"La rue, les terrains vagues, ça n'est pas un endroit pour des petits"
Des cabanes brinquebalantes agglutinées. Ici, des bâches et des planches servent de toits. Des enfants jouent sur le sol boueux. Nous ne sommes pas à Manille, mais à 17 kilomètres de Paris, dans le camp des Coquetiers de Bobigny, où cohabitent familles bulgares et roumaines. C'est ici qu'en février dernier, Mélissa, sept ans, est morte brûlée vive dans l'incendie de l'abri qu'avait construit ses parents. L'incendie ? L'un des risques les plus angoissants. Mais, dans ce camp tout est effrayant pour un enfant.
"Ici, c’est qui est difficile, c’est quand il fait froid. Et puis, il y a aussi la pluie qui rentre partout. Il y a de la boue partout en ce moment. La nuit, ça n’est pas facile de réussir à dormir. Il y a beaucoup de bruit dans la rue, et aussi les rats que l’on entend faire des trous et rentrer dans les cabanes ", raconte Darius, un petit garçon de 11 ans qui semble avoir perdu son insouciance.
Virginia, 46 ans, est d'origine roumaine comme le petit Darius. "La rue, les terrains vagues, ça n'est pas un endroit pour des petits, dit cette mère de famille. "On n’a pas d'électricité, on dort tous collés les uns aux autres dans le noir complet. Quand les policiers nous évacuent, on doit dormir avec les petits dans la voiture, mais la voiture : c'est trop petit, c'est pas confortable. Et puis, ça n’est pas facile de garder les enfants propres. On doit les laver dans des bassines. Nos enfants sont fatigués, tristes, souvent malades. Ils toussent. J'aimerais que chaque mère qui m'entende essaie d'imaginer la vie de mes enfants , ajoute Virginia.
Des rats dans les cabanes
La quinzaine d'enfants sans abri qui sont morts l'an passé en France ont péri pour diverses raisons : un garçon renversé par une voiture, des pathologies non soignées. Quatre nouveau-nés aussi sont morts car les grossesses de leur mère avaient été mal suivies . Dans le camp de Bobigny, Madalina sait combien s'occuper d'un nourrisson, quand on n'a pas de maison, est un enfer. Elle a accouché de son premier enfant - une petite fille - au mois de mai.
"J'ai accouché à l'hôpital. C’était bien, mais de retour ici, c'est devenu compliqué sans eau, avec la saleté partout. Mon bébé enchaîne bronchites, bronchiolites et otites. Elle est si petite. Je suis inquiète de ce qu'il peut lui arriver dans ces conditions, surtout avec l'hiver qui arrive. La semaine dernière, des rats se sont approchés d'elle pendant la nuit. Depuis, je reste tout le temps éveillée près d'elle, avec des bougies, pour être sûre que ces sales bêtes ne l'attaquent pas. On espérait trouver une solution d'hébergement avant la naissance, mais ça a été impossible ", raconte la jeune femme.
Les adolescents sont aussi parmi les plus vulnérables dans la rue, dans les bidonvilles. Ils peuvent être confrontés à la violence, tentés par la délinquance. Larissa 14 ans veut tourner le dos à tout cela et rêve d’une vie normale. Elle vit avec sa famille au camp des Coquetiers.
Une protection sociale à deux vitesses
"Vivre ici, c’est plus compliqué pour nous que pour nos parents. On va à l’école. Et là-bas, on se fait des amies qui ne peuvent pas comprendre nos conditions de vie. Plusieurs copines m’ont demandé pourquoi je ne les invitais jamais à goûter ou dormir chez moi. Je ne sais pas quoi répondre. C’est comme de la honte. Je ne veux pas qu’on sache que je vis dans un bidonville ", explique l’adolescente.
En juin, Larissa a eu les félicitations de son conseil de classe. Elle passe en 4ème. Un miracle dans ces conditions de vie. Un miracle quand on sait que, depuis la mort dramatique de la petite Melissa, elle vit dans la peur d'un nouvel incendie.
Ces situations mettent en colère Christophe Louis, le président du collectif des Morts de la rue. "Chaque année en France, de plus en plus d’enfants vivent ainsi dehors. Et on a maintenant des enfants qui y meurent, presque dans l’indifférence. Et on constate qu’aucun de ces enfants n’est de nationalité française. On peut vraiment se demander s’il n’ y a pas en France une protection de l’enfance à deux vitesses : une pour enfants français et une pour les autres. Il y a urgence à ce que nos hommes politiques réagissent sur ce sujet" , s’insurge Christophe Louis.
Pour ajouter à la détresse, sur le campement des Coquetiers, une menace supplémentaire pèse depuis que mardi dernier le tribunal administratif a validé une décision du nouveau maire de Bobigny : la menace d'une nouvelle évacuation du bidonville, à tout moment.
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