Procès Heaulme renvoyé : un témoin a fait basculer les débats
Un quatrième procès d'Assises et pas de décision. 28 ans après les faits, les familles d'Alexandre et Cyril, tués à Montigny-lès-Metz, attendaient des réponses. Elles devront patienter. Encore. Francis Heaulme devait être jugé pour le meurtre de ces deux garçons de 8 ans, en 1986, mais le procès a été renvoyé au bout du deuxième jour d'audience.
La rumeur tournait dans le palais de justice de Metz depuis la veille, lorsque la Cour a décidé de changer le planning des auditions. Le témoignage surprise d'une femme, à la dernière minute, semblait assez fort pour jeter le doute sur le rôle d'Henri Leclaire. Le nom de cet homme est apparu très tôt dans le dossier. En 1986, il s'est accusé du double meurtre avant de se rétracter aussitôt. Mis en cause au début des années 2000, il avait finalement été disculpé. Il comparaissait en tant que simple témoin mais mardi, à la Cour d'assises de la Moselle, il a été interrogé, comme un accusé.
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Leclaire comme un accusé
Henri Leclaire donc est le premier témoin de ce mardi à entrer dans la salle. Au fur et à mesures des questions, le président de la Cour, Gabriel Steffanus change de ton, lui parle parfois comme à un accusé, prenant la peine de préciser plusieurs fois, "on ne vous accuse de rien ".
Henri Leclaire perd pied doucement et commence à raconter n'importe quoi. Qu'il était à la campagne avec son père le jour du double meurtre, et puis quand il voit qu'il s'embrouille, il répète : "J'me souviens plus ".
Heaulme sort du box
Henri Leclaire confirme à la barre, il ne connaît pas Francis Heaulme. Pourtant, le tueur en série l'accuse d'être l'auteur du crime depuis le début des années 2000. L'accusé (celui qui l'est officiellement) est donc interrogé. Chemise bleue, pantalon noir, Francis Heaulme se lève et commence à parler derrière les vitres du box. La Cour ne l'entend pas, alors, fait rare, le président lui demande de sortir.
Frisson dans la salle. Francis Heaulme s'approche du micro près de ses avocats. "Faut que ça sorte ", dit-il la voix presque tremblante, "j'ai vu Henri Leclaire, descendre du talus. Il était en colère. Il est passé à 2 mètres de moi, il m'a dit 'j'ai fait une connerie'. Je suis monté et j'ai vu les deux enfants morts. (...) Je me suis dit 'il est fou lui' ". Il ajoute : "Montigny-lès-Metz, c'est pas moi". Henri Leclaire, lui, reste sur ses positions * : "Je ne l'ai pas vu, j'étais pas là ". Son mutisme agace la Cour. [Son avocat, Me Hellenbrand, dénonce "une parodie de justice* "](http://www.franceinfo.fr/justice/montigny-les-metz-l-avocat-d-henri-leclaire-denonce-une-parodie-de-justice-1370753-2014-04-01).
Témoin clé
Après Henri Leclaire, les jurés et la cour entendent une femme d'une cinquantaine d'années. Son témoignage va semer le doute. Mme Blindauer raconte comment Henri Leclaire lui a parlé spontanément de l'affaire de Montigny-lès-Metz, il y a deux ans. Henri Leclaire lui livre de la nourriture de temps en temps chez elle et un jour, il se serait confié dans la cuisine. Son comportement a effrayé la clerc d'avocat qui raconte : "Il était en transe. Il a revécu la scène devant les gosses ". Une scène où Henri Leclaire aurait corrigé les enfants mais où il a assuré ne pas les avoir tués.
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Mais "pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour témoigner ", demande la Cour. Elle lance : "J'en veux à mon époux (un avocat de droit social de Metz), il m'a toujours dit de ne rien dire. Je regrette de ne pas l'avoir fait avant ".
"Chez une femme d'avocat on ne parle pas de foot" (le président de la Cour)
Plus que le témoignage, c'est la confrontation entre cette femme et Henri Leclaire qui a peut-être fait basculer l'audience. Il entre une seconde fois dans la salle et Mme Blindauer s'assoit sur une chaise derrière lui. Henri Leclaire raconte qu'il connaît très peu cette femme, qu'il lui a juste livré des courses une fois ou deux.
Et puis il ne se rappelle plus de rien. Ni des dates auxquelles il a travaillé dans le magasin qui livrait à ce témoin surprise. Ni la discussion qu'il a eu avec elle. Ni celle qu'il a eu avec Ginette Beckrich en 1986. "Je ne me souviens plus " répète-t-il plusieurs fois. "Vous avez parlé de quoi dans cette cuisine? " Leclaire ne se rappelle pas, le président lance : "Chez la femme d'un avocat, on ne parle pas de foot! ", la salle rigole. "On a parlé du temps ", répond-il finalement.
Excuses à Patrick Dils
Un autre témoin plus farfelu a fait son show à la barre. Il raconte qu'il a vu Henri Leclaire, le tee-shirt plein de sang, le jour du double meurtre. Son témoignage fait rire la salle :"J'ai lu un livre sur les tueurs en série, j'ai tout compris ", explique-t-il. Et puis il sort le magazine La vie du rail de son sac pour donner une précision sur les locomotives.
Son témoignage est balayé, puisque dans sa décision, la Cour n'en a pas parlé. Peu après 17h, le président renvoie le procès car les déclarations de la témoin surprise ont fait apparaître des "indices graves et concordants ".
Pour conclure, il s'adresse aux parties civiles : "Je fais part de mon regret ", car il faudra du temps avant l'ouverture d'un nouveau procès. "L'entière vérité est à ce prix, mais la vérité finira par être affirmée ", a-t-il promis.
Le dernier mot aura été envers Patrick Dils, condamné puis innocenté après 15 ans de prison dans cette affaire. "Au nom de la Cour et de l'institution judiciaire, je tiens à dire combien a été immense l'erreur judiciaire qui l'a frappé. Puisse une telle catastrophe judiciaire ne jamais se reproduire ".
Et maintenant ?
La procédure est la suivante : le procureur général (qui était dans ce procès l'avocat général), va transmettre un rapport avec les nouveaux éléments au procureur de la République. Le procureur de la République devrait ouvrir une information judiciaire, nommer un juge d'instruction qui mènera l'enquête et aboutira peut-être à la mise en examen d'Henri Leclaire. Si c'est le cas, il sera renvoyé devant une Cour d'assises pour être jugé probablement aux côtés de Francis Heaulme.
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