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Vrai ou faux Réchauffement climatique : la France va-t-elle manquer d'eau pour refroidir ses centrales nucléaires ?

Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
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Temps de lecture : 8min
La centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne), le 9 février 2023. (MATTHIEU RONDEL / AFP)
Si les ressources en eau seront suffisantes pour faire fonctionner le parc des réacteurs à l'horizon 2050, la production d'électricité nucléaire devra s'adapter aux conséquences du réchauffement climatique.

Avec le réchauffement climatique qui accentue la fréquence des sécheresses, manquera-t-on un jour d'eau pour refroidir les centrales nucléaires ? Le risque de pénurie d'eau est un sujet d'inquiétude pour l'opposition, qui a soulevé ce point lors des débats pour l'adoption du projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires. Le texte, déjà adopté au Sénat et discuté lundi 13 mars à l'Assemblée nationale, vise notamment à accélérer l'installation de six nouveaux réacteurs EPR 2.

La crainte d'un manque d'eau paraît pourtant infondée pour la rapporteure du texte, Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine. "J'entends dire ces dernières semaines que les centrales consomment de l'eau. On en manque, donc il ne [faudrait] pas faire de centrales. Contrairement à ce que dit EELV/LFI, l'eau nécessaire au refroidissement des centrales nucléaires n'est pas consommée, mais prélevée et rendue", insistait la députée des Hauts-de-Seine, le 2 mars en commission des Affaires économiques. Des propos considérés comme des "contrevérités" par la secrétaire nationale d'EEVL Marine Tondelier. "Près d'un tiers de l'eau consommée en France est dédiée aux centrales nucléaires, rétorque-t-elle sur Twitter le 7 mars. Alors, une fois pour toutes, disons-le simplement et fermement : à ce rythme, il n'y aura bientôt plus assez d'eau dans nos fleuves pour refroidir les centrales."

Les réacteurs nucléaires risquent-ils vraiment de manquer d'eau pour leur refroidissement ? Pour le déterminer, franceinfo s'est appuyé sur l'expertise de spécialistes du secteur. 

Le nucléaire consomme des centaines de millions de tonnes d'eau

Refroidir un réacteur, comme le souligne Marine Tondelier, requiert des quantités colossales d'eau. Selon des chiffres du ministère de la Transition écologique (document PDF), près de 21,5 milliards de m3 d'eau avaient été prélevés en 2009 pour le refroidissement des centrales électriques, qui sont majoritairement nucléaires en France. D'après cette même source, le secteur énergétique totalise près des deux tiers des volumes d'eau prélevée dans l'Hexagone, loin devant les captations pour l'eau potable (17%). Cette ressource est-elle renvoyée dans la nature, comme l'affirme Maud Bregeon ? Contactée par franceinfo, EDF assure que "l'eau prélevée par les 18 centrales nucléaires est restituée à 98,5% au milieu naturel et à proximité du lieu du prélèvement." 

Pour autant, le volume d'eau prélevé, mais non reversé dans le milieu aquatique – principalement en eau douce – reste important. Selon EDF, en 2021, 407,6 millions de m3 d'eau ont ainsi été consommées par les 13 centrales situées en bord de rivière. Un article archivé du site du ministère de la Transition écologique expose que le refroidissement des centrales électriques, majoritairement nucléaires, représente près du tiers (31%) de la consommation annuelle en eau en France, ce qui accrédite la thèse de Marine Tondelier. Contacté par franceinfo, le ministère ajoute que ce chiffre, non actualisé "depuis 14 ans", doit cependant être mis jour car "il ne reflète pas la réalité des consommations". La version actuellement en ligne de l'article en question précise d'ailleurs que le contenu est "en cours de révision".

S'adapter aux canicules, une nécessité

Ces dernières années, la récurrence des vagues de chaleur a déjà contraint les centrales nucléaires à adapter leur production. Non pas à cause du manque d'eau, mais plutôt en raison de la température trop élevée de leurs rejets d'eau de refroidissement. "Les rejets des centrales doivent respecter une température maximale des cours d'eau en aval", expose Eric Gaume, hydrologue à l'école des Ponts ParisTech. Les réacteurs rendent en effet à la nature une eau plus chaude "jusqu'à environ 10 degrés", précise Olivier Dubois, directeur adjoint de l'expertise de sûreté à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Ce qui pose problème lors d'épisodes caniculaires. Pendant la sécheresse de l'été dernier, les centrales sur le Rhône ont ainsi dû solliciter une dérogation auprès de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour poursuivre le déversement de leurs eaux de rejet, la température du fleuve en aval des centrales étant supérieure aux normes environnementales. 

"Les centrales doivent également respecter des contraintes de débit minimal du fleuve", ajoute Nicolas Goldberg, associé chez Colombus Consulting, un cabinet fournissant des prestations de conseil aux entreprises du secteur de l'énergie. "Selon des accords signés avec la Belgique, la centrale de Chooz dans les Ardennes doit par exemple respecter des seuils par rapport au débit de la Meuse, illustre Olivier Dubois. Si le débit descend en dessous de 22m3 par seconde, la centrale doit arrêter un de ses réacteurs. En dessous de 20m3 par seconde, ses deux réacteurs doivent être mis à l'arrêt." 

"Si on doit baisser la puissance des réacteurs durant les périodes de sécheresse, c'est avant tout pour préserver la biodiversité, pas pour des questions de sécurité", rappelle cependant Nicolas Goldberg. Selon EDF, la baisse de la production annuelle des centrales du Rhône, malgré la sécheresse de l'été, a cependant été limitée à 0,2% en 2022.

Une perte de puissance "non-négligeable"

A quoi s'attendre pour l'avenir ? Selon le rapport de prospective Futurs Energétiques 2050 (document PDF, page 413) publié par RTE en juin dernier, en 2050, pour les centrales situées en bord de fleuve, "le réchauffement climatique va accroître le risque d'indisponibilité, c'est-à-dire une réduction de la production ou la mise à l'arrêt des réacteurs, par "deux ou trois". "Avec la baisse des débits des cours d'eau, les centrales disposeront de moins de marge pour respecter les consignes environnementales sur la température de leurs rejets d'eau", avertit Eric Gaume.

En cumulé annuel, la perte de production électrique pour cause de canicule ou de sécheresse restera cependant "très faible", estime RTE. En revanche, selon l'étude, le risque d'indisponibilité de la puissance électrique du parc des réacteurs pourra atteindre 8,5 GW lors des jours de sécheresse. Soit quasiment 14% de la puissance du parc actuel (61,4 GW), une perte qualifiée de "non-négligeable" par RTE. "La question de la consommation d'eau ne sera pas le problème le plus important découlant du réchauffement climatique, juge toutefois Nicolas Goldberg. Deux des trois prochains sites de construction des nouveaux EPR seront situés en bord de mer, où il n'y aura pas de problème de pénurie d'eau. Pour ces réacteurs, c'est donc plutôt contre l'élévation du niveau de la mer qu'il faut se prémunir."

Auprès de franceinfo, EDF assure avoir déjà pris un certain nombre de dispositions contre les effets du changement climatique. L'électricien déclare notamment avoir amélioré la performance des systèmes de refroidissement aéroréfrigérants, reconnaissables aux grandes tours des réacteurs par lesquelles de la vapeur s'échappe, "afin qu'ils consomment moins d'eau". Malgré un impact tangible du changement climatique, il apparaît donc que, même à long terme, les centrales nucléaires trouveront encore assez de ressources en eau pour fonctionner.

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