"Là, on a un pied dehors, et on fait tout pour avoir le deuxième" : paroles de détenus "en sas" de réinsertion à la ferme
La garde des Sceaux présente vendredi son projet de loi de programmation de la justice. franceinfo a visité la "ferme-prison" de Moyembrie (Aisne), un lieu d'aménagement de peines, hors des murs.
La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, présente vendredi 20 avril en conseil des ministres son projet de loi de programmation de la justice. Sur la réinsertion, la ministre a envisagé de recourir à des prisons ouvertes. Seulement deux lieux existent en France : l'un en Corse, le second dans l'Aisne, sous la forme d'une exploitation agricole, la ferme de Moyembrie, que franceinfo a visitée.
La ferme, dont la cour est accessible à pied, sans contrôle, se situe à l'écart du village de Coucy-le-Château-Auffrique, au nord de Soissons. En ce moment, 20 détenus, appelés "résidents", y vivent. Ils sont encadrés par cinq salariés d'une association partenaire de l'administration pénitentiaire, les "encadrants". Il est difficile de reconnaître les uns des autres, tous étant en tenue de travail.
Le jour de la visite, la ferme accueille un nouvel arrivant, Karim, tout juste sorti de sa cellule d'une prison du Pas-de-Calais. Il se montre à la fois ravi et un peu perdu après une nuit blanche. "Au bout de sept ans, on ne dort pas quand on sait qu’on sort le lendemain", confie-t-il. Après avoir respiré "l'air libre" et jeté un coup d'œil aux alentours, aux champs, il estime que "c’est comparable avec la maison, mais pas avec la prison".
Plus de bruit de détenus, plus de portes qui claquent, ce n’est vraiment plus pareil.
Karim, résident à la ferme prison de Moyembrieà franceinfo
Depuis 2003, 800 hommes sont passés à la ferme pour terminer des peines souvent lourdes, souvent décidées en cour d'assises. Karim va rester un an. "C’est une renaissance, un sas de décompression avant de rentrer à la maison", résume-t-il. Il y a de longs mois, ce détenu a fait sa demande de transfert vers la ferme prison. Il a passé des entretiens. Le juge d'application des peines n'accepte qu'une candidature sur deux en moyenne.
Des règles de vie et des obligations
À peine a-t-il posé ses valises que Karim se voit remettre les consignes écrites de la ferme. "Ce sont les règles de vie", explique Rémi, l'un des encadrants. "On s’engage à travailler tous les matins. On partage le repas du midi ensemble. Pas d’alcool, pas de violence, y compris verbale", détaille-t-il.
En détention, on peut perdre certaine règles de savoir-vivre. L’idée, c’est qu’à la ferme, tout doucement, on réapprenne à vivre ensemble, à se respecter.
Rémi, encadrant à la ferme prisonà franceinfo
Chaque après-midi est obligatoirement consacré à la préparation de la sortie, avec la recherche d'une formation, d'un emploi, d'un logement. Simon, également encadrant fait faire à Karim le tour de la propriété. "On montre où sont nos terres et où est la limite." La visite est nécessaire puisqu’il n’y aucun mur d’enceinte, aucun barbelé, aucun signe rappelant l’univers carcéral. "On est au milieu de la nature, entouré de forêts, poursuit Simon. Les gars ont le droit d’être sur les 24 hectares de la ferme. Tout est basé sur la confiance."
La tentation de l’évasion facile ne semble pas atteindre les détenus. "Ça arrive très, très rarement. Les gars ici qui ont une profonde envie de s’en sortir. Ils sont à la fin de leur peine. Ils n’ont rien à gagner à s’évader, ce serait trop bête", tranche l'encadrant.
Le ressenti d’une semi-liberté
Karim passera ses quatre heures obligatoires de travail quotidien à la maintenance des bâtiments ou à l'élevage des poules et des chèvres. Il pourra aussi faire du maraîchage aux côtés de Rudy. Ce détenu de 32 ans été condamné à neuf ans de prison pour coups et blessures ayant entrainé la mort.
Il effectue sa dernière année de détention à la ferme, dans des conditions incomparables avec la prison de Maubeuge où il était. "L’œilleton, les clés, les tapages dans les murs, ici c’est les oiseaux, la fraîcheur, bientôt le soleil, pas de murs, les arbres", dit-il en montrant les plantations qui l'occupent. "En plein air, pour se reconstruire, c’est ce qu’il y a de mieux. Là, on a un pied dehors, et on fait tout pour avoir le deuxième", dit Rudy, qui apprécie "les petites sorties". Elles mènent les résidents, une fois par semaine, au supermarché, avec un encadrant.
C’est une chance. Il en faudrait beaucoup plus de lieux comme ça, ou une autre structure qui permette de se réinsérer.
Rudy, en dernière année de détentionà franceinfo
"Il faudrait aussi avoir confiance en beaucoup plus de détenus", ajoute le détenu. C'est en confiance que les encadrants emmènent certains résidents avec eux, chaque semaine, pour livrer à Paris les paniers de légumes bio récoltés pour les 400 clients de la ferme.
Recevoir ses proches
C’est aussi en confiance que les encadrants laissent les pensionnaires de la ferme recevoir des visites, toute la journée, les samedis et dimanches. C'est beaucoup plus que les 45 minutes surveillées au parloir des prisons. Les familles se promènent dans la ferme et déjeunent sur place.
Christophe, 44 ans, montre fièrement la clé de sa chambre, qu'il garde toujours avec lui. Il accueille ses proches, dans ce qu'il lui semble être "un appartement".
J’ai refait la pièce, papier peint, frise, peinture. Pour moi, c’est la clé du paradis. J’ai ma grande fenêtre avec mon rideau. Il n’y a plus de barreaux. Quand les gens viennent, on peut s’assoir, boire un café.
Christophe, résident à la ferme de Moyembrieà franceinfo
La journée d'un résident à la ferme de Moyembrie coûte à l'État environ 30 euros. Dans une prison classique, il faut compter, en moyenne, plus d'une centaine d'euros.
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