"Les profanateurs n'auront pas le dernier mot" : en Alsace, des bénévoles montent la garde dans les cimetières juifs
Pour lutter contre les actes antisémites en Alsace, des citoyens, appelés "veilleurs de mémoire", ont décidé de veiller bénévolement sur les cimetières israélites.
La montée de l'antisémitisme en Alsace inquiète les habitants. Les derniers événements n'ont rien arrangé : 107 tombes du cimetière israélite de Westhoffen ont été profanées début décembre. Avant cela, des croix gammées avaient été tagguées en février 2019 au cimetière juif de Quatzenheim.
Pour lutter contre ces actes antisémites, chaque jour à Wintzenheim, près de Colmar, Lise Tornare, 75 ans, sort de chez elle, traverse la rue, et entre dans le cimetière israélite de la commune. Elle fait partie de ce qu'on appelle ici les "veilleurs de mémoire", des citoyens qui ont décidé de veiller bénévolement sur ces cimetières israélites. Dans le Haut-Rhin, ils sont une vingtaine. "Je longe les murs pour voir si c’est propre, s’il n’y a pas des gens qui ont jeté une peau de banane", dit-elle. Lise enlève aussi les mauvaises herbes, tandis que son mari, Robert est en charge de la tonte du gazon, des haies à tailler.
Un hommage à leur père résistant
Ils se sont donnés cette mission en 1979. À l'époque, le couple vient tout juste d'acheter sa maison. Une amie d'enfance juive leur demande de veiller sur le cimetière en face où ses parents sont enterrés. Ils acceptent en hommage à leurs pères résistants. "Mon père fabriquait des faux passeports aux évadés français. Le père de Robert a été fusillé par les allemands alors qu’il avait deux ans", affirme Lise.
Depuis quelques années, Lise craint de voir les 1 800 tombes de ce cimetière profanées. Elle dort même la fenêtre ouverte pour rester aux aguets.
C’est ma peur, parce que ce cimetière est devenu notre jardin. Je l’aime profondément comme si mes parents étaient enterrés là-dedans.
Liseà franceinfo
À une trentaine de kilomètres, à Jungholtz, Lionel Godmet est professeur de religion au collège. Lui aussi est un "veilleur de mémoire", une façon pour lui "d’apporter ma pierre pour lutter contre l’antisémitisme". Pour lui, tout a commencé il y a moins d'un an après la découverte de croix gammées sur des tombes juives de Quatzenheim. Excédé, il invite ses élèves à déposer sur les tombes de Jungholtz des galets. "Un élève a écrit ‘amitié’, ‘égalité’. Ils ont bien compris que l’antisémitisme, c’est vraiment une forme de racisme particulier parce que ça dure, et puis ils étaient vraiment outrés par ce qu’il s’était passé. Les élèves disaient ‘profaner un cimetière, ça ne se fait pas’", explique-t-il.
Des bénévoles en majorité catholiques
À l'origine de ce statut de "veilleur de mémoire", reconnu par les deux départements alsaciens depuis trois mois, Philippe Ichter, chargé de mission interreligieux dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Cet ancien pasteur protestant chapeaute la vingtaine de bénévoles : quasiment tous sont catholiques. "Ce sont des non juifs qui veillent sur les cimetières juifs et qui font en sorte qu’avec le judaïsme alsacien, la mémoire juive continue d’exister pour les générations à venir. Les profanations n’auront pas le dernier mot, en tout cas je veux bien et le croire et continuer à travailler pour cela", affirme-t-il.
Il espère ainsi implanter d'ici quelques jours ce dispositif dans le Bas-Rhin. Déjà plusieurs personnes ont annoncé vouloir être veilleurs. Une formation des futurs veilleurs haut-rhinois et bas-rhinois devrait également être organisée au printemps prochain, en lien avec les consistoires israélites des deux départements.
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