ENQUETE VIDEO. Des dérives racistes au sein de la police
C’est un sujet tabou au sein de la police : des agents subiraient parfois des propos et des comportements racistes de la part de leurs propres collègues. Par peur d’être mal vus, beaucoup n’oseraient pas faire de signalement. Certains finiraient même par quitter l’institution. L’Oeil du 20h a recueilli la parole rare de plusieurs d’entre eux.
Au cours de notre enquête, nous avons échangé avec une dizaine de policiers dénonçant des faits de racisme. Beaucoup ont refusé de témoigner face caméra, par peur des représailles. "Si vous parlez, vous êtes face à un rouleau compresseur", nous assure l'un d'entre eux. "Dans la police, on ne dénonce pas ses collègues", ajoute un autre.
Ceux qui ont finalement accepté de prendre la parole l’ont fait à une condition : rester totalement anonyme.
C’est le cas de cet ancien policier, qui a quitté l’institution récemment. Il y a fait plus de 20 ans de carrière. Il nous raconte avoir subi le racisme dès le début, lors de sa formation : "Arrivé à l’école de police, un choc assez violent m’attendait. Etant un des seuls élèves gardiens de la paix d’origine maghrébine, lors de ces exercices pratiques d’interpellation, c’était : "tu vas faire le voleur, on va procéder à un contrôle d’identité sur ta personne". A la troisième fois, j’ai dit aux formateurs : je ne suis pas un voleur, maintenant il faut arrêter avec ça. "
Par la suite, tout au long de sa carrière, les incidents de ce genre auraient continué selon lui.
Un jour, un chef de service m’a proposé de passer le bloc OPJ, le bloc d’officier de police judiciaire et en mon absence un collègue du groupe a dit : “il fait passer le bloc OPJ à un arabe et pas à moi, le Français de souche”.
Un ancien policierà l'Oeil du 20h
Il ajoute une autre anecdote : "Lors de l’apéritif il y a quelques années, une collègue avait acheté du jambon halal. Eh ben un autre collègue n’a rien trouvé de mieux à faire que de prendre une tranche de jambon traditionnel et la frotter contre la tranche de jambon halal."
Cet ancien policier n’a jamais fait de signalement officiel pour ne pas être, dit-il, mis au ban par ses collègues. Mais il a fini par quitter l’institution, écoeuré par ces comportements : "J’en ai énormément souffert parce que j’aime trop ce métier. On épouse les valeurs, on porte l’uniforme, on est prêts à mettre nos vies en jeu, et une minorité de collègues nous considère comme des sous-policiers."
"Ton nom de famille, c'est un bon nom de bougnoule"
Confrontée à des agissements similaires, cette autre policière a elle franchi le pas, et a décidé de porter plainte. D’origine maghrébine, elle raconte être en train de quitter l’institution après une longue dépression. Dans son dépôt de plainte, elle a détaillé des propos tenus par certains de ses collègues : “ton nom de famille, c’est un bon nom de bougnoule”, ou encore : “t’as un nom de bougnoule, mais comme t’as une tête de Mexicaine, ça passe”.
Elle décrit des dérapages verbaux fréquents, qu’elle finit par ne plus supporter : "Un jour dans la voiture, je m’énerve un peu, j’explique que “bougnoule” ca ne me va pas du tout et il se mettent à rigoler, et ils disent “si bougnoule ça ne te plaît pas, on n’a qu’à dire bicot ou melon.”
Pour garder une preuve de ces propos pénalement répréhensibles, elle décide, un autre jour, d’enregistrer avec son téléphone les propos tenus par ses collègues.
Elle vient de leur demander de ne plus employer de terme racistes, mais ils poursuivent la discussion devant elle. Voici ce qu'on entend dans l'enregistrement, que nous avons récupéré :
Quand je dis "bougnoule", c’est les arabes bâtards, ça veut dire en gros un sale arabe. Pour résumer les choses, ca va être un bougnoule. Un arabe de cité quoi.
Un policierenregistré par une collègue
Une policière enchérit : "Moi, je dirais bougnes de merde.Toi t’es un bougne de merde, voilà."
Le premier policier assure alors que le terme "bougnoule", à l'origine, "n'est pas péjoratif'. Il ajoute : "mais vu que toutes ces ethnies-là se sentent victimisées, c’est devenu péjoratif."
"A partir du moment où j'ai osé parler, j'ai été harcelée"
Après cet enregistrement, cette policière décide de faire un signalement auprès de l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale.
Elle raconte que l’ensemble de ses collègues se sont alors retournés contre elle et assure ne pas avoir été soutenue par sa hiérarchie. Elle raconte : "A partir du moment où j’ai osé parler, j’ai été harcelée. J’ai changé de commissariat et j’ai été considérée comme la balance. La chef de ma nouvelle brigade a dit à mes collègues de ne pas me parler. On m’a crevé les pneus."
Elle conclut :
Si on ose parler, on peut penser à une reconversion.
Une policièreà l'Oeil du 20h
A la suite de son signalement auprès de l’IGPN, elle affirme qu’une de ses collègues a bien été sanctionnée. Sa plainte pour injures raciales a elle en revanche été classée sans suite.
Un rapport sur le racisme "enterré"
Le racisme est-il répandu dans la police ? Ou ces cas sont-ils des faits isolés ? La direction de la police nationale nous indique ne pas avoir de chiffres consolidés sur les signalements pour discriminations raciales. Un rapport sur ce thème a en revanche été réalisé en 2021 par le conseil scientifique de la DILCRAH, la délégation interministérielle de lutte contre le racisme.
Voici ce qu’on peut notamment y lire : “Qu’il y ait des policiers racistes au sein de la police française et que cela se traduise par des comportements [...] pénalement condamnables, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.”
Cette note n’a jamais été rendue publique par les autorités. Nous avons contacté deux de ses auteurs. Ils affirment ne pas comprendre pourquoi ce rapport a été selon eux passé sous silence :
Ce rapport a été enterré. Cela nous a surpris. Il aurait dû y avoir des conséquences, il n’y en pas eu.
Anna Zielinska, co-autrice du rapportà l'Oeil du 20h
La DILCRAH assure que cette note a bien été adressée aux autorités concernées. Contacté à deux reprises, le ministère de l’Intérieur ne nous a pas répondu sur ce point.
Un gradé brise le silence
Dans les rangs de la police nationale, rares sont les gradés qui osent dénoncer ces comportements et briser le silence. Stéphane Lemercier est capitaine. C’est un ancien syndicaliste. Selon lui, la parole raciste, bien que minoritaire, serait décomplexée dans certaines brigades.
Il explique : "Moi-même j’en ai été témoin régulièrement, et j’ai pas honte de le dire, j’ai pas toujours réagi en disant à la personne qui tenait ce genre de propos que c’était pas correct. La difficulté c’est que dénoncer ce genre de pratiques auprès de la hiérarchie, ce n'est pas toujours très bien perçu."
Stéphane Lemercier ajoute :
C’est une question taboue et il y a un déni au niveau de la hiérarchie policière.
Stéphane Lemercier, capitaine de policeà l'Oeil du 20h
Des propos fermement contestés par la direction de la police nationale, qui affirme au contraire que tout est fait pour recueillir la parole des policiers victimes de discriminations. Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationale, assure que les propos racistes sont inacceptables et contraires aux valeurs de l’institution.
Il n’existe pas de racisme systémique dans la police nationale, il s’agit de comportements individuels qui sont lourdement sanctionnés.
Sonia Fibleuil, porte-parole de la police nationaleà l'Oeil du 20h
Elle ajoute : "La police nationale a prévu plusieurs protocoles, notamment le fait de diligenter une enquête administrative, voire judiciaire, et puis de mettre en place des plateformes, notamment la plateforme signal-discri à l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale, pour pouvoir dénoncer ces faits. "
Pour lutter contre le racisme, la direction de la police nationale insiste également sur les procédures de médiation mises en place, et rappelle la possibilité pour les policiers de s’adresser à des référents anti-discrimination présents dans chaque département.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.