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"J'ai appris à devenir un homme en m'habillant en femme", confie la drag queen Nicky Doll, jurée de "Drag Race France"

La nouvelle saison de l'adaptation du show américain au succès international "RuPaul's Drag Race" débute vendredi sur France 2 et francetv slash.
Article rédigé par Isabelle Malin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
La drag queen Nicky Doll anime la nouvelle saison de l'émission "Drag Race France", dont la diffusion débute vendredi 30 juin. (DYLAN PERLOT / FRANCEINFO)

Préparez les paillettes ! La diffusion de la nouvelle saison de "Drag Race France", adaptation du show américain au succès international "RuPaul's Drag Race", débute vendredi 30 juin sur France 2 et francetv slash. Pour la deuxième année consécutive, la drag queen Nicky Doll, de son vrai nom Karl Sanchez, fera partie du jury, aux côtés de l'animatrice Daphné Bürki et du chanteur et DJ Kiddy Smile. Ils seront rejoints par de nombreux invités : Nicolas Sirkis, Jean-Paul Gaultier, Bilal Hassani, Olivier Rousteing ou encore Marianne James.

En complément de cette actualité, la plus célèbre drag queen française présentera cet été une série de documentaires diffusée sur France 5, intitulée Les voyages de Nicky. Des périples qui interrogeront la question du genre dans divers pays tels que l'Inde, le Mexique, le Japon, ou encore la Grèce. Nicky Doll revient pour franceinfo sur son parcours et la démarche intrinsèquement politique du drag.

Franceinfo : Comment êtes-vous devenue drag queen ? 

Nicky Doll : Plus jeune, j'étais un garçon très efféminé, plus encore qu'aujourd'hui. À l'époque, je ne me reconnaissais pas dans les gens qui m'entouraient : je n'étais acceptée dans aucun groupe à l'école et j'en souffrais. À 18 ans, j'ai décidé de créer Nicky Doll, un personnage fictif qui est devenu aujourd'hui bien réel.

"Je me suis dit : 'Eh bien, puisqu'on me dit si efféminé, puisque pour certains, je ne serai jamais un homme, alors je vais être une femme pour un soir, et je vais m'amuser'."

Nicky Doll

à franceinfo

Cette démarche m'a permis de déconstruire tous mes traumas et toutes les projections que les gens avaient à mon sujet. Ce personnage a pris vraiment corps lors de ma première Pride (marche des fiertés), et est devenu au fil du temps une façon pour moi de jouer avec le genre et de m'exprimer artistiquement.

Surtout, j'ai appris à devenir un homme en m'habillant en femme : c'est en ouvrant cette porte que j'ai finalement accepté d'être Karl, qui est mon vrai prénom. J'étais enfin en paix avec moi-même, je n'étais plus une seule définition, j'étais les deux.

J'avais par ailleurs envie de rendre hommage aux femmes et à travers elles, à ma mère, qui m'a élevée seule. Je considère la femme comme le sexe le plus fort et le plus beau de la société. L'honorer m'a permis d'accepter mon côté féminin et de faire de la place à ma partie masculine. Cela a été une forme de thérapie.

Pourquoi avoir choisi de partir vivre aux Etats-Unis ? 

Lorsque je m'y suis installée, en 2015, ma carrière de drag queen n'évoluait pas. Les opportunités en France étaient maigres et j'étais payée une misère. Je devais régler moi-même mes taxis, je n'avais pas de budget pour mes tenues, et je devais m'estimer heureuse si j'obtenais un ticket à échanger contre une consommation en boîte de nuit après être montée sur scène.

Je ne me sentais pas appréciée à ma juste valeur. En plus, ici, l'ambition semble être un problème. Aux Etats-Unis, si tu es jeune et ambitieuse, on va te laisser l'opportunité de faire tes preuves. En France, on va plutôt te demander pour qui tu te prends. Ce qui allait prendre des années dans mon propre pays, j'ai réussi à le faire en l'espace de cinq mois aux USA.

Aviez-vous des contacts dans le milieu drag américain ?

Non, je ne connaissais personne. Je suis partie à San Francisco avec mon compagnon américain, car il avait obtenu un travail là-bas. Mais, au bout d'un an et demi, nous nous sommes installés à New York, où les opportunités étaient plus nombreuses pour moi.

Et surtout, il y a tellement de shows partout dans la ville, que ce soit à Broadway ou ailleurs, que cela me nourrit et me permet de rester en éveil sur ce que je peux faire dans ma carrière, et sur ce que je peux proposer comme idées en France.

Est-ce que là-bas, vous souffrez de la stigmatisation des conservateurs à l'encontre de votre communauté ? 

À New York, je suis un peu dans une bulle, car c'est une ville à part. Elle n'est pas représentative de ce que peuvent être les Etats-Unis. Mais, évidemment, comme je suis connue dans le milieu drag, je m'intéresse à ce qui se passe dans la communauté.

J'ai suivi de près la situation dans l'Etat du Tennessee, où le gouverneur républicain a essayé de criminaliser et d'interdire les spectacles de drag queen dans l'espace public. Finalement, son projet de loi a été considéré comme inconstitutionnel par la Cour suprême. J'espère qu'il en sera de même pour les autres Etats qui voudraient adopter de telles mesures.

Comprenez-vous pourquoi les drag queens sont ainsi ciblées ?

Il s'agit selon moi d'un écran de fumée qui permet de ne pas s'occuper du vrai problème : les armes. On trouve toujours une guerre culturelle pour détourner le regard de ce sujet. Avant les drag queens, c'était le mariage gay, et plus tôt encore la contraception… 

"Cette fois, on nous reproche d'être dangereuses pour les enfants. Mais les drag queens n'ont jamais tué personne ! Par contre, des fusillades dans les écoles, il y en a sans cesse."

Nicky Doll

à franceinfo

Cela peut paraître choquant, mais je ne suis pas surprise de voir ce genre de polémiques apparaître aux Etats-Unis. Par contre, je suis surprise de voir que ces débats arrivent jusqu'en France. Je ne comprends par exemple pas pourquoi le parti d'Eric Zemmour a utilisé la photo d'une personne trans pour incriminer un art noble et qui ne fait de mal à personne.

Pour les opposants au drag, nos spectacles seraient trop sexuels et trop irrévérencieux pour être montrés aux enfants. Mais comme dans tout art, il y a des extrêmes : on ne va pas voir un spectacle de strip-teaseuses avec son fils de 6 ans ! Pour autant, j'ai vu durant mon enfance beaucoup de choses qui n'étaient pas faites pour mon esprit de petit garçon de 12 ans, mais cela m'a aidé à être beaucoup plus tolérant.

Je comprends que nos shows puissent choquer, n'est-ce pas là le but de l'art ? D'autres formes d'art se sont-elles pas choquantes depuis toujours ? Choquer pour pousser à la réflexion, j'adore.

Pourquoi avoir décidé de participer à une série documentaire sur les drag queens ? 

Parce que la question du genre est un fait de société important. Si on écoute les médias, le genre semble n'être qu'un phénomène de mode, et la transidentité une tendance qui date de quelques mois. Or, ce n'est pas nouveau, mais autrefois, il était plus difficile pour les personnes concernées de s'accepter.

Le fait que l'on puisse apporter de la visibilité et que certaines personnes se reconnaissent à travers nous est un progrès.

Nicky Doll

à franceinfo

Si souvent on nous reproche de revendiquer haut et fort notre identité sexuelle, c'est parce qu'il y en a encore trop de gens, au sein de notre communauté LGBTQIA+, qui n'osent pas le faire. Si on peut aider les plus timides à ne pas voir peur de s'assumer, c'est déjà énorme.

Est-ce que vous vous engageriez politiquement pour la cause des drag queens ?

Je fais déjà de la politique puisque je suis, d'une certaine manière, une porte-parole de ma communauté. Mais me confronter à un parti politique qui veut uniquement se nourrir de la peur des Français ne m'intéresse pas vraiment. La politique, c'est un métier.

De mon côté, je préfère parler d'amour, de tolérance et divertir les gens. Cela me paraît plus important. Je suis déjà à ma façon présente sur le champ de bataille des idées, et je n'ai pas envie de m'y aventurer davantage. Les personnes d'extrême droite rétrogrades, je préfère les ignorer.

L'émission "Drag Race France" est diffusée vendredi 30 juin à 22h55 sur France 2 et dès 18 heures sur francetv slash. 

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