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"On sent les pilotes se battre contre la machine" : au procès du crash Rio-Paris, l'émotion après la diffusion des enregistrements des boîtes noires

Au procès du crash de l’avion Rio-Paris qui a fait 228 morts il y a 13 ans et dans lequel Airbus et Air France sont poursuivis pour homicide involontaire, la deuxième semaine d’audience a débuté avec la diffusion de l’enregistrement sonore des dernières minutes du vol dans le cockpit.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les parties civiles attendent pour assister au procès du crash Rio-Paris, le 10 octobre 2022. (THOMAS SAMSON / AFP)

Le 1er juin 2009, le vol AF447 Rio-Paris s’abîmait au large des côtes brésiliennes, emportant avec lui les 228 personnes à son bord. Treize ans après la catastrophe, la deuxième des neuf semaines d’audience du procès du crash devant le tribunal correctionnel de Paris a débuté avec la diffusion de l’enregistrement sonore des quatre dernières minutes du vol dans le cockpit issu des boîtes noires retrouvées à 4 000 mètres de fond.

>> Crash du vol Rio-Paris : trois questions sur le procès d'Airbus et Air France, qui s'ouvre treize ans après le drame

Le public et les journalistes ont été priés de quitter la salle d’audience : la présidente avait décidé un huis clos. Seuls les avocats et les parties civiles ont été autorisés à entendre cet audio sensible. Et tous ont dû laisser leur portable à l’entrée de la salle, pour éviter les fuites.

À la sortie de la salle d’audience, la tétanie

À la sortie, les visages sont graves et certaines parties civiles sont restées comme tétanisées, figées par ces quatre minutes d’échanges entre les pilotes. On n'entend aucun cri, aucune panique des passagers, certains proches de victimes veulent croire qu’à deux heures du matin, la plupart dormaient et ont été fauchés dans leur sommeil. Dans le cockpit, les enregistrements laissent percevoir l’intensité des derniers moments vécus par les pilotes de l’appareil.

"On entend les intempéries, on entend la grêle, et c'est de plus en plus bruyant, on n'entend rien sur de qui se passe dans la cabine, explique, émue, Ophélie Touillou, qui a perdu son frère dans le crash et tenait à entendre cet audio. Je pense que là-dessus, on n'aura jamais de réponse. On entend les pilotes qui se sont battus jusqu'au bout : en fermant les yeux, à ce moment-là, je me suis me suit dit 'les pauvres'..."

"J'ai eu beaucoup de peine pour eux parce qu'on les sent tellement à l'œuvre, à se battre contre la machine. C'est ça ce que je ressens : ils se sont battus contre une machine, mais ils ont perdu."

Ophélie Trouillou

à franceinfo

"J'ai une part de moi qui est soulagée parce que cela vient finalement valider la thèse qu'on a par rapport à ce qui s'est passé dans cet accident et que ce ne sont pas 'trois idiots qui étaient aux commandes', les responsables, comme ce qu'on nous laisse entendre, continue Ophélie Trouillou, dont la voix s'étrangle. Quand on entend ces audios, on se dit 'Chapeau les mecs, franchement chapeau !'"

Le document sonore n’apporte pas d’éléments nouveaux : sa retranscription écrite était déjà connu. Mais le son des intonations, des alarmes, est saisissant : la confusion des pilotes prend toute sa réalité face à l’inattendu, le gel des sondes Pitot qui permettent d’indiquer la vitesse de l’avion. Le pilote automatique se déconnecte mais rien ne vient déchiffrer cet incident sur le tableau de bord. "C'est terrifiant, parce que l'on entend des pilotes qui ont véritablement tout tenté dans ce phénomène de tunnel : ils ne comprennent rien, parce que l'avion ne leur parle plus", souligne  Me Alain Jakubowitz, avocat de l’association de victimes Entraide et solidarité AF447, une association qui compte parmi ses adhérents les familles de deux des trois pilotes.

"Ils ne savent plus si l'avion monte ou s'il descend, à quelle hauteur ils sont, à quelle vitesse ils descendent. Et ils ne savent plus rien et ce n'est pas leur faute."

Me Alain Jakubowitz

à franceinfo

"On entend, mais on monte, on descend ? Ils ne savent plus s'ils montent, s'ils descendent.  À quelle vitesse ils sont, à quelle hauteur ils sont. Ils ne savent plus rien et ce n'est pas de leur faute. Entendre ces alarmes dans tous les sens, et ce 'Stall !, stall !, stall !, stall !',  ["décrochage"], cela reste gravé dans ma tête : quand on vient encore aujourd'hui prétendre que ces pilotes seraient responsables de cette catastrophe, ce que nous dit Airbus, c'est absurde." 

"Les pilotes sont d'un calme"

"Il faut les entendre pour se rendre compte tout ce qu'ils ont fait jusqu'au dernier moment, conclut Me Jakubowitz. Ils essayent de mettre en application les procédures qu'ils ont apprises, mais qui ne marchent pas. Et ils sont d'un calme ! C'est définitivement rendre leur honneur à ces pilotes qu'on essaie de piétiner."

Seule réaction coté défense cet après-midi : celle d’Airbus, qui évoque un enregistrement "extrêmement fort" et "s’associe à la souffrance ravivée des proches de victimes". Lundi matin, Airbus faisait diffuser à l’audience une vidéo filmant dans un simulateur deux pilotes réagissant à chaque alarme, à chaque incident, comme il aurait convenu de réagir, selon eux, pour éviter le pire. Le constructeur ne s’écarte jamais de sa thèse : celle d’une erreur de pilotage.

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