Pourquoi les criminels malades mentaux ne sont pas tous jugés
Le procès en appel de Stéphane Moitoiret, condamné à la perpétuité pour avoir tué de 44 coups de couteau le petit Valentin en 2008, s'est ouvert devant les assises du Rhône. Comme en première instance, la responsabilité pénale de l'accusé est le principal enjeu.
L'un a été condamné à la réclusion à perpétuité, l'autre à dix-huit ans de prison. Stéphane Moitoiret et Noëlla Hégo, un couple de marginaux, sont rejugés pour l'assassinat de Valentin, 11 ans, retrouvé mort en juillet 2008 à Lagnieu (Ain), le corps perforé par 44 coups de couteau. Leur procès en appel s'est ouvert mardi 12 novembre, devant les assises du Rhône.
En première instance, les experts psychiatres se sont déchirés sur la santé mentale des accusés et leur responsabilité pénale. "C'est la première fois de ma vie que je vois deux grands dingues dignes de l'asile dans une cour d'assises", avait alors lancé le Dr Paul Bensussan, expert psychiatre près la Cour de cassation, pour qui Moitoiret est un "grand schizophrène".
Cette fois encore, les neuf jours de procès vont se focaliser sur la pénalisation de la folie. L'occasion pour francetv info de lister les raisons pour lesquelles les personnes considérées comme malades mentales peuvent être jugées (ou pas).
Parce qu'aux yeux de la loi, ils ne sont pas responsables
En droit français, c'est l'article 122-1 du code pénal, relatif aux personnes atteintes de troubles mentaux, qui fixe en très grande partie le régime de leur responsabilité pénale. Selon ce texte de loi, "n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". Dans ce cas, l'accusé ne sera pas condamné, mais interné. Et la plupart du temps, il ne passera même pas par la case procès. En revanche, si le discernement est simplement altéré, ou le contrôle des actes entravé, un procès, et donc une punition, sont possibles, précise depuis 1992 le code pénal.
Comment l'irresponsabilité pénale est-elle déterminée ? La plupart du temps, des experts psychiatres interviennent sur ordonnance du juge à qui ils envoient un rapport, comme l'expliquait francetv info en décembre 2012. "L'expertise est toujours subjective. Elle est établie à partir de ce que l'expert entend et voit. Celui-ci a pour rôle d'éclairer la justice. Aux juges et aux jurés, ensuite, de trancher. C'est le rôle du procès, qui offre un espace de débats et apporte une décision", estime Pierre Lamothe, médecin psychiatre et expert auprès de la Cour de cassation, interrogé par francetv info.
Dans le cas de Stéphane Moitoiret, les dix experts s'accordent sur sa "psychose". Mais seuls quatre d'entre eux ont conclu à une "abolition totale de son discernement", empêchant toute condamnation. Pour les six autres, il s'agit seulement d'une "altération du discernement", ce qui le rend accessible à une sanction pénale. Les experts ont par ailleurs estimé que Noëlla Hégo, qui se faisait appeler "Sa Majesté", exerçait une domination sur son compagnon et que sa responsabilité pénale n'était pas altérée.
Parce que le procès ne comble pas toutes les attentes
Les avocats de Stéphane Moitoiret ne contestent pas la folie de leur client. Mais pour eux, c'est la raison pour laquelle il doit bénéficier de soins en milieu spécialisé. "Bien sûr qu'il est coupable, mais vous n'aurez aucune explication à ce crime odieux car Moitoiret est incapable d'en donner", ont martelé Frank Berton et Hubert Delarue, lors du premier procès. Le second estime, selon France Info, que lors du premier procès, "la justice a jugé le crime, pas le criminel". "J'ai l'appréhension de les revoir. J'attends qu'ils passent aux aveux, qu'il y ait une vraie condamnation", a estimé de son côté Valérie Crémault, la mère de Valentin. "Si l'individu est reconnu irresponsable, c'est comme si un robot avait tué et c'est insupportable pour les parents de Valentin", martèle son avocat, le député frontiste Gilbert Collard.
Souvent donc, les proches attendent des explications du criminel sur son acte et ne se satisfont pas d'un non-lieu psychiatrique. La loi du 25 février 2008, dite loi Dati, a été modifiée pour tenter de répondre à leurs attentes. Désormais, les juges ne peuvent plus simplement notifier une ordonnance de non-lieu, mais doivent prononcer une déclaration d'irresponsabilité pénale. Ils le font à l'issue d'une audience, publique si les victimes le demandent, et au cours de laquelle l'auteur du crime rencontre les parties civiles et les avocats des deux parties. Comme en cour d'assises, l'avocat général est présent, mais aucune sentence n'est prononcée. "On offre [aux familles de victimes] un simulacre de procès. Mais derrière, c'est vrai que cela correspond à un traitement qu'on donne aux proches", indiquait en 2008 un magistrat à 20 Minutes.
Parce qu'ils sont, de toute façon, écartés de la société
Deux options semblent possibles pour les criminels malades mentaux : soit ils sont internés en hôpital psychiatrique, soit ils vont en prison. "On ne sort pas plus facilement de l'hôpital psychiatrique que de la prison. Un certain nombre de personnes y finissent leurs jours", soulignait Gérard Rossinelli, expert auprès de la cour d'appel de Toulouse (Haute-Garonne) dans une interview accordée à francetv info en avril 2012. Ils sont donc mis à l'écart de la société, souvent très sensible à ce type d'affaires. Ainsi, le meurtre de Valentin avait suscité une très vive émotion en France, dans la torpeur de l'été 2008.
Pour la mère de Valentin, c'est une différence fondamentale. "La place des accusés est dans une vraie prison, pas en psychiatrie", a-t-elle déclaré au Parisien mardi. La cour statuera en fonction du comportement de Stéphane Moitoiret. Pour l'heure, il a décliné son nom et sa date de naissance d'une voix claire, contrastant avec son mutisme et son attitude amorphe lors du premier procès. Le verdict est attendu le 22 novembre.
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