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Pourquoi j'ai récidivé après la prison

Alors qu'un rapport sur la récidive a été remis mercredi à Jean-Marc Ayrault, francetv info a rencontré trois repris de justice. Un éclairage brut sur la récidive.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pour Hafed, "multirécidiviste du hold-up", la prison ne résout pas les problèmes des détenus. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

L'erreur est humaine, mais la récidive est-elle vraiment diabolique ? Alors que la conférence de consensus sur la prévention de la récidive a rendu, mercredi 20 février, ses préconisations à Jean-Marc Ayrault et Christiane Taubira, francetv info est allé à la rencontre de trois personnes au casier judiciaire chargé. Toutes ne sont pas des récidivistes au sens légal du terme (répétition d'une même infraction), mais plutôt des récidivistes au sens large, tel que retenu par la conférence de consensus (plusieurs peines de prison, quel que soit le type d'infraction). A l'image de l'ensemble des récidivistes, ces hommes ont chacun leur histoire, singulière. Ils ont aussi leur mot à dire, indispensable pour comprendre et prévenir la récidive.

Anthony : "Libéré sans rien en poche"

"La première fois, c'était pour vols. J'avais 19 ans, je n'avais plus d'emploi, je n'habitais plus chez mes parents, je faisais connerie sur connerie. J'avais beaucoup de mauvaises fréquentations et j'étais très influençable." Anthony a découvert la vieille maison d'arrêt de Loos, dans la banlieue de Lille, en 2008. Ce gentil gaillard aux cheveux bruns ne s'y est pas senti à sa place, encore moins qu'à l'extérieur. Libéré après vingt-deux mois de détention, il est "sorti sans rien, sans emploi, sans argent en poche". "J'avais demandé un encadrement, je ne l'ai pas eu, c'est ça qui m'a ramené en prison." 

En effet, en 2011, le revoilà derrière les barreaux pour défaut de permis ("pas les moyens"), conduite en état d'ivresse et délit de fuite. Un mal pour un bien, sans doute, car il obtient alors un aménagement de peine et ce fameux suivi qui lui manquait. Le jeune charpentier à la voix grave termine actuellement sa peine à Amiens au sein d'une association, qui l'accompagne pour une réinsertion en douceur.

L'analyse Le cas d'Anthony correspond à une grande partie des récidivistes, souvent jeunes, inscrits dans un parcours de petite délinquance, en manque d'attaches professionnelles et affectives. "Le risque de récidive le plus fort réside dans le cumul suivant : avoir un passé judiciaire, ne pas déclarer de profession et être dans les tranches d'âge jeunes", selon la responsable du bureau des études de l'administration pénitentiaire, Annie Kensey.

Hafed : "Voler était mon métier"

Hafed était, comme il se définit lui-même, “un multirécidiviste du hold-up, un artisan du crime". Loin du cas d'Anthony, loin de se sentir en manque de repères, Hafed a choisi "le métier de voleur". "Pour payer les factures. Et parce que je voulais être libre, ne rien devoir à personne, ne pas être prisonnier d’un emploi." Une philosophie de la récidive, avec le retour en prison comme accident professionnel. "C'est comme une addiction au jeu : on joue, parfois on perd, mais on recommence", souligne-t-il.

Incarcéré pour la première fois à 16 ans, ce quinquagénaire né dans les beaux quartiers de Paris a connu trois longues peines à partir de 1985, jusqu'à son dernier braquage en 2004, "tout seul, sans même un flingue". Aujourd'hui, "[sa] capacité de voleur est toujours là, mais cela ne [l]’intéresse plus. Le crime [l]’emmerde", confesse-t-il.

L'analyse Malgré l'écho médiatique de leurs récidives, les criminels ne sont qu'une infime part de la masse des récidivistes. Hafed est ainsi une exception dans le paysage de la récidive. Pour lui, si le phénomène de la récidive existe, c'est parce que la prison ne résout pas les problèmes des détenus : "Tu passes à l’acte parce que tu as un problème d’argent par exemple, et, à ta sortie de prison, ton problème t’attend toujours, démultiplié. La prison a simplement mis ton problème entre parenthèses, et toi avec." C'est le cas aussi pour les dépendances (alcool, drogues…) et les troubles mentaux, très fréquents chez les récidivistes.

Un prévenu arrive au palais de justice d'Angers (Maine-et-Loire), le 26 mai 2005. (FRANK PERRY / AFP)

Yazid : "Ma fierté est au-dessus de ma liberté"

Rencontré à Paris à la sortie du Mouvement pour la réinsertion sociale, une association d'aide aux personnes sortant de prison, Yazid est un homme en colère. Voilà six ans qu'il a été libéré et qu'il galère, sans logement ni travail stables. Il a découvert la prison à 17 ans ("une histoire de course-poursuite à moto avec la police", sourit-il), avant d'y retourner plus tard pendant vingt et un mois, pour une raison qu'il tait et qui lui vaut aujourd'hui une interdiction de se rendre en Seine-Saint-Denis.

Yazid est en colère, car ses 40 ans approchent, ses ennuis demeurent et sa bonne volonté de réinsertion s'effrite. Grand bavard et grand sanguin, il en veut à tous les organismes sociaux, auprès desquels il en a "marre de mendier, de venir pour rien". Il en vient à "regretter six ans de docilité" et à comprendre ceux qui "finissent en cabane pour avoir mis une patate à un mec du logement". Ses petits boulots ne lui permettent pas de trouver un appartement, son "plus grand problème". A bout, le visage tendu, il en vient même à parler du jour où il reprendra ses "activités, même si ça [l]'emmène au casse-pipe, car [sa] fierté est au-dessus de [sa] liberté".

L'analyse Le risque de récidive diminue au fil du temps : le taux de condamnation est ainsi de 32% durant la première année suivant la libération et de 1,5% durant la cinquième année. Pourtant, l'absence de récidive ne signifie pas toujours une réinsertion réussie. Comme les autres, les anciens détenus peuvent connaître la précarité. Or "ces personnes sont le plus souvent exclues des dispositifs de droit commun" en matière d'insertion, selon la magistrate chargée de l'organisation de la conférence de consensus, Nicole Maestracci. On sort alors du cadre judiciaire de la récidive pour toucher le terrain, plus vaste, des politiques publiques. Le ministère de la Justice n'est pas le seul responsable.

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