Info franceinfo Comment le gouvernement veut lutter contre les maltraitances envers les adultes vulnérables, deux ans après le scandale dans les Ehpad

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
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La ministre déléguée en charge des Personnes âgées et des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, pose dans son bureau, à Paris, le 26 septembre 2023. (JOEL SAGET / AFP)
La ministre déléguée aux Personnes âgées et aux Personnes handicapées, Fadila Khattabi, dévoile sa stratégie contre les violences et négligences à domicile et dans les établissements médico-sociaux.

Deux ans après le scandale des Ehpad Orpea, les secousses se font encore ressentir. Le gouvernement présente, lundi 25 mars, une stratégie nationale de lutte contre les maltraitances, consacrée en priorité aux adultes âgés ou handicapés dépendants. Ce plan sur trois ans marque "une mobilisation générale, qui doit se poursuivre et s'amplifier", assure à franceinfo Fadila Khattabi, la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées.

"La maltraitance est un sujet invisibilisé", qui "ne trouve pas encore de réponse publique instituée", avaient alerté, l'an dernier, les acteurs réunis par l'exécutif au sein des Etats généraux des maltraitances. Cette absence de prise en charge "est perçue comme un abandon des pouvoirs publics", à domicile comme dans les Ehpad et les établissements pour personnes en situation de handicap, avaient-ils souligné. 

Une première réponse a été apportée dans la proposition de loi "bien-vieillir", qui pourrait être définitivement adoptée par le Parlement dès mercredi, avec le soutien de l'exécutif. La stratégie dévoilée lundi sur franceinfo intègre certaines mesures de la future loi et "vient sceller notre volonté de faire de la lutte contre ce fléau un objet prioritaire de nos politiques", assure Fadila Khattabi. Voici les principaux axes du plan.

Inspecter tous les lieux d'accueil de personnes handicapées

En mars 2022, après les révélations du journaliste Victor Castanet sur le groupe Orpea, le gouvernement avait promis de contrôler en deux ans chacun des 7 500 Ehpad de France. L'exécutif entend répliquer l'opération, à destination cette fois des quelque 9 300 établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap. Les instituts médico-éducatifs, les maisons d'accueil spécialisées ou encore les foyers d'hébergement pour travailleurs handicapés feront ainsi l'objet d'une "visite inopinée" ou d'un autre type de contrôle à partir de 2025 et d'ici à 2030.

Pour l'heure, près de la moitié des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes doivent encore être inspectés. "L'objectif est bien entendu d'aller au bout de cette opération, avec l'ensemble des Ehpad contrôlés d'ici la fin de l'année 2024", promet la ministre déléguée. L'exécutif entend ensuite inscrire dans la durée ce suivi des Ehpad, tout en l'élargissant aux établissements dédiés au handicap. Pour cela, dix postes d'inspecteurs supplémentaires doivent être créés, en plus des 120 recrues post-Orpea, soit à peine plus d'une embauche par département depuis deux ans.

Etendre le contrôle des antécédents judiciaires des professionnels

Jusqu'ici, contrairement aux employés et bénévoles en Ehpad et autres structures d'accueil, les professionnels des services à la personne (aides à domicile, employés de ménage à domicile…) n'étaient pas soumis à une interdiction d'exercer en cas de condamnation définitive pour un crime ou un délit. Le gouvernement entend les intégrer à ce cadre, comme le prévoit la proposition de loi "bien-vieillir". 

"Nous nous donnons résolument les moyens d'une 'tolérance zéro' face aux abus."

Fadila Khattabi, ministre déléguée aux Personnes âgées et aux Personnes handicapées

à franceinfo

Pour réduire le risque de contact entre les personnes vulnérables et des intervenants soupçonnés d'infractions sexuelles ou violentes, le partage d'information sur les mises en examen et les condamnations non définitives va être facilité. Un "certificat d'honorabilité" pourra être remis à toute personne qui en fera la demande. Celle-ci sera ainsi en mesure de garantir à son employeur qu'elle n'est pas mise en cause dans une affaire sexuelle ou violente. La présentation de ce certificat ne sera pas obligatoire. En revanche, un employeur alerté sur une mise en examen ou une condamnation contestée en appel pourra suspendre, voire licencier le travailleur concerné.

Faciliter la libération de la parole des victimes

"Cette stratégie vise à renforcer le 'pouvoir d'agir' des personnes face aux situations de maltraitances", souligne Fadila Khattabi. L'effort commence par une meilleure information et une meilleure écoute des plus vulnérables, souvent les plus réticents à dénoncer un mauvais traitement. D'ici à la fin 2025, tous les établissements sociaux et médico-sociaux devront proposer à leurs résidents ayant des difficultés d'expression des outils de "communication alternative et améliorée". Avec ce recours à des pictogrammes, des cahiers Falc (faciles à lire et à comprendre) ou des logiciels spécialisés, l'exécutif espère faciliter le signalement des maltraitances, par exemple par des personnes autistes non verbales.

Un tableau signale le planning des professionnels, représentés par leur photo, dans un foyer de vie pour personnes handicapées dépendantes, le 15 juin 2022, à Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine). (JEAN-MICHEL DELAGE / HANS LUCAS / AFP)

Pour aider les victimes à consigner les événements et stocker d'éventuelles preuves, la plateforme numérique Mémo de vie développée par la fédération France Victimes sera rendue plus accessible aux personnes en situation de handicap. Utilisable sur ordinateur, tablette et smartphone, cet outil gratuit et sécurisé pourra faciliter la constitution d'un éventuel dossier de plainte. 

"Les justiciables les plus fragiles sont aussi ceux qui renoncent le plus à porter plainte", pointe la ministre déléguée aux Personnes âgées et aux Personnes handicapées. Pour "faciliter et encourager leur parcours vers la plainte et l'action judiciaire", un plan de formation des forces de l'ordre aux mauvais traitements et aux "spécificités" des adultes vulnérables sera initié. Il devra permettre aux policiers et gendarmes de mieux s'adapter à ce public, mais aussi de mieux repérer les signaux faibles de maltraitance (définie dans la loi comme tout "geste, parole, action ou défaut d'action" portant atteinte à une personne fragile dans le cadre d'une "relation de confiance, de dépendance, de soin ou d'accompagnement").

Créer une cellule "maltraitances" dans chaque département

Comme le prévoit la proposition de loi "bien-vieillir", une cellule "chargée du recueil, du suivi et du traitement des signalements de maltraitance" sera mise en place dans chaque département. Pilotée par les agences régionales de santé, cette instance "constituera un point d'entrée unique pour que toute personne puisse faire connaître facilement une situation à risque", expose Fadila Khattabi. Elle sera spécifiquement destinée aux adultes vulnérables, en parallèle des "cellules de recueil des informations préoccupantes" qui existent déjà pour l'enfance en danger.

Autre nouveauté : les personnes soumises au secret professionnel (soignants, mandataires judiciaires, banquiers…) pourront signaler des faits de maltraitance sans risque de sanction disciplinaire. Les acteurs du secteur médico-social seront sensibilisés par les forces de l'ordre à l'importance du signalement des délits. La cellule départementale pourra être saisie par les professionnels témoins de mauvais traitements, mais également par les proches d'un résident ou d'un patient hospitalisé, dont le droit de visite sera désormais renforcé dans la loi.

En revanche, face au manque de main d'œuvre dans le secteur du soin et de l'aide aux personnes, la proposition des Etats généraux visant à "définir un ratio minimal d'encadrement" dans les établissements sociaux et médico-sociaux n'a pas été retenue dans la stratégie. "Les maltraitances ne sont pas qu'une question d'effectifs, défend le ministère. En imposant un ratio, on aurait dû fermer tous les lieux qui manqueraient de personnel à un moment ou à un autre. On ne peut pas se le permettre."

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