On vous explique la polémique autour du jeu de société "Antifa", finalement remis dans les rayons de la Fnac
Ce jeu, édité par les éditions Libertalia depuis plus d'un an, propose de faire "vivre un groupe antifasciste local". Les protestations de l'extrême droite ces derniers jours ont provoqué son retrait temporaire des magasins et des boutiques en ligne du distributeur.
Le jeu "Antifa" pourra bien être sous certains sapins à Noël. Son retrait du site internet et des rayons de la Fnac, lundi 28 novembre, à la suite d'une polémique initiée par l'extrême droite, a mis un coup de projecteur sur ce jeu de société conçu par le groupe antifaciste La Horde et édité par les éditions Libertaria. La Fnac a fait machine arrière mardi, et a finalement acté la remise en rayon du jeu. Franceinfo vous résume cette affaire.
"Antifa", un jeu édité et vendu depuis plus d'un an
Sur son site, le collectif antifaciste La Horde brosse l'historique de ce jeu, "initialement utilisé comme outil de formation pendant plus de deux ans", puis édité en septembre 2021 par Libertalia. "On avait écoulé nos 4 000 exemplaires en l'espace de six semaines", assure Nicolas Norrito, cofondateur de la maison d'édition, auprès de La Dépêche du Midi.
Le jeu a été réédité très récemment, début novembre, sous une forme simplifiée, qui dure 30 et non plus 90 minutes. Vendue par la Fnac, la nouvelle édition de "Antifa, le jeu" est même recommandée le 6 novembre dans L'Eclaireur Fnac, le guide de recommandation du groupe. La critique, retirée depuis mais citée par Libération, faisait ce commentaire : "Pensées au départ comme un simulateur tout à fait sérieux pour les mouvements libertaires, les mécaniques d''Antifa' ont été simplifiées afin de devenir un jeu de société accessible au public."
Libertalia le présente comme "un jeu de simulation et de gestion dans lequel vous faites vivre un groupe antifasciste local" en mettant en place des "actions qui vont vous demander du temps, des moyens et un peu d'organisation". Dans la nouvelle version, les cartes ont remplacé les jetons et les joueurs font face à des situations telles que "des fachos déclenchent une bagarre dans un bar", "un couple gay agressé en pleine ville" ou "un collectif de soutien aux migrants a besoin d'aide". Plusieurs scénarios sont proposés : "rencontre débat", "manifestation", "tractage" ou "action offensive".
Des réactions de l'extrême droite après la sortie de la nouvelle édition
Fin 2021, Nicolas Cresson, membre du conseil national du Rassemblement national (RN), s'était déjà offusqué auprès de la Fnac de la vente de ce jeu. Mais son tweet avait eu un écho limité. Le message du député RN Grégoire de Fournas, dimanche, a eu plus de succès. L'élu, récemment exclu 15 jours de l'Assemblée nationale pour ses propos racistes proférés lors d'une intervention de l'élu LFI noir Carlos Martens Bilongo, décrit ainsi le jeu : "Case 1 : 'je bloque une fac' Case 2 : 'je tabasse un militant de droite' Case 3 : 'j'attaque un meeting du RN' Case 4 : 'je lance un cocktail Molotov sur les CRS' La Fnac vous n'avez pas honte ?"
Un autre député RN, Victor Catteau, a embrayé et déclenché une vague de messages indignés sur le réseau social, en interpellant lui aussi la Fnac. Le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) s'en est mêlé à son tour, critiquant le distributeur pour "mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations".
Ce « jeu » est en vente à la Fnac. @Fnac un commentaire pour ainsi mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations? #Police #antifa pic.twitter.com/gR6jNXyCKR
— Commissaires de la Police Nationale SCPN (@ScpnCommissaire) November 26, 2022
Face à ces commentaires, la Fnac a fini par annoncer le retrait du jeu dimanche après-midi. "Nous comprenons que la commercialisation de ce 'jeu' ait pu heurter certains de nos publics. Nous faisons le nécessaire pour qu'il ne soit plus disponible dans les prochaines heures", a-t-elle écrit sur son compte Twitter.
Des "allégations mensongères" dénoncées par l'auteur et l'éditeur du jeu
La Horde et Libertalia dénoncent le retrait de leur jeu après une série "d'allégations mensongères émanant de l'extrême droite". "Le député [Grégoire de Fournas] l'a dit lui-même : il n'a pas ouvert le jeu, il n'a fait qu'imaginer ce qu'il pouvait y avoir dedans. Déjà, ce n'est pas terrible pour un élu de la nation. Ça l'est encore plus quand on sait que c'est totalement faux", s'insurge l'éditeur Nicolas Norrito auprès de La Dépêche du Midi.
De fait, il n'est pas question dans ce jeu de "tabass(er) un militant de droite" ou de "lanc(er) un cocktail Molotov sur les CRS". "La violence n'est pas totalement évacuée (…), mais le moyen le plus violent proposé, c'est le 'cacatof', une bouteille pleine de caca", explique au Monde son auteur, qui se fait appeler Hervé de la Horde. "On n'a pas de problème avec l'action offensive, mais à aucun moment le jeu ne glorifie l'atteinte aux personnes. Il peut y avoir de l'atteinte aux biens, mais jamais aux personnes. Ce n'est pas l'antifascisme qu'on défend", insiste-t-il.
Après avoir remercié la Fnac pour le retrait du jeu, le syndicat des commissaires de la police nationale a par ailleurs tenu à nuancer son propos. "Le tweet du SCPN à l'origine de la polémique dénonce ce que sont (et font) les antifas, ce n'était pas une demande de retrait du jeu mais une simple question posée à la Fnac", écrit le syndicat, se présentant comme "totalement apolitique". "On n'a pas dit que le jeu incitait à la violence, mais qu'il faisait l'apologie de groupuscules qui, eux, le font", précise auprès du Monde le secrétaire général du syndicat, David Le Bars.
La polémique n'a en tout cas pas eu l'effet escompté par les détracteurs du jeu, qui bénéficie ces derniers jours d'une joli coup de projecteur. "Vous ne nous ferez pas taire !", a lancé l'éditeur sur Twitter, annonçant lundi après-midi sur le réseau social que la nouvelle édition du jeu, en vente sur son site internet, était épuisée et qu'une nouvelle production était prévue. L'éditeur a précisé mardi être en mesure de livrer de nouveaux exemplaires en janvier.
La Fnac épinglée parce qu'elle vend les livres de Soral, Faurisson ou Camus
Dans Le Monde, l'éditeur Nicolas Norrito réclame "une petite explication" à la Fnac au sujet de la présence dans ses rayons physiques ou en ligne des livres de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, condamné pour incitation à la haine raciale, ou de l'historien révisionniste Robert Faurisson.
Une remarque relayée par plusieurs internautes, qui dénoncent un "deux poids deux mesures" et interpellent le distributeur sur la commercialisation de publications antisémites ou racistes comme Mein Kampf (Mon combat), d'Adolf Hitler, et Le Grand Remplacement, de l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus.
Rappelons que la FNAC vend Mein Kampf d'Adolf Hitler (version originale et traduite), et Le Grand Remplacement de Renaud Camus.
— Bunker D (@Bunker_D_) November 27, 2022
Mais au moins elle vient de retirer de la vente « Antifa : le jeu », qui « a pu heurter certains de leur public ». https://t.co/mUJptr04Ym pic.twitter.com/jc06zXDNME
La Fnac remet le jeu en rayon
Le distributeur a annoncé mardi reprendre la vente du jeu de société, estimant qu'il ne comporte "rien de nature à justifier un refus de le commercialiser". "Ce week-end, les équipes de la Fnac ont été alertées par nos clients au sujet du jeu 'Antifa', qui n'avait pas été référencé au niveau du groupe, mais que certains magasins Fnac avaient décidé de mettre en rayon, comme ils en ont la liberté", a expliqué la Fnac dans un communiqué.
"Ne connaissant pas le contenu exact de ce jeu et dans l'attente d'une vérification approfondie, nos équipes ont décidé à titre de précaution d'en suspendre la vente, poursuit la Fnac. Depuis hier, nous avons pris le temps d'analyser en profondeur le contenu du jeu (...) et nous avons pu constater qu'il ne comportait rien de nature à justifier un refus de le commercialiser."
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