article 122.1 du Code pénal sur l'irresponsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux ? Pas sûr. Le même jour, des juges d'instruction de la même juridiction ont prononcé l'irresponsabilité pénale d'un homme accusé d'avoir enlevé et violé une fillette de 5 ans dans l'Ain en 2011. Gravement schizophrène, selon les psychiatres, l'homme va être hospitalisé immédiatement.
"Pourquoi envoie-t-on des psychotiques en prison?"
Il n'empêche. Selon Hubert Delarue, de moins en moins d’irresponsabilités pénales sont prononcées en France. A l’audience, il a relevé "500 abolitions du discernement reconnues en 1992 contre 180 dix ans plus tard". "Pourquoi on ne prononce plus l'abolition du discernement ?, s'interroge-t-il. Pourquoi envoie-t-on des psychotiques en prison?" Selon le psychiatre traitant de Stéphane Moitoiret, appelé à la la barre, les malades mentaux représentent 5 à 15% des détenus, contre 1% dans la société.
Au cours de ce procès en appel qualifié à plusieurs reprises d'"historique", l’expert-psychiatre Daniel Zagury, connu pour avoir expertisé Michel Fourniret, Patrice Alègre ou encore Guy Georges, a également fait ce constat : "La société supporte très mal l’irresponsabilité pénale. Mais si Stéphane Moitoiret n’en bénéficie pas, qui d’autre ?" Et de prévenir les jurés : "Si on ne conclut pas à l’irresponsabilité dans cette affaire-là, il faut tourner une page historique, déchirer la page du Code pénal de l’article 122.1."
Le droit des victimes renforcé par la loi de 2008
Selon plusieurs observateurs, un glissement s'est opéré sous la mandature de Nicolas Sarkozy, pendant laquelle le droit des victimes a été renforcé. "Une instrumentalisation politique des faits divers", stigmatisant une population telle que les schizophrènes, a fait le reste, selon Daniel Zagury. Qui rappelle que "99% des schizophrènes ne tueront jamais".
En 2008, après la découverte du corps de Valentin criblé de coups de couteau, la ministre de la Justice de l’époque, Rachida Dati, promet aux parents de la victime un procès. Souvent, les proches attendent des explications du criminel sur son acte et ne se satisfont pas d'un non-lieu psychiatrique. La loi du 25 février 2008, dite loi Dati, a ainsi été modifiée pour tenter de répondre à leurs attentes. Désormais, s’ils se rangent du côté d’une abolition du discernement, les juges ne peuvent plus simplement notifier une ordonnance de non-lieu, mais doivent prononcer une déclaration d'irresponsabilité pénale. Ils le font à l'issue d'une audience, publique si les victimes le demandent, et au cours de laquelle l'auteur du crime rencontre les parties civiles et les avocats des deux parties. Comme en cour d'assises, l'avocat général est présent, mais aucune sentence n'est prononcée.
L'application de cette loi n'est pas posée pour Stéphane Moitoiret puisque les juges d’instruction ont décidé de le renvoyer devant une cour d’assises, retenant la préméditation. Six experts-psychiatres sur dix ont conclu à une simple altération de son discernement, et non à une abolition. Notamment parce que l’accusé a jeté ses vêtements et le couteau du crime après les faits, ce qui constituerait une preuve qu’il lui restait une forme de lucidité. Le fait que Moitoiret soit "parfois dans la réalité" est "caractéristique des schizophrènes", chez lesquels "des idées folles coexistent avec une conscience lucide", a fait valoir Hubert Delarue lors de sa plaidoirie.
De l'utilité ou non d'un procès
En outre, une audience judiciaire, quelle qu’elle soit, est-elle toujours compatible avec l'état mental de l’auteur d’un crime ? La question de la place de Stéphane Moitoiret et de Noëlla Hego dans le box des accusés d’une cour d’assises a été longuement discutée lors du procès en appel. "Le spectacle de deux aliénés se ridiculisant malgré eux (…) par la faute de leur parole démente, alors que c'est en principe l'oralité des débats qui fait la grandeur et la 'magie' des assises, a quelque chose de dégradant, aussi bien pour ceux qui le donnent, que pour ceux qui y assistent", écrit Le Figaro.
Pour les experts-psychiatres partisans de l'altération du discernement chez Stéphane Moitoiret, un "procès le met en face de la réalité. Il n'est pas sorti de la société, pas mis à part. Chacun peut en retirer quelque chose de positif." Y compris les proches de la victime ? Paul Bensussan, expert-psychiatre abolitionniste, n'est pas de cet avis : "En niant la folie de l’accusé, on a laissé croire à la famille de Valentin que ce procès leur permettrait de comprendre." A l'écoute des délires de Moitoiret, la mère du petit garçon semble avoir renoncé. Mais elle s'est dit satisfaite de sa condamnation en appel.
Plus longtemps en prison ou en Unité pour malades difficiles ?
En appel, la défense de l'accusé avait enjoint les jurés de trouver un compromis : reconnaître la culpabilité de Stéphane Moitoiret – son ADN a été retrouvé sur le corps de Valentin – mais le déclarer irresponsable comme le prévoit également la loi de février 2008 lors d'un passage en cour d'assises (article 706-129 du Code pénal). Et ordonner son admission en hôpital psychiatrique. Car l'altération du discernement, au lieu de constituer une circonstance atténuante, provoque souvent l’inverse, selon la formule "à demi-fou, double peine". La folie fait peur. Et la prison semble souvent une réponse plus appropriée que l’hôpital psychiatrique. Comme elle l’explique à nos confrères de France 3 Rhône-Alpes, l’avocate de la famille de la fillette violée dans l’Ain redoute ainsi de voir sortir l’auteur des faits, interné en hôpital psychiatrique, sortir dans "deux ans, cinq ans, dix".
Pourtant, les avocats de Stéphane Moitoiret l’assurent : un malade mental criminel et dangereux a plus de chances de rester enfermé toute sa vie dans une Unité pour malades difficiles que dans une prison. Ils récusent l’idée selon laquelle les hôpitaux psychiatriques sont "des passoires", arguant que "depuis les lois de 2008 et 2011, l'enfermement en Unité pour malades difficiles (UMD) présente davantage de garanties que la prison". Et de conclure : "Avec 30 ans de réclusion et une peine de sûreté on sort, mais pour les cas les plus graves, on ne sort pas d'une UMD sauf pour le cimetière des fous." Il n’empêche. Les jurés ont préféré renvoyé Stéphane Moitoiret en prison.
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