"Si j'avais pu faire autrement, je l'aurais fait" : ils ont placé un de leurs proches dans un Ehpad et nous confient leur dilemme après l'affaire Orpea
Décider qu'un proche va passer la fin de sa vie dans une maison de retraite est souvent un crève-cœur pour les familles. Même en cas de maltraitances, le retour à domicile est difficile à cause de leurs finances ou de l'état de santé des résidents.
"C'est moi qui l'ai fait rentrer chez Orpea, de bonne foi, car je pensais que c'était un bon établissement." Il faut dire que lorsqu'il visite le bâtiment de la maison de retraite Orpea de Vence (Alpes-Maritimes), en 2017, Laurent Gény est conquis. "Le bâtiment était récent. Dans le hall, il y avait des fleurs, tout semblait clean." Mais quand il y repense, Laurent Gény se rend compte qu'il a été "stupide". "Je n'avais pas compris que ce ne sont pas des beaux luminaires, ni des fleurs à l'entrée qui font le bien-être des résidents, confie-t-il à franceinfo, mais l'humain, le personnel, l'organisation."
Très vite, le quinquagénaire se rend compte que sa mère est victime de maltraitance. Les protections urinaires manquent dès le 20 du mois. Il se plaint à la direction. Rien n'y fait. En 2018, sa mère chute et se blesse gravement, finissant aux urgences. C'est à ce moment-là qu'il décide de changer sa mère d'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). "J'ai longtemps hésité à prendre ma mère chez moi, mais elle est lourdement handicapée, concède-t-il. Il aurait fallu mettre en place beaucoup de soins et ma maison était trop petite et pas du tout adaptée pour l'accueillir."
"Fais ce que tu peux"
Si Laurent Gény a pu changer sa mère de maison de retraite, toutes les familles n'ont pas eu cette chance, souvent limitées par leurs finances ou leurs moyens de déplacement. C'est le cas de Clairette Berrebi, bientôt 87 printemps. "Mes enfants m'ont dit : 'Fais ce que tu peux'. J'ai fait ce qu'il me semblait être le mieux." La meilleure solution qu'elle a trouvée pour son mari, c'est de le placer dans un Ehpad public parisien. Voilà presque un an que l'octogénaire y est pris en charge. "Avant, il était dans un établissement Korian, mais heureusement qu'on l'a déplacé visiblement", plaisante la Parisienne, faisant allusion aux révélations à venir sur l'un des groupes leaders du secteur. "Il n'y était pas bien, résume l'octogénaire. Et puis, c'était trop loin."
Désormais, Clairette Berrebi peut rendre visite à son époux trois fois par semaine. L'Ehpad est situé à cinq minutes à pied de son appartement. "Heureusement que je tiens encore sur mes guiboles", dit-elle d'un ton mi-fier, mi-amusé. Même si elle tient encore sur ses deux jambes, c'est le cœur lourd qu'elle a dû laisser son mari dans cet établissement. Impossible pour elle de le garder à la maison. "Il est en chaise roulante. Je fais à peine 35 kilos, je ne peux pas le soulever", regrette-t-elle. Ces derniers temps, il tombait souvent, y compris la nuit. "Il fallait que j'appelle les pompiers, ou sinon, je devais demander à mes voisins. Mais je ne pouvais pas continuer à les réveiller à 4 heures du matin", raconte-t-elle avant de lâcher : "Bref, ce n'était pas de la tarte."
"Si je la gardais, c'est ma santé qui y passait"
"Pour beaucoup de familles, placer leurs proches dans un Ehpad est l'ultime recours", explique à franceinfo Maryse Gautier Leghlid, à la tête de l'Association de solidarité familles et amis des personnes accueillies dans les Ehpad de la ville de Paris (Asfapade). Comme Clairette Berrebi, Brigitte Maraone s'est finalement résolue à placer sa mère, atteinte de troubles cognitifs, dans un Ehpad.
Pendant quatre mois, elle a tenté de s'en occuper dans son appartement parisien. Dans l'unique chambre de son 63 mètres carrés, elle a glissé un lit pour veiller sur sa mère, qui était incapable de "différencier le jour et la nuit", ni le couteau de sa fourchette. "C'est long, quatre mois", confie à franceinfo la Parisienne. "Je ne suis pas formée pour m'occuper d'une personne âgée. Mon logement est trop petit pour la garder. Si j'avais pu faire autrement, je l'aurais fait."
Depuis les révélations sur les maltraitances en maisons de retraite, Brigitte Maraone redouble de vigilance, pose encore plus de questions qu'elle ne le faisait déjà. Elle l'assure, désormais, elle n'hésitera plus à faire remonter ses observations à l'agence régionale de santé ou à porter plainte si elle observe des mauvais traitements. Mais il lui serait impossible de reprendre sa mère chez elle. "Si je la gardais, c'est ma santé qui y passait."
L'espoir d'être prise au sérieux
Cela fait sept ans que Muriel Faure se bat pour dénoncer les maltraitances que subit sa mère dans une maison de retraite en Dordogne. Depuis quelques mois, elle a constaté que son état s'est encore dégradé et qu'elle "n'a pas eu de toilettes sous une douche depuis le mois de juillet". Elle a également noté que sa mère entend difficilement et que ses oreilles sont très sales. Elle demande l'avis d'un médecin ORL. Le constat est sans appel : la perte d'audition est due à des bouchons qui se sont formés dans l'oreille en raison du manque d'hygiène.
Malgré ces mauvais traitements, la sexagénaire appréhende de changer sa mère d'établissement. Elle craint que la situation se répète et que ce ne soit "pas très utile". Muriel Faure habite une zone rurale, et l'offre de maison de retraite n'y est pas florissante, "à moins de faire 40 minutes de voiture". Elle préfère encore pouvoir rendre souvent visite à sa mère, pour maintenir le lien et s'assurer que la situation n'empire pas. Début janvier, elle a porté plainte et pris contact avec une avocate. Elle espère que les révélations apportées dans le livre de Victor Castanet l'aideront. Et qu'elle sera enfin prise au sérieux.
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