Prison : le jour où un détenu m'a pris en otage
Mi-avril, un surveillant d'un centre pénitentiaire picard était pris en otage par un prisonnier. Francetv info l'a rencontré, chez lui, en arrêt de travail.
Ce ne devait être qu'un dimanche de plus au travail. Alors que les 25 000 habitants de Laon (Aisne) s'étirent encore dans leur lit, Alban franchit, à vélo, l'entrée du centre pénitentiaire. Ce 13 avril, comme chaque dimanche, il n'y a ni directeur, ni chef de détention, ni lieutenant. La gestion de l'établissement surpeuplé (510 prisonniers pour 388 places) incombe à Alban et à l'un de ses collègues, premier surveillant comme lui. Les deux ont une vingtaine de gardiens sous leurs ordres.
A 8h15, certains surveillants s'activent à organiser les promenades. Puis vient l'heure de la messe, à 9 heures, où d'autres détenus sont conduits. La routine dominicale, en attendant "Téléfoot". Alban file au quartier d'isolement, où sont placés certains prisonniers dangereux ou menacés par d'autres. Un détenu doit être conduit de la salle de sport jusqu'à sa cellule. "Si je fais un truc de fou, est-ce que tu vas me prendre au sérieux ?", demande-t-il soudain à Alban. L'homme porte un tee-shirt, un short, une ceinture. De sa ceinture, il sort un poinçon.
"Si tu me repousses, je te tue"
"Il s'est avancé, à deux reprises, le couteau pointé vers moi, raconte Alban. A chaque fois, je l'ai repoussé avec mes mains [les surveillants ne sont pas armés]. Puis il m'a lancé : 'Si tu me repousses, je te tue'. C'est un jeune connu ici, qui a tué sa copine de 22 coups de couteau. Je n'ai pas tenté une troisième intervention."
Voici Alban dans la cellule de son preneur d'otage, qui lui en barre la sortie. Des surveillants arrivent, mais sont maintenus à distance par le prisonnier, qui menace de "planter" leur collègue s'ils approchent à moins de cinq mètres. Alban en profite tout de même pour leur lancer ses clés, pour que son vis-à-vis ne puisse pas l'enfermer dans ses 9m².
"On devient froid, puis on a chaud, on transpire et on tremble des mains", se remémore Alban, tout en mimant ce tremblement. Il a le teint rougeot et l'air grave. Pas du genre à faire le malin. "Plusieurs fois, je lui ai dit de me laisser sortir et de réintégrer sa cellule, qu'on mettrait fin à l'incident. Il a refusé et m'a dit qu'il n'y retournerait pas sans moi." Assis devant la table à manger familiale, Alban se détend et glisse une blague : "Comme il n'y avait ni frigo ni bières, je n'ai pas voulu."
"Il m'a choisi parce qu'il m'aimait bien"
Malgré la peur, Alban tente de faire parler son ravisseur. "Il m'a expliqué qu'il voulait quitter le quartier d'isolement. Il a demandé à être transféré dans un autre établissement." Et pourquoi Alban ? "Il m'a choisi parce qu'il m'aimait bien. 'Parce qu'avec toi, je peux discuter, pas avec les autres', m'a-t-il dit."
Un quart d'heure après le début de la prise d'otage, le directeur du centre pénitentiaire et un capitaine pénitentiaire arrivent dans la coursive. Devant eux, le détenu de 20 ans, détendu, souriant, et le premier surveillant de 36 ans, tremblotant, menacé par un poinçon. L'arme a été fabriquée à partir d'une paire de ciseaux à bouts ronds, dont la lame a été aiguisée et insérée dans un surligneur, à la place du feutre. Un geste prémédité depuis des semaines.
L'homme négocie son transfèrement avec la direction, qui entre dans son jeu. Cela sera difficile mais le nécessaire sera fait, lui assure-t-on. Il faudra passer par le bureau du greffe, qui gère les entrées et les sorties, et y patienter, le temps d'organiser le déménagement. "Il a pensé que c'était gagné, selon Alban. Il s'est relâché, ce qui a permis l'intervention."
Le bras droit bloqué par le capitaine. Le poinçon retiré. Le bras gauche immobilisé par le directeur. Gesticulations, plaquage au sol et menottage. Pas de transfèrement, direction le quartier disciplinaire. Fin de l'incident, 20 minutes chrono.
"Putain, il s'est passé ça !"
Début de l'après pour Alban. Alors que les 25 000 habitants de Laon entament enfin leur journée, Alban franchit, à vélo, la sortie du centre pénitentiaire. Il a décliné l'invitation du directeur, qui lui proposait de le reconduire chez lui. Il a refusé que sa femme vienne le chercher. Il s'est contenté, les larmes aux yeux, de répondre "oui" aux collègues qui lui demandaient si ça allait.
Il a besoin d'être seul, pour décompresser. "Sur le vélo, j'avais son visage en tête. Et je me suis dit : 'Putain, il s'est passé ça.'"
Dix jours après la prise d'otage, Alban se refait encore le film des événements. Il a raconté son histoire à la police, à la psychologue du travail, à un psychiatre, à la famille, aux collègues. Il a imaginé des remakes, s'est demandé comment il aurait pu éviter une telle affaire, avant de conclure qu'il n'y pouvait rien. Il s'est souvenu de cette discussion, la veille de la prise d'otage, quand son futur ravisseur lui a demandé s'il travaillait bien le lendemain.
Insomnies et courbatures
La première nuit, il n'en a pas dormi. Les suivantes non plus. Jusqu'à avaler des somnifères, qui l'assomment "dans les quinze minutes", selon sa femme, Laurence. "Je ne peux pas encore m'en passer", reconnaît-il. Il continue aussi à prendre des décontractants musculaires, même si les maux de cou, d'épaules et de bras, dus selon lui à sa crispation pendant la prise d'otage, ont disparu.
En arrêt de travail, Alban ne fait pas grand-chose de ses journées. "Heureusement que je suis avec lui", estime sa femme, elle aussi surveillante. Quelques heures après la prise d'otage, lors de sa ronde de nuit, elle a aperçu, à l'œilleton, le ravisseur dans sa cellule. Un choc, "presqu'un moment de panique", qui lui a valu, elle aussi, d'être arrêtée.
Le couple reçoit la visite de collègues, qui se sont montrés solidaires dès le début. "J'ai reçu beaucoup d'appels et de textos de surveillants le dimanche après-midi, mais aussi de la direction et de la direction interrégionale, confirme-t-il, reconnaissant. Même Christiane Taubira m'a appelé. Au début, j'ai cru que c'était un collègue qui me faisait une blague. Elle a pris de mes nouvelles, m'a apporté son soutien, m'a dit que des circulaires seraient publiées. Je lui ai parlé de nos conditions de travail, elle était à l'écoute, ça a bien duré dix minutes."
Deux prises d'otage en deux semaines
Le lendemain de la prise d'otage, des pneus, des palettes et une machine à laver ont brûlé devant le centre pénitentiaire, bloqué par un personnel furieux. Quinze jours plus tôt, un médecin y avait déjà été brièvement retenu par un détenu armé de ciseaux, rapporte L'Union. "Jusque-là, on ne pensait jamais aux prises d'otages", lâche Didier Altmann, secrétaire local de l'Ufap-Unsa, venu épauler Alban le temps de l'entretien.
"Des situations comme celle-là, on en aura de plus en plus, avec tous les toxicos et les cas psychiatriques qu'on rencontre en détention", redoute Alban, qui évoque une "banalisation des agressions". Sa femme, reprenant une pensée en vogue chez les surveillants, estime que l'on cède "trop aux demandes des détenus, qui revendiquent de plus en plus de choses".
La situation s'est dégradée depuis qu'Alban a rejoint la pénitentiaire, il y a treize ans. C'était presque sur un coup de tête. Auparavant cuisinier, fatigué par des horaires difficiles, le Lyonnais d'origine avait remarqué une petite annonce dans L'Equipe. Il avait foncé dans une cabine téléphonique pour commander une brochure et avait passé le concours dans la foulée. Avec la "sécurité" de l'emploi à la clé.
Quelques suicides, une évasion et une prise d'otage plus tard, Alban va-t-il reprendre son vélo et le chemin de la prison ? "Bien sûr que je vais y retourner, je n'ai pas peur, assure-t-il. Je suis arrêté encore quinze jours, j'aurai peut-être une prolongation. Je veux prendre le temps. Mais je sais que je serai amené à rouvrir la porte de ce détenu. Et je sais que, comme tous les jours, avec lui ou d'autres, ça peut partir n'importe quand."
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