: Témoignages "Nous souhaitons vivre une vie normale" : de l'Argentine à Taïwan, sept personnes LGBTQIA+ racontent leurs combats au quotidien
Des avancées libératrices pour certaines, grâce à des lois pionnières. Des reculs inquiétants pour d'autres, à cause de mesures restrictives. Alors que la marche des fiertés défile samedi 24 juin dans les rues de Paris, franceinfo donne la parole à des personnes lesbienne, gay, queer, transgenres, intersexe ou non-binaire vivant en Asie, en Afrique, en Amérique ou en Europe. Elles racontent leur combat permanent pour l'égalité des droits des citoyens LGBTQIA+, ainsi que la fragilité de leurs acquis.
Steven, 25 ans, homosexuel en Ouganda : "Je peux être condamné à mort"
"Depuis que la loi 'anti-homosexualité' est passée, fin mai, j'ai peur pour ma vie. Comme je suis gay et membre d'une association de défense des LGBTQIA+, je peux être condamné à mort. Sur les réseaux sociaux, des policiers piègent les gays pour les retrouver. Ils expliquent à la population comment nous 'reconnaître'. Des membres de ma famille, des gens que je ne connais pas, me traquent. L'autre jour, j'ai reçu un courriel de quelqu'un qui disait : 'On sait dans quel quartier tu vis. On va venir te chercher'. Sur Twitter, quelqu'un m'a envoyé une photo en disant qu'il allait me découper en morceaux. Hier soir, j'ai beaucoup pleuré, je me demande ce que j'ai fait pour mériter ça.
J'ai dû fuir et me cacher. Je ne sors que la nuit pour respirer de l'air frais et pour que mon corps n'oublie pas ce que ça signifie d'être dehors. Je ne sais pas quand je reverrai la lumière du jour. Je n'appelle pas mes amis parce que j'ai peur que la police les utilise pour m'atteindre. Je n'utilise pas ma carte de crédit pour ne pas laisser de traces. J'ai un petit peu d'économies qui me permettent de survivre, mais je vais bientôt manquer de nourriture. Je n'ai rien à faire au quotidien. J'écris des poèmes sur mon blog. Mon préféré s'appelle The Poisonous Seed of Hate ["La graine vénéneuse de la haine"].
Le gouvernement, les églises, les médias... relayent une énorme désinformation sur les homosexuels. Ils disent que nous répandons le VIH, que nous sommes pédophiles et qu'il faut nous faire disparaître pour protéger la culture ougandaise.
Steven Kabuyeà franceinfo
J'ai pensé à fuir. J'ai des proches aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, qui pourraient m'accueillir, mais aucun pays occidental ne veut m'accorder un visa, car l'Ouganda n'est pas en guerre. Quand tu es noir et que tu viens d'Afrique, tu n'es pas le bienvenu. Je crains que de nombreuses personnes LGBTQIA+ se suicident."
Lois, 45 ans, lesbienne à Taïwan : "Sur le plan légal, je suis une étrangère pour mon fils"
"J'ai rencontré Cécilia lorsque je faisais mes études au Royaume-Uni. Elle est Chinoise, moi Taïwanaise. Nous nous sommes retrouvées côte à côte en cours. Nous sommes devenues amies, et puis petit à petit, partenaires. En 2015, un de nos amis a accepté de nous faire un don de sperme et Cecilia a donné naissance à notre fils Leo, à Taïwan. Comme le mariage entre personnes de même sexe n'était toujours pas légal dans le pays, nous sommes allées nous marier aux Etats-Unis.
En 2019, Taïwan a légalisé le mariage pour tous. C'était le premier pays en Asie à l'autoriser. Taïwan est vraiment un pays tolérant vis-à-vis des personnes LGBTQIA+. Il y a beaucoup d'activistes qui luttent pour nos droits et je n'ai jamais ressenti de discriminations au quotidien.
Mais il y a encore du chemin à parcourir : mon épouse ne peut rester dans le pays que six mois par an, et est obligée d'obtenir un visa pour me rendre visite avec mon fils. Mon mariage transnational avec Cecilia n'est pas reconnu, en raison des tensions actuelles qu'il y a avec la Chine. Pourtant, un couple hétérosexuel entre un Taïwanais et une Chinoise est légal. C'est discriminant.
"Ma famille n'a officiellement aucune légalité à Taïwan."
Loisà franceinfo
Cette situation rend notre vie de famille très compliquée. De mon côté, sur le plan légal, je suis une étrangère pour mon fils. Je ne suis pas reconnue comme sa mère, car c'est Cecilia qui l'a porté et la loi taïwanaise m'interdit de l'adopter. Pourtant, c'est moi qui l'emmène à l'école, au parc, qui m'occupe de lui… S'il est malade et qu'un de ses parents doit signer un document à l'hôpital, je n'ai pas l'autorisation de le faire. Avec ma compagne, nous évitons de lui en parler pour le protéger. Mais Leo sait qu'il a deux mamans.
J'ai écrit des lettres au gouvernement, je suis allée voir des ONG, mais pour le moment, rien ne semble bouger. Je pense porter mon cas devant la justice. Notre amour et notre famille existent depuis des années. Il faut le reconnaître."
Logan, 24 ans, jeune homme trans aux Etats-Unis : "Devoir partir est terrible"
"C'était il y a environ un mois. Le soir où nous avons entendu la nouvelle, ma compagne transgenre et moi nous sommes dit : 'Ça ne va faire qu'empirer.' Ce jour-là, la Floride a décidé de voter une loi obligeant les personnes trans à utiliser des toilettes publiques réservées aux personnes de leur sexe assigné à la naissance.
Deux autres lois ont été votées. L'une d'entre elles dispose que seuls des médecins peuvent proposer des soins d'affirmation de genre. Notre centre médical, composé d'infirmiers, nous a informé qu'il ne pourrait plus nous fournir notre traitement hormonal. J'ai appelé quatre médecins proposant ces soins, mais ils ont des listes d'attente de six mois. Une deuxième loi propose une clause de conscience, qui permet à des soignants de refuser la prise en charge de personnes trans s'ils le souhaitent. Cela me heurte beaucoup.
Nous avons besoin de 10 000 dollars [environ 9 120 euros] pour refaire notre vie dans l'Illinois. Mon père y vit ainsi que des membres de sa famille. Nous savons que nous serons en sécurité là-bas. Sans la cagnotte en ligne que nous avons lancée, nous risquons de mettre plus de six mois à partir. Six mois de peur et d'inquiétudes.
"Avec ce contexte, avec ces lois, nous avons peur de sortir de chez nous."
Loganà franceinfo
Devoir partir est terrible. Tous mes amis, ma mère, ma tante, ma grand-mère et mes cousins sont ici. Ma compagne n'a jamais vécu ailleurs. Une part de moi veut se battre et rester, mais je veux aussi m'assurer que nous sommes en sécurité. Nous souhaitons vivre une vie normale."
Nathanaël Lobo, 29 ans, non-binaire en Argentine : "Ma carte d'identité dit enfin qui je suis"
"Il y a deux ans, un décret a permis l'apparition de cartes d'identité avec une mention 'X' pour les personnes non-binaires. Le texte m'a permis de réaliser ce changement à l'état civil et de modifier mon prénom. C'est la plus belle chose qui me soit arrivée dans la vie. Cela faisait 13 ans que j'essayais d'avoir mon vrai prénom reconnu. J'avais peur de mourir avec le prénom de quelqu'un que je n'étais pas.
Depuis mon enfance, je sentais que je ne rentrais pas dans les modèles et stéréotypes masculins ou féminins. On m'a appelé Carlos Javier, mon père se prénommait Juan Carlos. Nous avons hérité d'un prénom des hommes de notre famille. A partir de l'adolescence, j'ai su que je ne me retrouvais pas dans l'héritage de mon père, de toutes ces traditions et de ces hommes. J'étais quelqu'un d'autre. C'est à ce moment-là que le prénom Nathanaël a émergé. Je devais quand même toujours donner mon prénom officiel, et je le vivais comme un mensonge.
Le jour où j'ai reçu ma nouvelle carte d'identité et que j'ai vu mon prénom Nathanaël, j'ai décidé d'aller marcher. Je regardais le document, les gens autour de moi et le soleil, et je riais de joie.
"Je ne pouvais pas m'arrêter de regarder ma carte et je me sentais à ma place dans ce monde. Je crois qu'à cette période-là, j'ai cessé de simplement exister et j'ai commencé à vivre."
Nathanael Loboà franceinfo
Le fournisseur d'électricité, la téléphonie, les banques... J'ai contacté tous les services pour changer mon identité. Dans certains services publics, les démarches étaient très simples. Dans d'autres services privés, moins... Mais ce qui me rend heureux, c'est que je n'ai plus à expliquer ma situation. Je vis ce bonheur tous les jours, car ma carte d'identité dit enfin qui je suis."
Nikolett Tyukász, 31 ans, femme transgenre en Hongrie : "Mon nom et mon genre ne peuvent être changés légalement"
"J'ai 31 ans et il y a un an et demi, j'ai fait mon coming out transgenre. Pourtant, mon nom et mon genre ne peuvent être changés légalement. En 2020, les autorités ont décidé qu'il était impossible de changer son prénom pour un prénom du genre opposé, ni de changer son genre sur tout document d'identité. Seules des personnes qui avaient déjà débuté cette procédure ont pu continuer. Pour les personnes comme moi qui se sont lancées après 2020, c'est impossible.
"Chaque fois que je dois montrer ma carte d'identité à quelqu'un, cela entraîne immédiatement des questionnements, un malaise. C'est épuisant."
Nikolett Tyukászà franceinfo
Un policier m'a déjà demandé ma carte d'identité, son regard oscillant entre moi et le document. Il m'a demandé si c'était bien moi. Je lui ai expliqué que j'étais une femme transgenre et il a levé les yeux au ciel.
J'ai récemment travaillé pendant deux mois dans la livraison. Des collègues ont remis en question mon genre devant tout le monde. 'Je ne te considère pas comme une femme' ; 'J'appelle seulement quelqu'un par son nom inscrit sur sa carte d'identité', ont lâché certains employés. C'était très stressant, et tout cela vient de cette interdiction de changement de nom et de genre.
Ce type de harcèlement serait impossible avec une nouvelle pièce d'identité. Ces personnes ne connaîtraient pas mon ancien prénom et ma carte d'identité correspondrait à mon apparence. Cela rendrait la vie des personnes transgenres bien plus facile."
Magda, jeune personne queer en Egypte : "On ne croit pas en notre existence"
"Je suis demisexuelle [une personne qui ressent une attirance sexuelle uniquement envers des personnes avec qui elle a noué des liens affectifs forts], et je suis aussi panromantique [une personne qui peut avoir une relation amoureuse avec quelqu'un, peu importe son sexe ou son genre]. C'était renversant de m'en rendre compte, de trouver ma place. Je ne peux pas en parler à ma famille, mais elle sait que je soutiens la communauté queer. Cela se voyait sur les réseaux sociaux.
En 2019, j'ai commencé à travailler pour un organisme d'enseignement. Un matin, après deux semaines de cours, on m'a annoncé que je ne travaillais plus pour l'école. Le dirigeant de l'organisme m'a seulement répondu, à l'écrit, qu'il y avait une logique derrière ce choix. Quelques mois plus tard, une amie travaillant pour l'établissement m'a montré des captures d'écran de conversations entre enseignants et directeurs. J'y voyais des captures d'écran de mes publications sur les réseaux sociaux, comme un contenu sur le mariage pour tous.
"Mes anciens collègues disaient que ce n'était pas sûr de me laisser avec des enfants, que des parents avaient peur que je leur inculque des choses 'contre-nature'."
Magdaà franceinfo
J'étais très choquée. À ce moment-là, cela faisait plusieurs mois que je n'arrivais plus à retrouver du travail. Je vis dans une petite ville, je suis sûre que mon soutien à la communauté queer a joué.
Les choses se sont améliorées quand j'ai commencé à vivre une double vie. J'ai retiré tous mes amis de mes comptes sur les réseaux sociaux, je les ai rendus privés et j'ai créé un compte public, plus professionnel. Me plaindre aux autorités m'aurait exposé encore plus : la loi ne nous protège pas, car en Egypte, on ne croit pas en notre existence.
Ce petit incident a eu un impact immense sur la manière dont je vis ma vie aujourd'hui. J'étais une personne très accueillante et je suis maintenant renfermée. C'est comme si je me sentais sans cesse en danger."
Asmi Molina, 63 ans, intersexe en Espagne : "L'Etat doit nous protéger"
"Naître avec des caractéristiques intersexes a marqué une grande partie de ma vie. Après ma naissance, on m'a donné un prénom féminin et j'ai reçu une éducation féminine, mais une part de moi a toujours été masculine. Il y avait toujours ce conflit.
Les violences médicales les plus fortes ont commencé à l'âge de 16 ans. J'ai passé un mois à l'hôpital, car on voulait m'examiner. Chaque jour, on m'a déshabillé, on a fait des commentaires sur mon corps, on m'a touché. Un jour, les médecins m'ont dit qu'ils allaient faire une cœlioscopie [une intervention chirurgicale sur la cavité abdominale]. En réalité, on m'a retiré des glandes sexuelles internes. J'ai ensuite pris des hormones féminines pour me féminiser, et à 18 ans, j'ai demandé une vaginoplastie. A l'hôpital, on ne m'a jamais demandé qui j'étais vraiment. J'ai donc accepté de me conformer à ce genre féminin. Mais jamais, jamais je n'ai pensé être une femme.
"Etre activiste, me présenter comme personne intersexe et l'expliquer aux gens... Plus je parle et plus cela normalise ce que je suis. En faisant cela, je me sens très bien."
Asmi Molinaà franceinfo
J'ai fait mon coming out il y a cinq ans. Dans une vidéo, j'ai raconté mon histoire pour le jour de la visibilité intersexe. J'ai témoigné au Parlement basque, j'évoque le sujet auprès de politiciens. Avec d'autres activistes, j'ai récemment participé à l'élaboration de la loi pour l'égalité réelle et effective des personnes trans, et pour la garantie des droits des personnes LGBTI. Désormais, toutes les mutilations infantiles sur les personnes intersexes sont interdites en Espagne, sauf si le médecin juge l'intervention nécessaire.
Un progrès ? Non, ce n'est pas une protection. Si le médecin a une vision binaire, masculin ou féminin, c'est la porte ouverte à de nouvelles mutilations. Nos propositions ont été ignorées. Pour moi, il ne faut aucune mutilation, point. L'Etat doit nous protéger."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.