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Profession thanatopracteur : "Me retrouver seul face à un corps que j'embellis, ça m'apaise"

Axel Trois-Poux est thanatopracteur depuis cinq ans en région parisienne.Tous les jours, il prépare et prend soin du corps des défunts avant leur dernier voyage. Rencontre.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Axel Trois-Poux est thanatopracteur depuis cinq ans, il restaure le corps des défunts avant leurs funérailles. (ELISE LAMBERT/FRANCE TV INFO)

"Ton truc, c'est de maquiller les morts ?" Cette question, Axel Trois-Poux a dû l'entendre des dizaines de fois dans sa vie. D'ailleurs, les premières personnes à l'avoir posée devaient être ses parents : "Ils n'ont pas trop compris sur le coup, mais ensuite ils ont vu que j'étais super appliqué dans mes études, ce qui était assez inhabituel, et ont fini par l'accepter", se rappelle le jeune spécialiste.

Dans ses souvenirs, Axel a toujours été fasciné par le corps. "J'ai toujours été très intéressé par l'anatomie, le corps humain. Je voulais travailler dans ce domaine". Pendant longtemps, le garçon à la barbe rousse rêve d'être chirurgien, de réparer et de redonner vie aux corps brisés, avant de renoncer pour cause "d'études trop longues, et trop difficiles". Après un stage en maison de retraite lors de ses études médicales et sociales, il a le déclic. "Une fois, un résident est décédé et je l'ai porté en chambre mortuaire. Je ne savais pas ce qu'il se passait ensuite. On m'a dit que les pompes funèbres allaient s'occuper de lui."

Axel se renseigne, navigue de forum en forum pour découvrir "les métiers de la pompe", et tombe sur des discussions sur la thanatopraxie. "J'avais déjà mis cette idée dans un coin de ma tête, mais là, je me suis décidé. Je trouvais que l'embaumement était vraiment un travail passionnant, qui permettait d'accompagner les familles dans le deuil en toute discrétion."

Axel prépare son matériel afin d'effectuer un soin à une défunte. (ELISE LAMBERT/FRANCETV INFO)

Cinq ans plus tard, à 28 ans, Axel ne compte déjà plus le nombre de défunts dont il s'est occupé. Thanatopracteur pour une entreprise de pompes funèbres, il enchaîne les soins, les toilettes sans jamais broncher. "Ce matin j'étais dans le 15e arrondissement, maintenant au Port-Marly (Yvelines). Il n'y a pas d'heure pour mourir, ni d'endroit", dit-il au volant de son corbillard gris.

Bistouri, crochet et séparateur

Ce jour-là, en fin d'après-midi, dans un hôpital de banlieue parisienne, Axel doit s'occuper d'une jeune femme décédée le matin même. "Son corps est encore chaud", dit-il en touchant l'abdomen de la défunte. Dans la salle recouverte de carrelage blanc, à la lumière blafarde des néons, il enfile sa tenue réglementaire par-dessus son costume noir et sa cravate. "J'ai participé à un convoi ce matin, j'ai porté un cercueil", précise-t-il. Blouse, gants, manchettes, tablier, surchaussures, masque… "Je ressemble à un cosmonaute", dit-il en riant.

Axel enfile sa blouse avant le soin. (ELISE LAMBERT/FRANCETV INFO)

Machinalement, il ouvre les deux grandes malles noires qu'il emporte partout avec lui, ses "valises de Dexter", et étale son matériel, pour être sûr d'avoir tout à disposition. Bistouri, canule, crochet, séparateur, pinces... Ces outils métalliques vont l'aider à réaliser l'opération de ponction du sang. "On va d'abord injecter un liquide qui ralentit le processus de décomposition et ensuite on va vider le corps de tous ses flux", explique-t-il en prenant un bidon rempli d'un liquide à base de formol.

Une opération déconseillée aux âmes sensibles, mais absolument banale pour le thanatopracteur. "Ces gens, je ne les connais pas, je n'y suis pas attaché. On s'habitue avec le temps", lance-t-il tout en s'activant autour du corps. Mécaniquement. "Je déconne tout le temps avec mes collègues, on n'a pas un quotidien dramatique." Parfois, il s'autorise un peu de musique, oublie même qu'il est le seul vivant dans la pièce : "Quand je fais un geste brusque, je m'excuse, j'oublie qu'ils ne me répondront jamais. On oublie la mort !" poursuit-il dans un sourire.

Outils servant à l'embaumement d'un défunt. (ELISE LAMBERT/FRANCETV INFO)

"Ce n'est pas toujours agréable, mais on fait avec"

Si, la plupart du temps, "heureusement", tout se passe sans problème, il arrive qu'Axel rencontre quelques péripéties. "Il arrive parfois, quand tu cherches l'artère, que tu touches la jugulaire... Là tu peux faire couler beaucoup plus de sang que prévu et tu dois nettoyer le corps à nouveau... détaille-t-il. "Parfois les corps nous arrivent dégradés, s'ils ont été découverts tard ou mal transportés. Certains ont des 'relents' qu'il faut gérer... Ce n'est pas très agréable et c'est ingrat, mais on fait avec."

Une fois, Axel a provoqué un petit moment de panique à l'hôpital malgré lui : "Je tentais de diminuer la masse corporelle d'un homme qui pesait 180 kilos pour qu'il rentre dans le cercueil. Le corps a dégagé tellement de gaz que tout le service a cru qu'une canalisation avait cédé, l'odeur était terrible, mais je m'y étais déjà habitué !"

Esprit es-tu là ?

Malgré ces rares moments de solitude, Axel prend beaucoup de recul sur son métier, et se fiche des clichés : "Non, je n'ai pas de fascination morbide. Le problème c'est que la mort est taboue dans notre pays, on évite d'en parler. On célèbre les morts de manière assez sinistre, ce n'est pas comme au Mexique !"

Axel observe les mains de la défunte. (ELISE LAMBERT/FRANCETV INFO)

D'ailleurs, au cours de son travail, Axel embaume des défunts de toutes origines, et a pu observer comment chaque communauté vit la mort. "Les Gitans tiennent absolument à voir les coulisses, comment on s'occupe de leurs morts", explique-t-il. "Les Serbes emplissent les cercueils de tas d'objets pour accompagner le mort. Parfois, aussi, on me demande si je n'ai pas peur des esprits ! Je crois en leur présence, mais elle ne s'est jamais manifestée dans mon laboratoire !"

Robe de mariée et sabre d'escrime

Par croyance, superstition ou tradition, les familles des disparus ont parfois des exigences à la hauteur de leur peine. Notamment en matière vestimentaire : "En général, les familles donnent des costumes pour un homme, un bel ensemble pour une femme." Et puis, il y a les classiques robes de mariée, "très embêtant quand la personne a pris beaucoup de poids entre son mariage et son décès", ou, plus surprenant, "la tenue d'escrimeur ou de cavalier pour les sportifs". Le thanatopracteur ne pose jamais de questions, même si parfois certains détails lui demandent beaucoup de temps : "Habiller un corps rigide, c'est très dur. Quand j'ai terminé et que la famille me demande de rajouter des sous-vêtements, ça m'irrite un peu, mais je le fais... J'en ai connu qui jetaient en cachette les sous-vêtements dans la poubelle, moi je ne fais pas ça."

Du fond de teint, du blush, du rouge à lèvres pour le maquillage d'une défunte. (ELISE LAMBERT/FRANCETV INFO)

Axel déplore que, dans ce secteur très concurrentiel, de plus en plus de services funéraires suivent une logique de rentabilité à tout prix : "Un soin prend en moyenne 1h15. En faire dix par jour c'est beaucoup trop, lance-t-il. Notre but, c'est de redonner à la famille un défunt 'apaisé'. Un travail bâclé dans ces conditions, c'est irrespectueux", dit-il en évoquant des morts maquillés grossièrement, méconnaissables, ou des bouches mal recousues. "Ma seule satisfaction, c'est quand les familles disent qu'elles trouvent leur proche beau, serein." Le jeune homme rencontre rarement les proches, mais ses collègues lui rapportent parfois un ou deux compliments. "Dans ces cas-là, je sais que j'ai réussi ma partie, c'est mon unique satisfaction."

Des kilomètres entre les consulats, mairies et aéroports

Aspect moins spectaculaire du métier, au-delà des soins et des toilettes, le thanatopracteur passe de nombreuses heures entre les mairies, les consulats et les aéroports pour les certificats de décès, les rapatriements de corps ou les urgences. "L'administratif, on y pense peu, mais c'est une grande partie de notre boulot. C'est sûr, c'est moins attirant que dans Six Feet Under ou Bones !" dit-il en faisant allusion au récent engouement pour le métier, venu avec le succès de ces séries télévisées. "C'est moins prenant, mais c'est une pause non négligeable entre les soins."

Au quotidien, Axel accuse rarement de coups durs, et encaisse les kilomètres en solitaire sans problème. "Dans le métier, j'ai juste encore du mal à m'occuper des enfants. C'est vraiment bizarre de faire un soin à un tout petit corps. Allongé, il prend la moitié de la table. Ce n'est pas dans l'ordre de la vie de mourir si jeune." Pour se changer les idées, il a toujours ses soirées marathons Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux, des heures de films englouties à la suite, les sorties entre amis, les voyages... La "vie normale". Mais son meilleur remède reste finalement le soin aux défunts. "Je me concentre sur mes gestes, je suis seul dans le calme, le silence, face à un corps que je cherche à embellir au mieux. Ça m'apaise vraiment." 

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