"Sa présence ne pouvait que gêner" : comment Tariq Ramadan a fait polémique en se rendant à une réunion contre les violences faites aux femmes
L'islamologue, mis en examen pour deux viols, a assisté à cette réunion à Saint-Denis, lundi 18 mars. Au grand dam des participantes.
"Je l'ai tout de suite reconnu et me suis demandé ce qu'il faisait là." Sofia, une habituée des réunions publiques à Saint-Denis, est toujours "stupéfaite" d'avoir vu dans le public d'une conférence sur les violences faites aux femmes un invité sulfureux, lundi 18 mars. "Cela me paraissait irréaliste qu'il ait pu s'installer là, à une telle occasion", explique-t-elle à franceinfo.
Cet invité dont la venue a fait polémique, c'est Tariq Ramadan. L'islamologue suisse est mis en examen depuis février 2019 pour deux viols, dont un sur personne vulnérable. Il est domicilié à Saint-Denis depuis sa libération conditionnelle, en novembre. Il s'est donc présenté lors de cet événement, qui avait lieu à la mairie, lundi 18 mars, durant lequel Danièle Obono, députée de La France Insoumise, devait notamment intervenir.
A 18h15, quand Sofia est entrée dans la salle, Tariq Ramadan était assis au deuxième rang, entouré de sa compagne et de sa fille. "Je me suis tout de suite demandé pourquoi il était aussi bien placé et s'il n'avait pas été invité."
"Une présence ni souhaitée ni souhaitable"
La mairie comme les participantes à la réunion sont formels : Tariq Ramadan n'a pas été invité. La réunion publique se tenant à la mairie, l'entrée était libre. N'empêche, sa présence n'est pas passée pas inaperçue. Les femmes qui l'ont reconnu ont commencé à débattre de la réaction à adopter. "Deux minutes avant le début du débat, on a été prévenues que Tariq Ramadan était dans le public, on a regardé et ça a été la panique générale", raconte Anaïs Bourdet, créatrice de Paye Ta Shnek. La militante féministe devait intervenir dans la discussion avec Danièle Obono et la politologue Françoise Vergès.
Les deux élus à l'initiative de la réunion, l'adjointe à la culture Sonia Pignot et le conseiller municipal délégué Madjid Messaoudene ont fait face aux réactions de la salle en colère. "Tout de suite, on a décidé d'ouvrir le débat, de présenter le cadre dans lequel il se tenait", explique ce dernier à franceinfo. Il assure que Tariq Ramadan a été prévenu que "sa présence n'était ni souhaitée ni souhaitable". Mais, rappelle l'élu, "on ne pouvait pas le mettre dehors manu militari. C'était une réunion publique, il avait le droit d'être là."
Le débat impossible
Dans le public, les réactions ont été vives. Sofia, militante de Femmes en lutte 93, estime que les élus n'ont pas réagi directement à la présence de l'islamologue. "Je me suis levée et j'ai dit que pour moi, ce n'était pas normal qu'on puisse mener un débat en la présence d'une personne plusieurs fois accusée de viols."
La fille de Tariq Ramadan s'est levée à son tour et a invoqué la présomption d'innocence de son père, dans l'attente de son procès. L'argument a fait bondir l'assistance, dont les élus de la mairie : "Coupable ou pas, il est perçu comme agresseur potentiel de différentes victimes, sa présence ne pouvait que gêner des femmes présentes dans la salle", s'insurge Madjid Messaoudene.
Sans un mot et malgré "une trentaine" d'injonctions à quitter la salle, Tariq Ramadan est resté assis. Les militantes dans l'assistance se sont divisées entre celles qui ont quitté la salle (une dizaine) et celles qui sont restées, estimant que leur parole ne devait pas être confisquée par l'islamologue.
On se répétait : 'Il y a Tariq Ramadan à une réunion sur les violences sexuelles et sexistes faites aux femmes', on avait besoin de se le répéter tellement c'était improbable et indécent !
Sofia, participante à la réunionà franceinfo
Les élus ont plaidé, devant les participantes sidérées, qu'ils ne pouvaient pas "faire plus". "L'idée était de dire qu'il n'était pas question de priver les femmes de leur parole, de cet espace de débat", se justifie Madjid Messaoudene. La conférence a finalement été lancée.
Une heure plus tard, il a quitté la réunion
Mais le débat, dont le thème était "lutter contre les violences envers les femmes au quotidien" n'a pas pu se dérouler comme prévu. "Cela a suscité la colère, la sidération, une bonne part de rage de se dire que même un espace comme ça, si rare, est colonisé par des prédateurs sexuels reconnus coupables ou non par la justice", témoigne Hanane, une participante qui travaille dans un lycée de Saint-Denis.
Venue de Marseille pour cette réunion, Anaïs Bourdet n'est pas intervenue comme elle l'avait souhaité : "Au bout d'un moment, on a fini par admettre que le débat ne pouvait pas se tenir et la réunion n'a vite plus tourné qu'autour de ça."
Plus d'une heure après son arrivée, Tariq Ramadan a finalement quitté la réunion, sans un mot. La parole ne s'est pas libérée davantage entre la soixantaine de participantes : "La tension est restée palpable, même quand il est parti", résume Anaïs Bourdet. La réunion a pris fin une heure plus tard.
"On ne pouvait pas le foutre dehors"
Le lendemain, la présence de l'islamologue continue de faire réagir. Les élus doivent réaffirmer à plusieurs reprises que Tariq Ramadan n'avait pas été invité dans cette réunion publique. La mairie de Saint-Denis publie un communiqué dénonçant sa venue comme "une provocation inacceptable". "Son refus de quitter la salle est une insulte envers les personnes légitimement choquées par sa présence", peut-on lire.
Avec son compte Facebook personnel, Tariq Ramadan répond à ce communiqué, dans un commentaire. L'islamologue affirme s'être rendu à la table ronde "principalement" pour assister à l'intervention de la politologue Françoise Vergès, qui vient de publier un livre sur le féminisme décolonial. Après avoir invoqué sa présomption d'innocence, il écrit : "Compte tenu des réactions suscitées, j'aimerais ici exprimer mes excuses et mes regrets si ma seule présence a heurté les sentiments de certain(e)s participant(e)s à cette table ronde. Il n'y avait aucune volonté de provocation de ma part."
Sur les réseaux sociaux, la poursuite du débat en sa présence agace. Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, a fustigé sa présence. Anaïs Bourdet déplore les "réactions des gens absents qui oublient que, même si on était contre sa présence, il avait le droit d'être là". "On ne pouvait pas le choper par le col et le foutre dehors", ajoute-t-elle en faisant allusion au tweet indigné de Laurence Rossignol, ancienne ministre et présidente de l'Assemblée des femmes, à ce sujet. La mairie entend, de son côté, organiser d'autres rencontres concernant les droits des femmes.
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