Le groupe d'amitié France-Qatar à l'Assemblée dans la tourmente après les accusations formulées dans un livre
Dans "Nos très chers émirs" (éd. Michel Lafon), les journalistes Georges Malbrunot et Christian Chesnot affirment que plusieurs élus ont bénéficié des largesses de l'ancien ambassadeur qatari en France. Interrogés par franceinfo, ils contestent.
Branle-bas de combat chez les élus du groupe parlementaire d'amitié France-Qatar, après la publication de Nos très chers émirs (éd. Michel Lafon), jeudi 20 octobre, écrit par Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Les deux journalistes évoquent la générosité supposée de l'ancien ambassadeur du Qatar en France, Mohammed Al-Kuwari, dont auraient bénéficié plusieurs élus français. Franceinfo a cherché à contacter les députés mis en cause.
Un député accusé de réclamer des cadeaux
Le nom de Nicolas Bays est notamment évoqué dans l'ouvrage. Le député PS aurait envoyé plusieurs textos – en vain – pour demander des avantages en liquide ou en nature, dont des billets d'avion pour le Qatar ou des chaussures de luxe. "L’ancien ambassadeur lui avait fait cadeau de chaussures de marque, affirmerait un proche de Meshaal Al-Tahini, cité dans le livre. Il pensait que Meshaal allait faire la même chose que son prédécesseur !" Mis en cause, l'élu s'est fendu d'un communiqué, dans lequel il nie ces accusations et évoque "deux cadeaux d'usage", qu'il a aussitôt signalés "à la déontologie de l'Assemblée nationale" conformément au règlement de cette dernière.
En 2016, l'insistance de Nicolas Bays aurait conduit le nouvel ambassadeur à l'éviter, poursuivent Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Le député aurait essayé, malgré tout, d'être reçu par le ministre de la Défense du Qatar. "Au courant des pratiques de son collègue, le président du groupe d’amitié France-Qatar, le député du Loir-et-Cher, Maurice Leroy, a rapporté ces dérives à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale", affirme les auteurs dans le livre. Nicolas Bays assure que Claude Bartolone n'a jamais été informé "de prétendues dérives le concernant". Contacté par franceinfo, Maurice Leroy juge pourtant "exact" ce passage de l'ouvrage.
"Je n'ai jamais reçu de cadeau du Qatar"
"Nicolas était très actif au démarrage du groupe, il avait de bonnes relations avec l'ancien ambassadeur, commente Alexis Bachelay, contacté par franceinfo. Il faisait partie de la commission Défense, stratégique avec ce pays. Mais c'est tout." Selon le livre, Alexis Bachelay aurait "cherché des financements pour sa campagne des législatives auprès de l’ambassade du Qatar". Un passage qui le met en rogne. Il explique à franceinfo : "Le maximum pour une campagne, c'est 40 000 euros, dont la moitié est remboursée par l'Etat ! En 2012, j'ai emprunté 20 000 euros, avec aussi 8 000 ou 9 000 d'apport personnel et de militants. Les dons de particuliers sont limités à 7 500 euros. Ces journalistes ne savent même pas comment fonctionne une élection ! "
A l'Assemblée nationale, les cadeaux dont la valeur est supérieure à 150 euros doivent être déclarés. "Mais à Noël, Mohammed Kuwari offrait aux membres du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale des montres Rolex ou des bons d’achats dans des grands magasins", affirment les deux journalistes, dont le montant serait allé "jusqu’à 5 000 ou 6 000 euros". Alexis Bachelay évoque simplement un colis alimentaire reçu deux années d'affilée – "je l'ai donné à une banque alimentaire, je peux encore m'offrir une bouteille de champagne" – ainsi qu'une invitation à la fête nationale du 18 décembre, ou des réceptions à l'ambassade ou à la résidence.
Plusieurs élus songent porter plainte
Secrétaire du groupe, Gérard Bapt, interrogé par franceinfo, ironise sur les sacs Vuitton dont il n'a jamais vu la couleur. Vice-président du groupe d'amitié, François Pupponi évoque aussi "deux corbeilles à Noël avec du foie gras, mais d'autres ambassades font ça". Le député PS veut saisir le bureau de l'Assemblée nationale et pourrait porter plainte contre les auteurs du livre, comme plusieurs élus contactés par franceinfo.
Je n'ai jamais reçu de cadeau du Qatar et je n'ai jamais été en voyage là-bas. Le livre jette la suspicion sur le groupe France-Qatar, on a l'impression que tous ses élus sont corrompus. C'est nauséabond.
Alors que l'ouvrage ménage l'actuel ambassadeur, l'ancien, Mohammed Al-Kuwari, est décrit comme un homme dispendieux. Contacté par franceinfo, un membre du groupe d'amitié se souvient d'une invitation adressée à l'ensemble de ses élus. Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, avait mis le hola, et la mission avait été restreinte au bureau, comme il est d'usage.
Après la fin de l'année 2013, moment qui correspond au changement d'ambassadeur, ces pratiques auraient cessé. Jean-Vincent Placé se serait plaint "dans le carré VIP du PSG que l’ambassadeur actuel ne l’invite plus à des week-ends", écrivent les deux journalistes. Une accusation "lamentable", répond l'actuel secrétaire d'Etat à la Réforme de l'État. "Je n'ai jamais rien reçu et je n'ai dîné qu'une fois avec l'ancien ambassadeur, d'ailleurs sympathique."
"Si c'était à refaire, je refuserais la vice-présidence"
Malgré le nouvel ambassadeur, certains élus auraient toujours le même appétit, écrivent Georges Malbrunot et Christian Chesnot. Ainsi, ils affirment que le ministre PS Jean-Marie Le Guen, aurait proposé la signature d'un contrat entre l'actuel ambassadeur, Meshaal Al-Thani, et la société de communication ESL Networks, dirigée par l'un de ses proches. Grâce au concours du ministre, l'émirat aurait ainsi eu l'assurance d'être protégé à l'Assemblée et au Sénat, lors des questions dans l'hémicycle. L'affaire ne sera jamais conclue. Après la parution du livre, Jean-Marie Le Guen a annoncé qu'il portait plainte en diffamation contre les auteurs.
J'ai appris avec stupéfaction et consternation les allégations délirantes du livre de MM. Chesnot et Malbrunot, et publiées dans @LePoint
— Jean-Marie Le Guen (@jm_leguen) 19 octobre 2016
Composé de 54 élus, le groupe d'amitié France-Qatar fait régulièrement l'objet de soupçons, eu égard aux relations parfois sulfureuses entre la France et l'émirat. Lassé, le député François Pupponi, va démissionner de la vice-présidence : "Ma lettre est prête ; je ne veux pas qu'on pense que je suis aux frais de la princesse." Alexis Bachelay, lui non plus, ne compte pas rempiler en cas de réélection. "Je me suis posé plusieurs fois la question de démissionner à cause des rumeurs. Honnêtement, si c'était à refaire, je refuserais d'en prendre la vice-présidence."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.