"Un droit acquis au prix de très nombreuses violences" : dix ans après, des défenseures des droits LGBT se souviennent de l'adoption du mariage pour tous
Une avancée sociétale majeure, mais qui a laissé un goût amer. En 2013, Marie-Clémence Bordet-Nicaise était une jeune femme lesbienne de 25 ans. La cofondatrice de Collectif Famille.s, groupement de défense de droits LGBT, se remémore les longs mois de débats parlementaires pour l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. "C'est un souvenir à la fois heureux et douloureux", explique-t-elle, partagée.
La militante évoque une période trouble, particulièrement difficile à vivre. "Je me sentais dépossédée de mon histoire, qui était de l'ordre de l'intime et qui est soudainement devenue politique". Au cœur du mois de janvier cette année-là, La Manif pour tous, qui mène une farouche campagne contre le projet gouvernemental, parvient à mobiliser des centaines de milliers de personnes dans les rues pour s'opposer à l'union des personnes homosexuelles.
Marie-Clémence Bordet-Nicaise subit même une opposition frontale au sein de son entourage. "J'ai été forcée de rompre avec une partie de ma famille et avec l'Eglise catholique. J'ai arrêté de pratiquer ma religion à ce moment-là", raconte l'autrice de l'ouvrage On ne choisit pas qui on aime (éd. Flammarion).
"Une propagation de la haine"
Après des mois de mobilisation des opposants, de virulents débats, la loi pour l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe a finalement été adoptée le 23 avril 2013, et promulguée quelques semaines plus tard. "Il s'agit d'un droit qui a été acquis au prix de très nombreuses violences", rappelle Rozenn Le Carboulec, qui publiera le 3 mai un livre sur le sujet, Les Humilié.es (éd. des Equateurs).
Le projet de loi sur le mariage pour tous, promis dans le programme électoral de François Hollande en 2012 et porté quelques mois plus tard par sa ministre de la Justice, Christiane Taubira, n'a pas assez été défendu par l'exécutif, juge la journaliste. Elle dénonce les "tiédeurs" de la gauche alors au pouvoir, "qui a laissé La Manif pour tous s'exprimer et laissé un climat homophobe s'installer".
"Pour les personnes LGBT, cette période est un très mauvais souvenir et une grande source de traumatisme."
Rozenn Le Carboulec, journaliste et autriceà franceinfo
Lucile Jomat, présidente de SOS homophobie, association qui tient notamment une permanence dédiée aux personnes LGBT, rappelle de son côté qu'il y a eu une explosion des appels pour signaler des propos ou actes homophobes durant cette période. Dans son rapport annuel de 2013, l'association relevait ainsi que les signalements avaient augmenté de 78% sur un an. Des insultes étaient constatées dans trois alertes sur quatre, et la violence physique était présente une fois sur sept.
Les médias ont largement relayé à l'époque la haine homophobe, en accordant une place démesurée aux anti-mariage pour tous, selon Lucile Jomat. "Si une personne a des propos LGBTphobe à la télévision, d'autres vont se sentir plus à l'aise pour en faire de même au quotidien. Cela augmente la propagation de la haine", regrette-t-elle.
"Cette loi n'est plus remise en question"
Malgré les moments difficiles qui ont jalonné le parcours législatif, les interlocutrices interrogées par franceinfo soulignent l'importance de cette loi, qui a permis une évolution sociétale majeure. "Cette loi n'est plus remise en question, même par les personnes qui s'y opposaient à l'époque. C'est un droit qui est à présent largement accepté", salue Rozenn Le Carboulec.
Le mariage pour tous marque également la fin d'une situation d'inégalité criante, estime Lucile Jomat : "Avant cela, on était des 'sous-citoyens'. L'avancée des droits a permis l'avancée de la société". Et des mentalités. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a par exemple fait – comme d'autres à droite – son mea culpa, vendredi, pour s'être opposé au texte il y a dix ans, alors qu'il était député UMP. "C'est important de voir que les gens évoluent, constate la présidente de SOS homophobie. Mais nous, on n'oublie pas ce qu'ils ont dit à l'époque."
Depuis le printemps 2013, près de 70 000 mariages homosexuels ont été célébrés en France. En 2022, l'Insee en a recensé 7 000 (données arrêtées au mois de novembre), un chiffre plutôt stable depuis une décennie, à l'exception de l'année 2020, marquée par la pandémie de Covid-19.
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