Actes antichrétiens en France : que signifient vraiment les chiffres du gouvernement ?
Profanations d'églises, vols de biens religieux, le ministère de l'Intérieur dénombre plus de 1 000 faits antichrétiens en 2019. Derrière ce nombre élevé mais stable se cache une réalité plus nuancée.
Dans son bilan des actes antireligieux, antisémites, racistes et xénophobes, le ministère de l'Intérieur décompte 1 052 actes antichrétiens, contre 687 faits antisémites et 154 atteintes aux musulmans. Si le nombre d'actes dirigés contre les chrétiens est le plus important, il reste stable d'année en année et connaît même une légère baisse entre 2019 et 2018 (1 052 contre 1 063).
Plus d'actes antichrétiens, toute proportion gardée
Si l'on s'en tient aux chiffres communiqués par la Place Beauvau, on peut être tenté de conclure qu'en France les chrétiens sont beaucoup plus touchés que les juifs ou les musulmans. Ce qui pousse certains internautes, sur Twitter par exemple, à dénoncer une attention davantage portée sur les actes ciblant les juifs ou les musulmans que ceux visant les chrétiens.
On nous bassine avec “l’islamophobie” tous les jours, et pourtant voici le décompte officiel de @Place_Beauvau pour 2019 :
— Damien Rieu (@DamienRieu) January 27, 2020
- 1052 actes anti-chrétiens ✝️
- 657 actes antisémites ✡️
- 154 actes antimusulmans ☪️
malgré de multiples attentats terroristes islamistes...
La cathédrale d'Oloron-Sainte-Marie attaquée à la voiture-bélier en novembre, une centaine de tombes profanées à Cognac en octobre, des églises vandalisées dans les Yvelines, le Tarn, le Gard ou la Côte d'Or tout au long de l'année... Il y a bien eu des dégradations de lieux chrétiens en 2019. La plupart a été relayée, au moins dans la presse locale.
Ces 1 052 faits recensés chez les chrétiens se décomposent en 996 "actions" et 56 "menaces". Les actions consistent "en atteintes aux personnes ou aux biens avec une certaine gravité", précise le ministère de l'Intérieur. Des menaces de mort à l'encontre d'un prêtre ou des dégradations irréversibles d'une église sont ainsi considérées comme des "actions". Quant aux menaces, elles recouvrent ce qui procède de l'intimadation, comme "les propos et gestes menaçants, les démonstrations injurieuses, les tracts, les courriers", ajoute le ministère. En 2019, les actions réprésentent 5% de la totalité des faits antichrétiens recensés. La répartition est inversée pour les deux autres religions. Un tiers des faits antisémites sont des atteintes aux personnes, souligne la Place Beauvau.
Ce nombre important d'atteintes aux biens chrétiens s'explique par le fait que 95% des édifices de culte en France sont catholiques, rappelle le ministère de l'Intérieur. D'après l'Observatoire du patrimoine religieux, il y a 45 000 églises en France, contre 2 200 mosquées et 500 synagogues. Proportionnellement, les lieux de culte musulmans ou juifs sont donc bien plus ciblés.
Des actes antichrétiens à portée variable
Du graffiti au vol de mobilier, il est difficile de définir les faits antichrétiens. Un "A" barré de l'anarchie inscrit sur un bâtiment peut être distingué comme une dégradation au même titre que le ravissement du tronc au sein d'une église. De même, un tag néonazi peut aussi bien être considéré comme une "action" que comme une "menace".
Ce décompte est à prendre avec prudence, tant il est difficile de différencier les actes antireligieux de leur motivation qui, elle, n'est pas forcément antireligieuse. C'est le parti pris par la Commision consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui publie chaque année un rapport indépendant sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. En 2019, elle indique que "le lien existant entre ces actes et les phénomènes de racisme est difficile à établir avec certitude, puisqu’il est extrêmement délicat de différencier les actes qui ont une réelle motivation raciste, des vols ou actes de pur vandalisme, ou encore des actes commis par des groupes se réclamant du 'satanisme'."
Cette catégorie 'actes antichrétiens' est d’autant plus difficile à mettre en balance avec les autres qu’elle intègre les dégradations ciblant les lieux de culte chrétiens, actes hostiles commis pour des motivations bien souvent étrangères au racisme (aspect lucratif, pur vandalisme, «satanisme», connotation «anarchiste», etc.).
CNCDHRapport 2018 sur la lutte contre le racisme
Un "antichristianisme" relativisé par l'Église elle-même
La droite est prompte à dénoncer "l'omerta" qui pèse sur les actes antichrétiens, comme Laurent Wauquiez, alors président des Républicains, après une série de dégradations d'églises en février 2019. Le Premier ministre Édouard Philippe a pourtant bien condamné ces "actes choquants" sur Twitter.
Le secrétaire général de la Conférence des évêques de France relativise lui-même les actes antichrétiens. Déjà parce qu'il y a 45 000 églises en France, mais surtout parce que tous ne relèvent pas de la profanation, comme s'en explique Mgr Olivier Ribadeau Dumas sur France Culture : "Il y a des cambriolages, on vole des œuvres d'art, c'est une attaque à un lieu de culte mais ce n'est pas la même chose qu'une profanation [...] il y a aussi beaucoup de gens qui ne savent pas ce que c'est qu'une église, qui y entre pour voler, pour dégrader, donc il faut différencier les attaques contre les lieux de cultes".
Quant aux responsables politiques, ils sont régulièrement questionnés à ce sujet, notamment à l'Assemblée nationale. L'année dernière, Marie-France Lohro, députée non-inscrite mais proche de l'extrême droite du Vaucluse, appelle le gouvernement à "protéger les églises". Dans sa réponse, le ministère de l'Intérieur assure être très "vigilant" envers les actes anti-religieux, que le traitement des atteintes aux communautés religieuses est "prioritaire" et que "l'État poursuit ses efforts en matière de protection des lieux religieux".
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